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Y a-t-il un biais d’endogénéité ?

3.5 Tests de robustesse

3.5.2 Y a-t-il un biais d’endogénéité ?

Comme nous l’avons mentionné dans la section 3.1, nos résultats principaux sont sus- ceptibles d’être biaisés si la variable de fraude fiscale est déterminée de façon endogène, c’est-à-dire si elle est corrélée avec le terme d’erreur de l’équation d’intérêt.

L’endogénéité peut provenir d’erreurs de mesure des phénomènes étudiés, d’un biais de simultanéité ou encore de l’omission de variables. Cette question est approfondie dans le chapitre 1. Les variables omises peuvent par exemple être le degré de légitimité du gouvernement – s’il est faible, les citoyens tentent d’éviter de payer des impôts soit en sous-déclarant leur activité, soit en versant des pots-de-vin18 (Rose-Ackerman, 2004) – ou

encore le pessimisme de l’employeur, qui peut le conduire à sur-déclarer la corruption. Il y a un biais de simultanéité si la corruption affecte également la fraude fiscale. Les régressions par moindres carrés ordinaires calculées sur des données agrégées (Johnson et al., 1999), (Johnson et al., 2000) ou sur des données d’entreprises (Johnson et al., 2000), (Johnson et Kaufmann, 2001), (Friedman et al., 1999) montrent que, dans les pays d’ex- URSS, l’activité cachée est d’autant plus développée que le niveau de corruption y est élevé : dans les pays où la corruption est très répandue, la dissimulation des ventes est une manière de contourner des agents corrompus (Vostroknutova, 2003).

Afin de tester et de corriger le biais d’endogénéité, nous instrumentons la fraude fiscale par des variables qui lui sont fortement corrélées et exogènes.

Les tests présentés ci-dessus révèlent une forte analogie entre les déterminants de l’entrée dans la corruption et les déterminants de la fréquence de versement de paiements officieux. Or l’instrumentation est nettement plus aisée à programmer dans le cadre d’un modèle de choix binomial que dans le cadre d’un modèle polytomique ordonné. Nous utilisons donc le premier – un modèle probit instrumenté – pour corriger l’endogénéité de la variable de

18Dans cet exemple, l’endogénéité peut également être due à un biais de simultanéité si le manque de

fraude fiscale et la tester. La spécification est celle du modèle final de régression de la corruption administrative, 2.12. Nous ne présentons pas ici les résultats de l’estimation par probit instrumenté de la corruption législative19.

Parmi les trois variables exclues de l’équation d’intérêt et permettant de prédire la valeur instrumentée de la fraude fiscale20, T ailleF oyer est issue de l’enquête auprès des salariés.

À chaque entreprise a été associée la valeur moyenne de la variable parmi ses salariés. Cet instrument issu de l’enquête salarié a de plus grandes chances d’être exogène aux pratiques de corruption des entreprises. Les deux autres instruments, T ax et ReglT ravail, sont issus de l’enquête employeur.

– T ailleF oyer désigne le nombre de personnes qui dépendent financièrement du salarié interrogé. On peut penser que plus le salarié a de personnes à charge, moins il est mo- bile et plus il est dans l’obligation d’accepter un emploi, quel qu’il soit, pour subvenir aux besoins de ces personnes. Cette variable offre donc une bonne approximation du déficit de pouvoir de négociation du salarié auprès de son employeur. Si ce pouvoir de négociation est faible, l’employé pourra moins facilement refuser un emploi dans une entreprise dont une partie de l’activité est frauduleuse. Ce raisonnement repose sur les deux hypothèses suivantes.

1) L’activité frauduleuse de l’entreprise constitue une source de précarité pour l’em- ployé, ainsi plus son pouvoir de négociation est fort, plus il aura tendance à exiger un emploi dans une entreprise où la majeure partie de l’activité est déclarée. En effet, dans le contexte de chômage élevé que connaissent les pays du Maghreb, ce type d’ac- tivités apparaît le plus souvent comme une contrainte pour les individus : les éventuels gains liés à l’économie d’impôt (si l’entreprise sous-déclare également une partie de son personnel) sont en réalité inférieurs aux risques que comporte l’emploi dans une

19Deux motifs expliquent ce choix : i) la corruption intervenant au niveau de l’application des lois est plus

susceptible de favoriser ou au contraire de dissuader la fraude fiscale qu’un type de corruption modifiant en amont la formulation des lois, donc l’existence d’un biais d’endogénéité est plus probable dans l’estimation de la corruption administrative que dans celle de la corruption législative ; ii) si l’on introduit néanmoins la fraude fiscale comme variable explicative de la corruption législative, le test d’exogénéité de Wald permet de conclure sur l’absence de biais d’endogénéité.

20Gauthier et Gersovitz (1997) proposent une étude plus approfondie des déterminants de la fraude

entreprise qui pratique la fraude fiscale (risque plus élevé de cessation d’activité de l’entreprise donc de perte d’emploi).

