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Chapitre 3 : Les cadres théoriques

4. La théorie de l’activité

4.1 Ecart de pratique

Si nous parlons d’activité dans le cadre de la didactique professionnelle, nous sommes tentés de la comparer à l’activité prescrite, et ceci est d’autant plus vrai que nous nous situons en formation initiale où l’évaluation est nécessaire pour l’apprenant.

Comment éduquer les apprenants à se servir de l’erreur pour construire leurs connaissances ? Comment donner de la noblesse à l’erreur ?

Nous tenons dans cette partie, à aborder le statut de l’erreur qui nous semble fondamental en formation initiale. Trop longtemps vécue comme ce qu’il ne faut (surtout) pas faire, nous prenons l’engagement de démystifier l’erreur. L’erreur est un des facteurs reconnus comme responsable d’accidents comme notamment dans le milieu de la santé. L’industrie, la conduite automobile, les centrales nucléaires considèrent l’erreur comme le vecteur à éliminer, non seulement pour réduire les risques d’accidents, mais également comme paramètre impactant les finances d’une entreprise. Elle sert également à évaluer les performances et lorsque l’on parle autour de la notion de compétence, forcément nous pensons implicitement à l’efficacité, à la productivité. L’erreur depuis les années dix-neuf cent soixante-dix est devenue un sujet de recherche. A travers elle, nous recherchons des dysfonctionnements cognitifs pouvant entraîner une baisse de productivité.

Dans le cadre de notre travail, nous pouvons aussi croire que le raisonnement clinique dans une pratique de simulation peut en effet en être l’origine. Au cours de la simulation, il faut « dédiaboliser » la notion d’erreur. Il faut au contraire laisser la place à l’erreur. Astolfi (2012) mentionne que le fait de commettre une erreur peut être assimilé comme un indicateur intéressant. Les psychologues qualifient l’erreur comme le fait de ne pas avoir atteint l’objectif prévu initialement. Dans le secteur de l’industrie, elle fait référence au delta qui peut exister entre la norme prévue de la tâche et l’accomplissement réel. En simulation, il nous semble intéressant de permettre à l’apprenant de mesurer l’écart entre l’attendu et la réalisation de l’apprenant. Dans ce cadre-là, le terme d’erreur nous semble inapproprié et de plus mettrait un obstacle durant la simulation en contradiction avec les valeurs exprimées durant le briefing. Cette « évaluation », qui n’en est pas une, est la résultante du système homme/activité/environnement. Plus l’apprenant maîtrise ces interactions, plus il sera à même de développer sa ou ses compétences.

Si nous voulons améliorer la séquence de simulation, le facilitateur doit être capable de mesurer cet écart pour permettre à l’apprenant une métacognition. L’erreur ou la non-conformité peut être identifiée par :

Le résultat final : nous parlons là, de ce qui motive au départ l’apprenant. Il s’est imaginé un possible, il l’a certainement visualisé en termes d’indicateur objectif, la finalité de l’action (par exemple, « mon patient au final devra être oxygéné avec une saturation correspondante à 98% »). Cette ressource interne d’ordre conatif, fait partie de la mobilisation de son savoir. Il sera un vecteur de réussite ou au contraire de réajustement de son schème déficient. • Les moyens mis en œuvre pour terminer la tâche. Nous retrouvons là, l’ensemble des ressources internes et externes qui sont présentes pour faire face à la situation. L’apprenant durant le feedback ou la phase de débriefing

sera à même de s’autoévaluer pour ne conserver que les ressources les plus efficaces de son action de résolution de problème.

Dans les deux cas, c’est un écart qui est mesuré par rapport à une référence de base (Allard & Starkes, 1991 ; Alvarez, Rampnoux, Jessel, & Methel, 2007 ; Rasmussen, 1986 ; Reason, 1993). Selon Leplat (1999), il s’agit de « déviation par rapport à une norme standard » (p.35).

Nous énonçons maintenant ces écarts de pratiques en commençant par ceux retrouvés dans un environnement familier. Dans un second temps, nous aborderons les comportements basés sur les habiletés techniques, les connaissances et les règles afin de mieux comprendre les possibilités de « malfaçon ».

En simulation et selon Dubrous et Eymard, (2017), les erreurs se répartissent de la sorte :

• 25,2% d’erreurs sont d’origine technique • 21,1% sont relatives aux processus cognitifs 53,7% sont considérées comme non-techniques

Ces Résultats sont issus, après réalisation, de cent soixante-six séances de débriefing.

Devant cette acceptation de l’erreur, nous pensons qu’il faut toutefois émettre certaines réserves constructives en énonçant des biais. Comme le précise Policard (2018), « la pédagogie de l’erreur est régulièrement mise en avant dans la formation des formateurs, et sa plus-value est souvent évoquée ensuite par ces formateurs dans leurs séances. » (p.60). Cependant, il nous faut être attentif à deux biais possibles pouvant ainsi fausser notre débriefing.

