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3.4 Principaux facteurs de corruption législative et administrative au Maghreb

3.4.2 Corruption législative

Les coefficients obtenus pour β ne sont pas égaux aux effets marginaux des variables ex- plicatives sur les probabilités conditionnelles. Donc, dans le tableau 3.2, nous n’interprétons que le signe des coefficients et non leur valeur ; ensuite, les chiffres fournis dans les tableaux 3.4 et 3.5 indiquent les effets marginaux ∂y/∂xk des variables explicatives respectivement

incluses dans les modèles 1.13 et 2.1212. Pour les variables muettes, ∂y/∂x

k représente une

variation discrète de la variable de 0 à 1.

La fréquence de corruption législative n’est pas affectée de façon significative par les variations de l’ampleur de la fraude fiscale de la part de l’entreprise13. Si l’on contrôle pour

le capital de l’entreprise, l’impact positif de la fraude fiscale sur la corruption législative n’est en effet plus significatif. Ceci devrait s’expliquer par la forte corrélation du capi- tal de l’entreprise d’une part avec la corruption législative (corrélation négative, comme

12Cependant, ces chiffres doivent être considérés avec précaution car les estimateurs ne sont consistants

que sous l’hypothèse d’une distribution normale des termes d’erreur.

13Le coefficient associé à la part de fraude fiscale est significativement positif si l’on ne contrôle pas pour

le capital de l’entreprise : dans ce cas, plus la proportion des ventes non déclarées de l’entreprise est élevée, plus elle est susceptible de verser des pots-de-vin pour influencer le contenu de nouvelles lois la concernant, probablement les lois visant par exemple à sanctionner les activités occultes.

Tab. 3.2 – Estimations par probit ordonné : modèle initial et modèle final

Modèle 1.1 1.13 2.1 2.12

Variables Corruption Corruption

explicatives législative administrative

F raude.10−1 0.35 0.47b 0.38a (0.23) (0.18) (0.09) F raude2 .10−3 -0.44 -0.39 -0.33b Variables (0.35) (0.26) (0.13) principales Compet -0.78a -0.69a -0.46c -0.53a (0.23) (0.18) (0.26) (0.19) DroitsP rop -0.41 -0.36b -0.16 (0.28) (0.18) (0.26) Recours 0.23 0.31 Liens (0.45) (0.41) avec T ax.10−2 0.44 0.54 l’État (0.90) (0.76) Regl 0.11 -0.03 (1.15) (0.48) Capital.10−9 -0.75b -0.30b -0.07 -0.07a (0.35) (0.14) (0.05) (0.02) P DG 0.32 0.44b 0.22 (0.25) (0.17) (0.27) Caractéristiques N bEmp.10−2 -0.08 -0.19b -0.16a des firmes (0.07) (0.08) (0.06) Annee.10−1 -0.03 0.13 (0.09) (0.09) CapP ub.10−1 0.19c 0.12b (0.10) (0.05) CapEtr.10−2 0.12 -0.15 (0.48) (0.42) T unisie 0.36 -0.34c 0.02 Pays (0.67) (0.20) (0.35) M aroc 0.67 0.13 (0.64) (0.36) AssurF in.101 -0.76a -0.80a (0.02) (0.02) Hotel.101 -0.10b Secteurs (0.04) T ransport -0.91c (0.52) IndConstru 0.59b (0.26) Observations 110 217 116 213 Log-vraisemblance -112.4 -239.2 -133.6 -277.5

Notes : Les écarts type sont entre parenthèses : la significativité des coefficients notés a n’est

pas rejetée au seuil de 1%, celle des coefficients marqués b ne l’est pas à 5% et c à 10%.

Tab. 3.3 – Effets marginaux pour la corruption législative

Fréquence de corruption législative

Jamais Rarement Quelquefois Souvent Plupart du temps Toujours

Compet∗ 15.74 -8.49 -4.26 -1.44 -1.17 -0.38 DroitsP rop∗ 7.18 -4.17 -1.87 -0.58 -0.44 -0.13 Capital.10−9 5.53 -3.31 -1.41 -0.42 -0.31 -0.08 P DG∗ -9.04 5.17 2.38 0.75 0.58 0.17 T unisie∗ 5.81 -3.56 -1.45 -0.42 -0.30 -0.08 AssurF in∗ 16.49 -10.67 -3.83 -1.06 -0.74 -0.19

Notes : Les effets marginaux sont calculés pour le point moyen des variables explicatives continues, et pour une variation discrète de 0 à 1 des variables indicatrices (notées∗). Les chiffres font référence à des

points de pourcentage.

le montre le tableau 3.2), d’autre part avec la fraude fiscale (corrélation négative aussi, comme le montrent Gauthier et Reinikka (2001)). Ainsi, les entreprises à plus petit capital pratiqueraient davantage à la fois la fraude fiscale et la corruption législative. Cependant, la régression d’instrumentation de la fraude fiscale (présentée dans le tableau 3.13 en annexe) n’indique pas de corrélation significative entre taille du capital et fraude fiscale, ce qui met en doute cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, le capital de l’entreprise est un meilleur discriminant des pratiques de corruption législative que la fraude fiscale. Finalement, la corruption législative n’émerge pas clairement ni comme complément ni comme substitut de la fraude fiscale.