2) L’employé détient de l’information sur les pratiques fiscales de son entreprise. S’il est peu vraisemblable qu’un employé ait une connaissance précise de la fraude fiscale au sein de l’entreprise, il peut en revanche en apprécier l’ampleur à travers un certain nombre de pratiques qui le touchent directement : versement d’une partie du salaire en liquide, utilisation abusive de factures pour des déductions d’impôts...

On peut donc s’attendre à une corrélation positive entre la fraude fiscale de l’entreprise et la taille du ménage de ses employés. En revanche, cette variable n’est pas susceptible d’affecter directement les pratiques de corruption des entreprises.

– T ax représente le montant de l’impôt sur les sociétés que verse l’entreprise en pour- centage de ses ventes. Nous nous attendons à une corrélation négative de cette variable avec la fraude fiscale. En effet, nous ne mesurons pas ici le taux d’imposition légal, qui pourrait avoir un effet positif sur le pourcentage de ventes non déclarées de l’en- treprise, mais l’impôt que verse effectivement l’entreprise, d’autant plus faible que l’entreprise masque une partie importante de son activité. Par ailleurs, comme nous le montrons dans les tableaux 3.11 et 3.12 de restriction de la spécification en annexe, l’impôt est exogène aux deux formes de corruption que nous étudions.

– ReglT ravail prend pour valeur 1 si l’entreprise respecte parfaitement la réglemen- tation du travail, 0 si elle ne la respecte que partiellement. L’idée sous-jacente à l’utilisation de cet instrument pour la fraude fiscale est que les réglementations for- tement contraignantes pour les affaires conduisent les entreprises à sous-déclarer leur activité (Frye et Zhuravskaya, 2000). Face à des réglementations jugées trop lourdes, donc peu ou pas respectées, les entreprises ont plutôt tendance à occulter leur em- ploi et leurs ventes qu’à recourir à la corruption, qui présente un coût plus élevé. En effet, nous avons montré plus haut que le respect des réglementations n’était cor- rélé ni à la corruption administrative ni à la corruption législative, que ce soient les réglementations fiscales ou les réglementations du travail.

laquelle les entreprises de taille moyenne supportent un plus lourd « fardeau fiscal » que les autres (les petites pratiquant plus la fraude fiscale et les grandes bénéficiant de davantage d’exemptions), nous avons introduit des termes quadratiques pour le capital et le nombre d’employés mais les coefficients associés ne sont pas significatifs.

Nous présentons dans le tableau 3.13 en annexe les résultats de la première étape d’ins- trumentation.

Les trois instruments exclus expliquent significativement – au seuil de 1 ou 5% – la part de ventes non déclarées de l’entreprise. Il existe une corrélation positive entre le nombre moyen de personnes dépendant financièrement de l’employé interrogé, qui constitue une proxy de la faiblesse de son pouvoir de négociation, et le degré de fraude fiscale de l’entre- prise qui l’emploie : plus les salariés interrogés dans une entreprise ont un nombre élevé de personnes à charge, moins ils ont la possibilité de refuser un emploi dans une entreprise à forte part d’activité souterraine. Comme attendu, la part de ventes non déclarées de l’en- treprise est corrélée négativement et de façon significative avec le montant de l’impôt sur les sociétés payé par l’entreprise. Enfin, le respect par l’entreprise de la réglementation du travail réduit ses incitations à masquer une partie des ventes. Ces instruments sont faibles comme l’indique la faible valeur de la statistique de Fisher (2.52). Staiger et Stock (1997) montrent en effet qu’une F statistique inférieure à 10 révèle des instruments faibles. Les va- riables indépendantes permettent néanmoins d’expliquer 15% de la variation de la variable de fraude fiscale et les coefficients associés aux trois instruments exclus sont significatifs au seuil de 8% au plus. Ainsi, bien qu’ils soient insuffisants, les instruments sont de bons prédicteurs de la fraude fiscale.

Les trois instruments sont valides dans la mesure où ils sont exogènes à la corruption. Pour vérifier cela, nous avons mené un test de suridentification de Amemiya-Lee-Newey (« ALN » dans le tableau 3.8). La statistique de test est donnée par la valeur du χ2 mini-

mum de Newey (1987) (Lee, 1992). Sous l’hypothèse nulle de validité des instruments, cette statistique suit une loi du χ2. Pour l’ensemble des spécifications présentées dans le tableau

3.8, l’hypothèse nulle ne peut être rejetée, les instruments ne sont donc pas corrélés avec le terme d’erreur de l’équation d’intérêt. Ce test n’est toutefois valide que si l’un des ins-

truments au moins est exogène. L’absence de corrélation significative entre le respect de la réglementation – ainsi que le montant de l’impôt – et la corruption administrative montrée dans la section 3.4 permet de supposer que ReglT ravail et T ax le sont effectivement. En outre, la variable issue de l’enquête employé est d’autant moins susceptible d’être corrélée significativement aux pratiques de corruption de l’entreprise que les employés interrogés sont trop peu nombreux – une dizaine – pour être représentatifs de la structure d’emploi, donc du comportement de l’entreprise.

