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Effet de la corruption sur la part des dépenses publiques dans le PIB

Dans la section précédente, nous montrons empiriquement dans quel sens la corruption altère l’allocation du budget (effet répartition). De hauts niveaux de corruption conduisent à une affectation des dépenses plus favorable aux secteurs de défense, d’énergie, de culture, d’ordre et services publics, et d’autres activités économiques. À l’inverse, la corruption amoindrit les parts de budget consacrées à l’éducation et à la protection sociale. Mais, si la corruption tend par ailleurs à gonfler l’ensemble des dépenses publiques (effet niveau), ces deux effets conjugués de la corruption rendront incertain son effet global39 sur le mon-

tant des dépenses sociales. Nous cherchons donc dans cette section à mettre en évidence l’impact de la corruption tout d’abord sur le montant global des dépenses publiques, puis sur le montant de chaque dépense sectorielle, au-delà de son effet sur la répartition de ces dépenses.

1.4.1 Montant des dépenses totales : effet niveau

Nous estimons, dans un premier temps, l’impact du niveau de corruption et d’un certain nombre de variables de contrôle sur les dépenses publiques totales en pourcentage du PIB. La première hypothèse que nous cherchons ainsi à tester est qu’une corruption publique largement répandue contribue à faire croître artificiellement le montant total des dépenses puisque sont comptabilisées à la fois les dépenses effectivement réalisées et les dépenses détournées.

Seul Mauro (1997) a tenté de fournir la preuve empirique de cette hypothèse. Ses ré- sultats montrent que la corruption n’aurait pas d’effet significatif sur les dépenses totales. Cependant, les coefficients obtenus à partir d’estimations en moindres carrés ordinaires sont biaisés en présence d’endogénéité. Nous présentons donc les résultats d’estimations obtenus grâce à la méthode des doubles moindres carrés. La corruption et le PIB sont instrumentés par la latitude en valeur absolue.

Résultats

Le tableau 1.4 présente les résultats des estimations de l’impact de la corruption sur la part des dépenses publiques totales dans le PIB. Nous ne retenons dans les régressions que les variables explicatives dont le coefficient est significatif au seuil de 10%, à l’exception du PIB PPA constant par habitant qui permet de contrôler pour le niveau de développement économique. En particulier, les variables muettes par année ne sont pas significatives.

Tab. 1.4 – Corruption et montant des dépenses publiques Variable Part des dépenses

dépendante publiques dans le PIB Corruption 4.33 0.70 (17.46) (1.43) P IB.10−3 0.46 (2.21) Impots 0.94a 0.90a (0.23) (0.08) Depdce.101 1.71b 1.61a (0.66) (0.47) P opU rb.10−1 0.60 0.81b (1.10) (0.35) R2 0.67 0.69 Observations 133 133

Notes : écarts-type entre parenthèses : a in-

dique des coefficients significatifs à 1%,

b à 5% etc à 10%.

Les coefficients associés à l’étendue de la corruption ne sont significatifs dans aucune des deux régressions. Des niveaux élevés de corruption n’entraînent pas d’augmentation signi- ficative de la part des dépenses publiques dans le PIB. Nous retrouvons ainsi les résultats de Mauro (1997) et nous invalidons l’hypothèse d’un gonflement du budget global, lié à la prise en compte dans le budget des détournements, qui s’expliquerait par une corruption avec vol.

En ce qui concerne les variables de contrôle, les coefficients estimés sont significative- ment non nuls à l’exception du PIB PPA constant par habitant. Le niveau de richesse d’un pays ne semble donc pas affecter le montant global d’investissement public. La part des im-

pôts dans le PIB ainsi que le ratio de dépendance et le pourcentage de population urbaine, qui permettent de contrôler pour les effets géographiques et démographiques, ont égale- ment des coefficients significatifs. Des parts élevées d’impôts dans le PIB (qui indiquent une forte représentativité de l’État) favorisent des dépenses publiques élevées, résultat en outre attendu sur le plan comptable mais qui laisse craindre un biais d’endogénéité. De la même façon, l’urbanisation accroît les dépenses publiques. Enfin, plus la population en âge de travailler est nombreuse comparée aux moins de 15 ans et aux plus de 65 ans (ratio de dépendance faible), moins les dépenses publiques ont une part élevée dans le PIB.

Ainsi, si la corruption n’a pas d’effet significatif sur le montant global des dépenses publiques, il est probable qu’elle modifie de façon similaire la part des dépenses sectorielles dans le budget et leur montant rapporté au PIB. Nous testons cette hypothèse dans la section suivante.