Par ailleurs, la compétitivité de l’entreprise a un impact négatif et significatif sur son implication dans la corruption législative. Les entreprises dont la part de marché est stable ou croissante déclarent être moins souvent obligées de verser des dessous-de-table que celles qui souffrent davantage de la concurrence. La compétitivité semble être l’un des facteurs les plus décisifs de corruption législative par les entreprises d’Afrique du Nord, mais l’effet que nous soulignons est opposé à celui qui est mis en évidence à la fois dans des études théoriques et empiriques sur le sujet (voir Svensson (2003) et Bliss et Di Tella (1997)). Ici, la probabilité de payer des pots-de-vin, quelle qu’en soit la fréquence, est significativement plus élevée pour des entreprises moins compétitives même si l’écart de probabilité décroît avec la fréquence des pots-de-vin. Le tableau 3.3 se lit de la façon suivante : une entreprise dont la part de marché commence à décliner voit sa probabilité de considérer que les entreprises

du même secteur pratiquent souvent la corruption législative augmenter de 1.44 points de pourcentage. En effet, la perte de compétitivité d’une entreprise sur son marché peut l’entraîner à se tourner vers la corruption afin d’influencer à son avantage le contenu des lois et des règlements la concernant, pour essayer de reconquérir un peu de sa part de marché ou pour obtenir des marchés publics. Cependant, il convient de noter que ces résultats peuvent être biaisés à la hausse en raison de la tendance que peuvent avoir les entreprises en perte de compétitivité à surdéclarer les phénomènes de corruption pour fournir une justification à leurs difficultés.

La corruption législative diminue de façon significative avec la sécurité des droits de propriété et de contrat. Ces résultats convergent avec ceux de Hellman et al. (2000) sur les pays d’ex-URSS. Les entreprises dont les droits des contrats et de la propriété sont peu ou pas respectés peuvent acheter des fonctionnaires influents pour corriger l’injustice et obtenir une protection individualisée de ces droits. Par conséquent, la corruption lé- gislative peut être une façon de réduire des coûts supplémentaires de transaction dus à une mauvaise application de la loi. Passer d’une mise en vigueur souple à une mise en vigueur stricte des droits de propriété augmente de 7.18 points de pourcentage la probabi- lité de ne jamais avoir à effectuer de versements occultes pour influencer le contenu des lois.

D’autre part, plus le montant du capital de l’entreprise est élevé, moins elle pratique la corruption législative. Ainsi, les petites entreprises, étant souvent plus vulnérables face à la concurrence, se livrent plus fréquemment à la corruption législative pour se protéger de l’incertitude ou se faire une place dans leur secteur. Ceci remet donc en question l’argument selon lequel les entreprises qui se livrent moins à la corruption en général et à la corruption législative en particulier sont celles qui ont le plus de ressources. Mais ce résultat pourrait s’expliquer par la plus grande prudence dont font preuve les grandes entreprises dans leurs réponses. Cependant, comme nous le montrons dans la section 3.5, la probabilité de réponse aux deux questions sur la corruption n’est pas significativement affectée par le capital (la taille) des entreprises. Il se peut cependant que la « discrétion » des grandes entreprises sur leurs pratiques de corruption se traduise non par un refus de répondre mais par une

minimisation de la fréquence de versement des pots-de-vin.

Le signe du coefficient associé au statut professionnel de la personne interrogée donne des informations intéressantes. La situation professionnelle affecte la perception de la cor- ruption. Plus la personne interrogée a de responsabilités, plus elle a de chances de déclarer que l’entreprise verse souvent des dessous-de-table pour modifier le contenu des lois et rè- glements, autrement dit qu’elle pratique la corruption législative. Une première explication réside dans le caractère secret de la corruption : si des PDG sont mieux informés des pra- tiques de corruption législative de leur entreprise que les directeurs des ressources humaines, c’est peut-être parce que ces derniers ont moins accès à de telles informations ou activités qui concernent plus directement les directeurs généraux. Une seconde interprétation pour- rait être que même s’ils sont au courant de telles pratiques, les employés sont moins enclins à les révéler par peur d’être sanctionnés, voire licenciés par leurs supérieurs.

Nous introduisons également des dummies qui contrôlent les effets propres au pays et au secteur d’activité principale. Seuls deux coefficients sont significatifs. Le fait d’être implanté en Tunisie réduit la propension des entreprises à chercher à influencer la formulation des lois en versant des paiements officieux : la corruption législative est ainsi plus largement répandue en Algérie et au Maroc qu’en Tunisie. Enfin, le seul secteur d’activité pour lequel la corruption législative est significativement plus faible que dans tous les autres secteurs est celui des assurances et de la finance. Ceci est probablement dû au fait que les marchés – publics ou privés – sont moins générateurs de rente dans les secteurs de services, et dans celui-ci en particulier, que dans les secteurs de l’industrie. Le secteur des assurances et de la finance est donc moins susceptible d’attirer des pots-de-vin.

En résumé, nos résultats montrent que les entreprises d’Afrique du Nord sont plus enclines à se livrer à la corruption législative principalement lorsque leur part de marché décline, lorsque leurs droits de propriété et de contrats sont mal respectés, et lorsque elles ont un capital assez faible. Au total, la corruption législative apparaît comme un recours pour l’entreprise lorsque son activité est menacée par la concurrence. Comme indiqué plus haut, ces interprétations sont fondées sur l’hypothèse que les firmes révèlent leur propre

comportement en répondant aux questions sur leur entourage. Si tel n’est pas le cas, nos résultats montrent plutôt que plus l’activité d’une firme est menacée (par son manque de compétitivité, par une protection défaillante de ses droits...), plus elle a tendance à dénoncer ou à percevoir une corruption élevée de la part des firmes de son entourage.