Les instruments étant valides, ils nous permettent de tester l’hypothèse d’endogénéité de la fraude fiscale. Nous utilisons pour cela le test d’exogénéité de Wald présenté dans le tableau 3.8. Pour les quatre spécifications retenues, les résultats invitent à retenir l’hypo- thèse d’exogénéité de la fraude fiscale. En effet, pour la spécification 2.12.IV.1, une valeur du χ2 égale à 0.38 indique que si la fraude fiscale est exogène, on devrait obtenir une

valeur au moins aussi élevée que 0.38 dans 83% des cas. La fraude fiscale est donc très probablement exogène à la corruption administrative et les résultats de la section 3.4 sont donc valides : la part des ventes non déclarées ne dépend pas suffisamment du fait que l’entreprise pratique ou non la corruption administrative pour qu’une estimation ne tenant pas compte de l’endogénéité produise des estimateurs inconsistants.

Comment expliquer que la fraude fiscale soit exogène ? L’impact de la corruption sur la fraude fiscale a été montré au niveau macroéconomique. Or notre étude se concentre sur des comportements microéconomiques, pour lesquels l’impact de la corruption sur la fraude fiscale n’est pas net : le pourcentage de ventes non déclarées aux autorités est peu susceptible d’être affecté par la fréquence de versement de pots-de-vin. Il y a simultanéité si les entreprises cachent une plus grande partie de leurs ventes afin de payer des pots-de-vin moins souvent. C’est le cas si la fréquence des pots-de-vin demandés par les fonctionnaires est fortement élastique au niveau de ventes déclarées. Or ceci est contestable pour deux raisons principales.

1. Si l’aptitude à payer d’une entreprise, mesurée par sa rentabilité, affecte le montant des pots-de-vin qu’elle verse (Svensson, 2003), (Bliss et Di Tella, 1997), il est moins probable

Tab. 3.8 – Estimation par probit instrumenté

Modèle 2.12.IV.1 2.12.IV.2 2.12.IV.3 2.12.IV.4

Variables Corruption explicatives administrative F raude.10−1 1.20c 1.20c 1.45b 1.43b (0.72) (0.71) (0.68) (0.66) Variables F raude2 .10−3 -1.48 -1.48 -2.12b -2.07b principales (1.16) (1.16) (1.08) (1.05) Compet -0.43 -0.44 -0.50c -0.54b (0.29) (0.29) (0.27) (0.27) Capital.10−9 -0.04 -0.04 Caractéristiques (0.07) (0.07)

des firmes N bEmp.10−2 -0.15 -0.15 -0.00

(0.10) (0.10) (0.07)

AssurF in.101 dropped dropped dropped dropped

Hotel.101 -0.06 -0.06 -0.11c -0.11c

Secteur (0.07) (0.07) (0.07) (0.06)

T ransport -0.12

(0.79)

IndConstru dropped dropped dropped dropped

Observations 127 127 158 160

χ2Wald 13.15c 12.64b 13.60b 13.79a

Test de χ2ALN 1.02 1.03 1.07 1.12

suridentification P-value 0.31 0.31 0.30 0.29

F stat. 1e et. F raude 2.52a 2.85a 5.41a 6.59a

Pertinence des R2 1eet. F raude 0.15 0.14 0.18 0.18

instruments F stat. 1e et. F raude2 1.94a 2.23a 4.39a 5.23a

R2 1eet. F raude2 0.12 0.12 0.15 0.15

Test χ2Wald 0.38 0.41 2.13 1.97

d’exogénéité Proba > χ2

0.83 0.81 0.35 0.37

Notes : Les écarts type sont entre parenthèses : la significativité des coefficients notésan’est pas rejetée au seuil

de 1%, celle des coefficients marquésb ne l’est pas à 5% etcà 10%. L’hétéroscédasticité des résidus est

corrigée par la méthode de White.

qu’elle en affecte la fréquence. D’autre part, les ventes d’une entreprise indiquent son chiffre d’affaires, non sa rentabilité.

2. Les pots-de-vin ne visent pas uniquement les fonctionnaires à qui les entreprises déclarent leurs ventes et il est peu probable que les autres fonctionnaires concernés (ins- pecteurs, bureaucrates. . .) disposent de cette information.

Les estimations obtenues après instrumentation des variables F raude et F raude2 ré-

vèlent quelques différences avec nos résultats principaux mais affectant uniquement les variables de contrôle. La taille des entreprises, à la fois leur capital et le nombre de leurs employés, ne permet plus de discriminer les comportements vis-à-vis de la corruption. En revanche, les effets des variables principales, la fraude fiscale et la compétitivité, sont inchan- gés. Les entreprises sont d’autant plus à même de verser des pots-de-vin qu’elles pratiquent moins la fraude fiscale si celle-ci dépasse un certain seuil, elles le sont d’autant moins si la fraude fiscale est inférieure à ce seuil. En outre, plus les entreprises sont compétitives moins elles ont tendance à s’impliquer dans la corruption administrative.

Ces estimations sont cependant biaisées dans la mesure où elles découlent de l’utilisation de la valeur instrumentée de la fraude fiscale, qui n’est pas justifiée puisque cette variable n’est pas endogène. Elles ne remettent donc pas en question les résultats principaux de la section 3.4.