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La d´ecouverte de l’Am´erique par Christophe Colomb en 1492 et celle de la route maritime de l’oc´ean Indien par Vasco de Gama qui franchit le cap de Bonne Esp´erance en 1497 vont modifier

la donne d’un monde centr´e sur la Mare Nostrum. D`es lors, une partie de la puissance navale

quitte l’espace confin´e de la M´editerran´ee et ´evite ainsi l’incommodit´e d’un relais arabe pour le

commerce avec l’Orient. Port´ee par les nouvelles techniques de navigations v´eliques et le dynamisme

de nouvelles nations atlantiques, les caravelles font voile vers le nouveau monde et la conquˆete des

routes transoc´eaniques. Gˆenes et Venise perdent alors leur monopole dans le commerce des ´epices et

laissent petit `a petit les places `a Lisbonne ou Cadix puisque ce sont les pays ib´eriques qui ont men´e

la danse dans le domaine des grandes d´ecouvertes. Les Portugais ont cherch´e une nouvelle route des

Indes dans le contournement de l’Afrique. Apr`es l’occupation de Mad`ere et des A¸cores, d´ecouvertes

respectivement en 1419 et 1431, ils envoient chaque ann´ee un convoi avec pour mission de pousser

toujours plus loin le long des cˆotes de l’Afrique. Les Espagnols, quant `a eux, acceptent les services

du navigateur g´enois et financent l’exp´edition qui aboutit en 1492 `a la red´ecouverte de l’Am´erique

(Verlaque, 1975).

Petit `a petit, de port en port, se cr´ee un r´eseau de routes maritimes, caract´eris´e selon le vocabulaire

de la th´eorie des graphes par unsyst`eme non connexepuisque chacun op`ere sur une portion qui lui

est d´evolue (fig. II.3A). Il existe mˆeme une ligne de d´emarcation plac´ee `a 370 lieues du Cap Vert par le

trait´e de Tordesillas (1494). Cette organisation, qui peut ˆetre qualifi´ee d’exclusive ou de pr´ef´erentielle,

trouvera une certaine globalit´e puisque l’Espagne et le Portugal parviennent `a peu pr`es `a s’accaparer

l’ensemble du commerce maritime mondial. Les Portugais drainent les ´epices de l’Insulinde et des

Indes vers l’Europe par le contournement de l’Afrique. Les galions espagnols am`enent `a Cadix pierres

et m´etaux pr´ecieux, mais aussi produits agricoles du Nouveau Monde. Cette premi`ere phase dans le

processus de construction des r´eseaux maritimes reste marqu´ee par un hasard et une spontan´eit´e,

parfois encadr´ee, et m`ene `a l’´emersion de pans entiers du globe malgr´e un maillage du monde qui reste

al´eatoire.

L’´evolution de ce syst`eme d’exclusivit´e se fait essentiellement par la concurrence et l’affrontement

p´eriodique sur mer et sur terre, qui finissent par ruiner l’h´eg´emonie ib´erique (Bataille de Gravelines,

1588) et la remplacent tr`es vite par une seconde, l’h´eg´emonie britannique. Places fortes, comptoirs,

bases navales jalonneront alors un parcours tenu par la Royal Navy et les compagnies marchandes

jusqu’au march´e lointain de l’Inde.

Devenue alors puissance incontest´ee sur mer, la Grande-Bretagne surinvestit l’oc´ean en s’octroyant

une succession de bases navales en particulier sur les d´etroits. D`es 1704, elle occupe Gibraltar, puis

Minorque (1708-1782), Malte (1800-1964), Chypre (1878-1960), la M´editerran´ee restant la voie la plus

courte vers l’Empire Britannique des Indes. Ensuite, afin de s´ecuriser tout son parcours vers l’Asie,

elle occupe Singapour en 1819, puis Aden en 1839 (B´ethemont, 2001). En installant ses int´erˆets au

Maghreb, en Egypte, `a Djibouti, la France suit le mˆeme mouvement. En 1849, avec l’abolition des

actes de navigation, la Grande-Bretagne se rallie au concept demare liberumapr`es lui avoir longtemps

oppos´e celui demare closum qui sous-entend un rapport de force et donc une mer r´eserv´ee `a l’´Etat le

plus puissant. Les navires du monde entier sont alors en mesure de circuler `a leur gr´e. La maritimisation

des ´echanges s’acc´el`ere, elle accompagne leur mondialisation.

Cette colonisation, parachev´ee au XIX

e

et au d´ebut du XX

e

si`ecle, sous l’´egide de la France et

de la Grande-Bretagne, mais aussi de la Belgique, de l’Allemagne et de l’Italie, va trouver sur le plan

´economique un auxiliaire pr´ecieux dans le navire `a vapeur puisqu’il permettra `a la fois d’´etablir des

lignes r´eguli`eres et de transporter des marchandises lourdes. Cette expansion des transports maritimes

internationaux b´en´eficie alors de l’av`enement progressif du syst`eme du libre ´echange, d´eriv´e lui-mˆeme

en partie de la r´evolution industrielle. Forte de son industrie naissante, l’Angleterre victorienne se

fait, comme le souligne Verlaque (1975), le ”champion du libre-´echange” et entraˆıne la France et

une partie de l’Europe dans ce mouvement de la maritimisation de l’´economie mondiale. Ce mod`ele

victorien devient un v´eritable ordre mondial qui s’appuie sur les ´echanges commerciaux par mer :

exportation de produits fabriqu´es issus de la r´evolution industrielle en ´echange de produits agricoles

et de compl´ements de mati`eres premi`eres (Vigari´e, 1995).

