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3.4 Principaux facteurs de corruption législative et administrative au Maghreb

3.4.3 Corruption administrative

Comme nous nous y attendions, la corruption administrative est liée à la fraude fiscale selon une relation quadratique : d’abord croissante puis légèrement décroissante. Par conséquent, l’effet global marginal de la fraude fiscale sur la corruption administrative, FraudeG, doit être recalculé à partir des chiffres obtenus pour les effets marginaux de F raude.10−1

et F raude2.103

.

Tab. 3.4 – Effets marginaux pour la corruption administrative

Fréquence de corruption administrative

Jamais Rarement Quelquefois Souvent Plupart du temps Toujours

F raude.10−1 -14.78 2.69 5.37 2.72 3.30 0.71 F raude2 .10−3 12.67 -2.31 -4.60 -2.33 -2.83 -0.60 FraudeG -1.18 0.21 0.43 0.22 0.26 0.06 Compet∗ 20.76 -2.74 -7.04 -4.04 -5.51 -1.42 Capital.10−10 2.79 -0.51 -1.01 -0.51 -0.62 -0.13 N bEmp.10−2 6.06 -1.10 -2.20 -1.11 -1.35 -0.29 AssurF in∗ 47.97 -16.17 -17.55 -6.53 -6.56 -1.17 Hotel∗ 30.70 -9.27 -11.67 -4.53 -4.49 -0.74 T ransport∗ 28.06 -8.43 -10.70 -4.16 -4.10 -0.67 IndConstru∗ -23.31 1.83 7.22 4.77 7.28 2.20

Notes : Les effets marginaux sont calculés pour le point moyen des variables explicatives continues, et pour une variation discrète de 0 à 1 des variables indicatrices (notées∗). Les chiffres font référence à des

points de pourcentage. FraudeG représente l’effet marginal global de la variable fraude fiscale. Il est obtenu par la combinaison suivante : FraudeG = ∂y

∂x1+ 2x1

∂y

∂x2 selon les notations de l’équation 3.1.

Les signes des coefficients associés au terme simple et au terme quadratique de la fraude fiscale indiquent que, pour les entreprises qui pratiquent relativement peu la fraude fiscale, la corruption administrative croît avec la part de ventes non déclarées par l’entreprise. En revanche, si la part de ventes non déclarées est élevée, l’entreprise verse d’autant moins de pots-de-vin qu’elle pratique la fraude fiscale. La figure 3.2 suggère que le seuil se situe aux alentours de 55% des ventes non déclarées. Au-dessous de ce seuil, le versement de paiements

occultes tient à la volonté de dissimuler une partie des ventes pour réduire les coûts de l’activité14. La dimension de la corruption ainsi mise en évidence est celle du transfert de

surplus (« surplus transfer ») (Bliss et Di Tella, 1997), qui fait par exemple référence au racket de protection : la corruption permet alors de poursuivre une activité illégale qui disparaîtrait probablement sans versement de pots-de-vin. Au-dessus du seuil de 55%, plus le pourcentage de ventes non déclarées est élevé, plus la probabilité que les entreprises versent des pots-de-vin à des fonctionnaires est faible. Deux mécanismes différents peuvent entrer en jeu : soit la probabilité que la fraude soit détectée (augmentant avec le degré de fraude fiscale) est si élevée que l’entreprise cherche à réduire les risques supplémentaires dus à la corruption – Gauthier et Gersovitz (1997) et Goerke (2006) suggèrent ainsi que les entreprises font un arbitrage entre fraude fiscale et probabilité de détection et sanction par l’administration –, soit la fraude fiscale allège tellement la charge des taxes que la corruption visant à influencer l’application des lois et règlements affectant l’entreprise devient moins utile. L’effet marginal global présenté dans le tableau 3.4 indique qu’un accroissement de 1% des ventes non déclarées réduit de 1,18 points de pourcentage la probabilité de ne jamais avoir à offrir de pots-de-vin pour influencer l’application des règlements affectant les affaires de l’entreprise, et elle augmente de 0.26 points la probabilité d’avoir à en donner la plupart du temps.

