• Aucun résultat trouvé

Ce chapitre apporte une contribution à la littérature existante en montrant, à partir de données sur 63 pays entre 1996 et 2000, que la corruption modifie la part des différents secteurs de dépense dans le PIB. Ceci implique deux mécanismes distincts : un effet de la corruption sur le niveau global des dépenses publiques et un effet sur la répartition de ces dépenses dans le budget. Nous montrons ici que l’effet niveau n’est pas significatif et que

seul l’effet répartition l’est : l’étendue de la corruption n’affecte pas le montant du budget mais sa composition sectorielle.

Tout d’abord, la corruption affecte la distribution sectorielle des dépenses publiques. Notre étude se démarque des travaux antérieurs sur des questions similaires en examinant pour la première fois la répartition des dépenses affectées aux différents secteurs budgé- taires. Il ressort de notre analyse que des niveaux élevés de corruption sont associés à une allocation des dépenses favorable aux secteurs de l’énergie, de la défense, de l’ordre et des services publics, de la culture et, dans une moindre mesure, au secteur « autres activités économiques » et défavorable aux secteurs sociaux – éducation et protection sociale. Nous montrons en revanche que, dès lors que l’on contrôle pour le niveau de vie des pays, la corruption n’influence pas sensiblement la part des dépenses non affectées à un secteur en particulier.

Dans un deuxième temps, nous cherchons à savoir si la corruption affecte en outre le montant dans le PIB des dépenses sectorielles. Nos résultats impliquent que la corruption n’induit pas de variation significative du budget total. En conséquence, l’effet de la cor- ruption sur le montant des dépenses sectorielles est similaire à son effet sur leur part dans le budget. Ainsi, de hauts niveaux de corruption entraînent une réduction de la part des dépenses sociales dans le PIB et une hausse de celle des dépenses de défense, d’ordre et services publics et d’énergie.

Rappelons cependant qu’en dépit des efforts réalisés pour contrôler pour de nombreux facteurs explicatifs de la structure de l’investissement public et pour proposer une méthode d’estimation avec instrumentation, le biais de variables omises dont est susceptible de souf- frir cette étude économétrique invite à envisager avec prudence la relation de causalité entre corruption et structure du budget. Il se peut en effet que ces deux phénomènes soient affectés par un troisième qui est inobservable et ne peut donc être pris en compte dans l’estimation.

Les dépenses affectées à certains secteurs en particulier sont le lieu de détournements ou permettent aux décideurs publics d’obtenir des pots-de-vin. Étant donné que d’autres

secteurs sont amputés au profit des premiers, plus générateurs de rente, en amont du processus de la dépense publique lors des décisions d’affectation des dépenses par secteur, la corruption n’a pas d’effet significatif sur le montant global du budget mais tend plutôt à en modifier la structure sectorielle. Les perspectives de détournements ou de pots-de- vin conduisent ainsi les décideurs publics à redistribuer les dépenses vers les secteurs les plus exposés à la corruption. La corruption est en effet susceptible d’accroître la part des dépenses publiques allouées à un secteur générateur de rente par l’intermédiaire de deux principaux mécanismes :

1. lors de la prise de décision concernant l’allocation des dépenses, les agents qui sou- haitent percevoir des pots-de-vin vont chercher à favoriser les secteurs les plus ren- tables de ce point de vue ;

2. lors de l’exécution des projets publics engageant les dépenses et à supposer que ce projet implique le versement de pots-de-vin ou des détournements de fonds, les dé- penses vont augmenter si le montant de la « commission » ou du détournement est pris en compte dans le calcul du coût du projet.

Ce chapitre met donc en évidence l’impact positif de la corruption sur la part des dé- penses de défense, d’énergie, de services et d’ordre publics à la fois dans le budget et dans le PIB et son impact négatif sur la part des dépenses de santé, d’éducation et de protection sociale. Ceci confirme donc l’hypothèse selon laquelle les secteurs mieux dotés en cas de forte corruption sont les secteurs à fortes dépenses en capital, les plus générateurs de rente et où les agents publics ont les plus grandes marges de manœuvre.

Cependant, si la corruption accroît la part dans le PIB des dépenses d’énergie, de défense et d’ordre et services publics, notre étude ne permet pas de conclure sur le montant d’investissement réel dans ces secteurs, une partie étant détournée. Toutefois, la distinction entre corruption avec vol (détournements) et corruption sans vol (pots-de-vin sous forme monétaire, sous forme d’actifs...) nous permet de penser que l’investissement réel augmente d’autant plus dans ces secteurs que la corruption est sans vol plutôt que sous forme de

détournements.

Les dépenses publiques sont un instrument-clé de l’action de l’État, notamment en fa- veur du développement, et en particulier du développement humain, à travers les dépenses sociales. Ce chapitre suggère donc que la lutte contre la corruption devrait constituer l’un des principaux objectifs des pays en développement, davantage encore dans les pays à faible développement humain, qui souffrent le plus de la distorsion des dépenses publiques due à la corruption. Cette étude invite donc également à inciter les pays corrompus à réallouer leur budget des domaines de la défense, de l’ordre et des services publics et de l’énergie vers les secteurs de l’éducation et de la protection sociale afin de contrebalancer les effets distorsifs de la corruption. Ces résultats peuvent être particulièrement utiles dans les débats sur l’allocation de l’aide sectorielle.

Enfin, bien que ce chapitre aborde l’effet de l’étendue des droits politiques sur la ré- partition des dépenses parallèlement à celui de la corruption, il ne prend pas en compte son effet sur le niveau de corruption lui-même. Or, comme le suggèrent les typologies de Varoudakis (1996) et de Coolidge et Rose-Ackerman (1997), l’étendue de la corruption dans un pays est incontestablement liée à son système politique. Nous en proposons une analyse dans le chapitre suivant.