1.4.2 Part des dépenses sectorielles dans le PIB : effet global

Afin de permettre les comparaisons qualitatives avec l’analyse de l’effet de la corruption sur la répartition sectorielle des dépenses, nous conservons des spécifications identiques à celles des tableaux 1.2 et 1.3. Le tableau 1.5 rapporte les estimations des régressions où la corruption et le PIB sont instrumentés par la latitude.

Il ressort de cette analyse économétrique que la corruption accroît le montant des dé- penses d’ordre et services publics, d’énergie et de défense et réduit à l’inverse le montant des dépenses d’éducation et de protection sociale. Ainsi, l’impact de la corruption sur le montant des différents secteurs de dépense (en pourcentage du PIB) est similaire à son im- pact sur la structure du budget. La différence avec les résultats précédents est que les parts des dépenses de culture et d’autres activités économiques ne sont plus significativement affectées par le niveau de corruption, tandis que leur part dans le budget l’est.

1. CORR U PTI ON ET RÉP A R TI TI ON DES DÉPEN S ES PU BL IQU ES 67

sociale économiques services publics combustible

Modèle (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) Corruption -3.93a -6.96a 0.28 -0.34 0.23 0.06 0.65a 0.41a 0.94b (0.62) (1.21) (0.42) (0.26) (0.25) (0.04) (0.22) (0.15) (0.39) P IB.10−3 -0.23a -0.71a 0.12a 0.06c -0.12 0.04b 0.07 (0.08) (0.18) (0.04) (0.03) (0.11) (0.02) (0.05) P op0−14.10−1 1.43a 0.31a (0.24) (0.10) P opU rb.10−1 0.54a 0.05a (0.20) (0.01) CotSoc 0.20a (0.03) Impots.10−1 1.22a 0.25 (0.14) (0.21) Dette.10−2 -0.53b -0.09 -0.28a (0.27) (0.06) (0.11) M ilitaires 0.82a (0.06) OCDE -2.96a 1.74 -1.77a (0.78) (1.62) (0.32) Am. Latine 0.89c -0.28a (0.50) (0.08) P ECO 2.14a 0.18a -0.86a (0.82) (0.06) (0.24) Asie 0.50a 0.28 -1.53a 0.20 (0.17) (0.53) (0.48) (0.33) M EN A 1.73a 0.74a (0.46) (0.12) Af rique subs. 2.00a (0.52) R2 0.13 0.57 0.66 0.14 0.14 0.29 0.28 0.25 0.62 Observations 133

Instruments ext. latitude

Test de DWH 22.66a 19.43a 9.22b 10.80b 0.72 7.37b 4.14 5.37 15.43a

Stat. de Sargan 40.26a 21.93a 13.95c 31.51a 33.62a 33.47a 6.38 8.73 28.48a

Notes : Les écarts-type sont entre parenthèses.a,betcindiquent que, si l’hypothèse nulle est vraie, la probabilité d’obtenir une valeur au moins aussi grande que la

valeur obtenue est inférieure ou égale respectivement à 0.01, 0.05 et 0.10. Pour simplifier, les coefficients marquésa,boucsont significatifs respectivement

Enfin, la corruption ne semble influencer ni la part ni le montant des dépenses dans les domaines de la santé et du logement. Les secteurs les plus favorables à la corruption – avec ou sans vol – se voient affecter non seulement un pourcentage mais aussi un niveau d’autant plus élevé de dépenses que le niveau de corruption est important. À l’opposé, les secteurs sociaux, moins exposés à la corruption politique, voient leur montant diminuer pour compenser, d’une part, le surcoût budgétaire lié aux détournements dans les autres secteurs, d’autre part, la ventilation des ressources vers ces secteurs plus générateurs de pots-de-vin.

La plupart des variables de contrôle ont un coefficient significatif et affectent le montant des dépenses sectorielles dans le même sens que leur répartition, à l’exception des impôts dans la régression portant sur l’ordre et les services publics et du taux d’urbanisation dans le secteur « autres activités économiques ». La dette n’affecte pas sensiblement le montant des dépenses de culture. Si la part des dépenses de protection sociale dans le budget est particulièrement élevée dans les pays de l’OCDE, ce n’est pas le cas de leur part dans le PIB. Il en est de même pour les secteurs de défense et d’« autres activités économiques » dans les pays d’Asie.

Ainsi, plutôt que le montant global du budget, la corruption – qui comprend non seule- ment les détournements de fonds publics (corruption avec vol) mais aussi les traitements préférentiels, intérêts monétaires et autres avantages privés liés en particulier à l’attribution de marchés publics (corruption sans vol) – affecte sa composition à travers le gonflement de certains types de dépense et l’amputation d’autres.