Comme pour la corruption législative, la compétitivité d’une entreprise, approximée par la variation de sa part de marché, a un impact négatif sur la corruption administrative. Autrement dit, si la part de marché d’une entreprise croît ou reste stable, la probabilité qu’elle pratique la corruption administrative est significativement moins élevée que pour les entreprises moins compétitives. En effet, une forte compétitivité renforce le pouvoir de négociation des firmes qui ont donc moins besoin d’offrir des pots-de-vin pour arriver à leurs fins. Par ailleurs, les entreprises moins compétitives peuvent être davantage ten- tées d’avoir recours à des paiements occultes pour compenser leur faible compétitivité15.

Contrairement à ce que montre Svensson (2003) pour les entreprises ougandaises et à ce

14Un communiqué de la Direction Générale des Impôts du Maroc en 2005 souligne à cet égard l’ampleur

des « distributions occultes » versées lors de contrôles fiscaux et qui visent à dissimuler des produits, des rémunérations et charges non justifiées et « tous autres avantages consentis aux associés ou à des tiers ».

Fig. 3.2 – Courbe de régression de la corruption admi- nistrative sur la fraude fiscale

1.5 2 2.5 3 3.5 4 Administrative Corruption 0 20 40 60 80

Share of Informal Activity 95% CI Fitted values

que Bliss et Di Tella (1997) expliquent dans leur modèle théorique, notre étude suggère que les entreprises d’Afrique du Nord qui se livrent le plus souvent à la corruption ne sont pas les plus rentables mais les moins compétitives : l’offre de corruption dépend davantage de la nécessité pour la firme de dégager des profits futurs pour rétablir sa compétitivité que de ses profits actuels. Si la part de marché d’une entreprise n’est plus décroissante mais devient stable ou croissante, la probabilité que cette entreprise pratique la corruption administrative la plupart du temps diminue de 5.5 points de pourcentage ; au contraire, elle augmente de 20.8 points la probabilité de ne jamais la pratiquer.

En ce qui concerne les caractéristiques des entreprises, la probabilité qu’une entreprise fasse état de corruption administrative est d’autant plus élevée que son capital et son nombre d’employés sont restreints. De façon comparable à ce qui a été observé en Europe de l’Est et en Asie Centrale, la corruption administrative concerne essentiellement les entreprises petites de par leur taille ou leur capital. Toutefois, de même que pour la corruption légis- lative, on peut suspecter que cet effet est dû à un biais de réponse de la part des grandes entreprises, probablement plus discrètes sur leurs pratiques de corruption. Or, l’absence

d’effet significatif de cette variable sur la probabilité de réponse met en doute cette hypo- thèse. On peut cependant ici aussi supposer que les grandes entreprises ne refusent pas de répondre mais sous-déclarent systématiquement la fréquence de versement des pots-de-vin visant à influencer l’application des lois.

Enfin, la corruption administrative est plus discriminante entre secteurs que ne l’est la corruption législative : les entreprises qui travaillent principalement dans les services autres que le commerce (assurance et finances, hôtellerie et restauration, transports) sont moins susceptibles que les autres de se livrer à la corruption administrative. Au contraire, celles qui ont leur activité principale dans le bâtiment sont nettement plus portées à pratiquer la petite corruption. En effet les inspections sont plus fréquentes dans ce secteur d’activité en particulier et dans l’industrie que dans les services en général, ce qui augmente les droits de contrôle des fonctionnaires, et par conséquent les occasions de corruption.

Au total, la pratique de la corruption administrative par les entreprises est essentielle- ment liée à leur degré de fraude fiscale : la corruption administrative croît avec le pour- centage de ventes dissimulées si celui-ci est inférieur à environ 55% des ventes totales, elle décroît avec l’ampleur de la fraude fiscale s’il est supérieur, le risque de détection étant alors trop élevé. La corruption administrative augmente également avec le manque de com- pétitivité des firmes mais, contrairement à la corruption législative, elle ne semble pas être affectée par l’insécurité des droits de propriété. Il serait cependant opportun d’examiner d’autres aspects de la défaillance du système juridique et réglementaire. En particulier, l’impossibilité de recours juridique face aux décisions prises par les inspecteurs du CNSS16

au Maroc peut inciter ces derniers à gonfler volontairement le nombre d’employés de l’en- treprise contrôlée pour exiger un paiement « par tête » en échange de la diminution officielle de ce nombre.