Ce mod`ele sera `a l’origine du syst`eme conf´erentiel (fig. II.3 B), puisque certains exploitants

de navires pour le transport de marchandises s’associent pour conjuguer leurs investissements dans

un march´e en pleine explosion et pour r´eguler les taux de fret sur certaines lignes r´eguli`eres. Si ces

ententes tarifaires sont contraires `a l’esprit du lib´eralisme, la mise en place des conf´erences maritimes

au moment de son av`enement (fin XIX

e

si`ecle), montre d´ej`a l’ambigu¨ıt´e de certains agents ´economiques

`

a l’´egard de cette nouvelle doctrine et d´ej`a les volont´es d’effacer la r´ealit´e de la concurrence. Cette

organisation segment´ee du transport maritime, malgr´e les critiques et les organisations parall`eles, n’a

´et´e d´emantel´ee que depuis 2008 dans l’Union europ´eenne.

Cet ordre mondial correspond, `a l’aube de la modernit´e, `a un second moment dans le processus

de constitution du r´eseau. ”Le march´e mondial de l’´epoque est une somme de march´e coloniaux,

4.3 Un r´eseau fortement articul´e par les ´evolutions de l’´economie mondiale 107

et la colonisation cr´ee un commerce international ferm´e. Les r´eseaux cherchent `a se mondialiser

et y parviennent du point de vue de leur structure physique, mais leur fonctionnement reste limit´e

[. . . ]” (Santos, 1997). Cependant, le r´eseau commence `a perdre sa forme spontan´ee et une certaine

organisation d´elib´er´ee apparaˆıt. La r´evolution des techniques participe `a cette organisation. Les deux

grands canaux interoc´eaniques, Suez et Panama, fruits de cette r´evolution, vont devenir des noms

d’objets et de lieux symbolisant l’acc´el´eration de la mise en r´eseau.

4.3.2 Le percement des deux grands canaux interoc´eaniques

Dans ce contexte de boom des ´echanges par mer et en parall`ele de l’am´elioration des techniques

de navigation et du d´eveloppement du g´enie civil, les deux grands canaux interoc´eaniques vont

ˆetre creus´es. Ces passages artificiels seront l’objet de formidables luttes d’influence entre les ”pays

traditionnellement maritimes” (Vigari´e, 1995) et les nouvelles puissances. Ce sont des espaces `a fortes

contraintes pour la navigation, mais en raccourcissant consid´erablement les distances (cf. tab. II.1),

ils permettent de r´ealiser des ´economies de temps, de consommation et d’exploitation des navires et

deviennent ”de v´eritables acc´el´erateurs de la r´evolution du steamer” (Guillaume, 1999). Canaux et

d´etroits deviennent des lieux g´eostrat´egiques, des points chauds de l’´economie mondialis´ee, le long

d’un axe circumterrestre.

Cap de Bonne Esp´erance Canal de Suez Gains

Segments

(Milles) (Milles) %

Algeciras - Tokyo Yokohama 13800 9850 28,6

Algeciras - Shanghai 13300 9200 30,8

Algeciras - Bombay 9800 4900 50

Alg´eciras - Aden 9150 3350 63,4

Tableau II.1 – Distances depuis Algeciras entre la route de Suez et la route du Cap et gains obtenus entre les deux routes.

4.3.2.1 Le canal de Suez

L’id´ee de la construction d’un canal maritime, c’est-`a-dire accessible aux navires de haute mer

jusqu’`a un certain tonnage, est fran¸caise. Le premier trac´e est relev´e en 1798 par l’architecte fran¸cais

Jean-Baptiste Lep`ere, membre de l’exp´edition de Bonaparte en Egypte, qui imagine alors un canal sur

un trac´e Suez-Alexandrie. Ces travaux attirent l’attention de l’ing´enieur fran¸cais Linant de Bellefonds

qui lui substitue un trac´e plus direct `a travers l’isthme de Suez. En 1833, il est appuy´e par Prosper

Enfantin, ing´enieur adepte du comte de Saint-Simon, th´eoricien du d´ebut du si`ecle qui promet un

avenir rayonnant grˆace aux progr`es des techniques et de l’industrie (Morsy, 1989). Le projet int´eresse

alors Ferdinand de Lesseps, consul de France `a Alexandrie et ami du Vice-roi d’Egypte Mohamed

Sa¨ıd. Reste `a convaincre l’opinion europ´eenne afin de faire appel `a l’´epargne publique et surmonter

l’opposition du gouvernement anglais au projet (Moghira, 2002).

”Il faut faire disparaˆıtre le seul obstacle laiss´e par la providence sur la grande route du commerce du monde.”

”La coupure de l’isthme est destin´ee `a faire communiquer 300 M d’occidentaux avec 700 M d’orientaux, en abr´egeant de 3000 lieues en moyenne la distance qui les s´epare.”

”Cette abr´eviation donnera une impulsion consid´erable au mouvement commercial existant entre l’extrˆeme orient et toutes les villes du monde occidental, qui sont comme Nantes au premier rang de leur intelligence et de leur activit´e.”

Encadr´e II.2 – Extraits de la conf´erence de Ferdinand de Lesseps `a Nantes sur le canal maritime de Suez le 8 d´ecembre 1866. Source : de Lesseps et Sabbatier 1867.

De Lesseps cr´ee en 1856 la Compagnie Universelle du Canal de Suez, avec une concession de 99

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