Le premier, à force de dire que oui, l’erreur est pédagogique, nous craignons sa banalisation. Certes, elle n’a aucune conséquence en simulation, mais dans le cadre d’une profession soignante, elle peut être grave en immersion clinque. C’est pour cela, qu’il faut bien discerner l’action en simulation et celle en réel. L’apprenant doit avoir un comportement différent selon ces deux environnements.

Le second biais possible, présent lors du débriefing est souvent engendré par le formateur. Autant, il est facile de se centrer sur les erreurs qui peuvent amener des corrections sur l’action, le raisonnement et les savoirs, autant, travailler, verbaliser la bonne action est aussi constructive pour les apprenants. C’est en Anglais, « le good

judgement » (Rudolph et al., 2007).

4.1.1 Ecart de pratique dans un environnement non

familier

L’apprenant en simulation va évoluer dans un environnement non familier même si le simulateur doit être le plus fidèle possible à la réalité. De plus, l’apprenant est en formation initiale avec par définition très peu d’expérience clinique. Les capacités de traitement de l’information suite à cette déstabilisation peuvent être dépassées. Cet inconnu, ce manque de connaissances de l’environnement devra être en partie gommé par le briefing et le pré briefing afin de ne pas biaiser le processus de simulation. Dans son

raisonnement clinique durant la simulation, l’apprenant doit rapidement reconnaître les tâches familières et les non familières pour prioriser ces dernières et lui faciliter l’action.

Toutefois, l’écart de pratique peut être également lié à un manque de connaissance (le savoir). L’apprenant ne comprend pas la situation car il n’a pas la connaissance nécessaire pour résoudre le problème posé en simulation. Le côté positif, faire des erreurs, ne pas avoir un comportement conforme sera riche d’enseignement. A partir de ce constat, l’apprenant va se forger des possibles, des solutions pour, la prochaine fois, affronter l’environnement jusque-là, inconnu. Il emmagasine des informations, de l’expérience qui forgent sa compétence. Le discours du facilitateur se doit de « glorifier l’erreur », de permettre l’erreur et de la représenter comme un bien, une nécessité. Ce temps, se fera durant le briefing initial. Pour qu’il y ait une construction du savoir, il faut passer par l’échec, l’erreur, la non-conformité. Travailler sous la contrainte de diminuer les erreurs serait contre-productif et serait un frein à l’apprentissage. Selon Leplat (1999), la réalisation d’erreurs va engendrer des explorations amenant la réflexivité. Cette « exploration » est bien sûre active de la part de l’étudiant pour rendre efficiente ses connaissances. Si l’environnement est familier pour l’apprenant, il convient d’être attentif au comportement. La confiance excessive peut fournir au final une inadaptation à la réalisation de la tâche (Nebois et al., 1996), le sujet pouvant être dépendant des automatismes inconscients et peut être infidèle ou inefficace.

L’activité en simulation va être orientée uniquement par l’objectif final (souvent, soigner le patient). Rasmussen (1983, 1986) parle de comportement théologique, il dépend principalement de l’expérience acquise. Il n’est pas, comme peut l’indiquer le modèle behavioriste, uniquement limité à un enchaînement de « stimuli-réponse ». Cette expérience est magnifiée afin d’obtenir un comportement adapté à la situation rencontrée par l’apprenant.

En comparaison, un environnement familier va faire ressortir la notion de règle. Celle-ci, permet, dans un environnement connu, d’être codée sous forme de signal et de permettre une adéquation avec la tâche. Dans le non familier où l’expérience n’existe pas, les signaux sont absents. L’apprenant se doit de mettre en place des hypothèses, de les hiérarchiser puis de tester la plus probable et ainsi se créer une gamme de possibles par rapport à un environnement. L’hypothèse-action enrichira par la suite le répertoire des représentations mentales adaptées à l’environnement de l’apprenant. La difficulté dans un contexte non familier sera de choisir l’hypothèse la plus appropriée.

La notion d’expérience demande d’aller un peu plus loin dans l’analyse de ce paramètre prédominant dans la réalisation d’une tâche. Elle est le seul indicateur en formation qui permet de mettre en place les procédures adéquates. Observons la différence entre un novice et un expert. Cela revient à observer l’interaction homme- situation-environnement. Pour quelle raison, l’expert, dans la même situation, ne commet pas d’erreur ou d’écart ? Le modèle établi par Rasmussen (1986) permet de nous faciliter la compréhension.

Rasmussen (1986) a beaucoup travaillé sur l’erreur dans l’industrie. Ses études ont permis de rendre compte des paramètres cognitifs directement liés à l’environnement, au milieu. Il propose d’utiliser dans son modèle, l’habileté (technique ou skill), les règles (rules)

et la connaissance (knowledge) qui interviennent selon une modalité hiérarchisée (Rasmussen, 1983, 1986).

Le niveau 1 ou niveau des habiletés est l’expression des performances psychomotrices (sensori-motrices selon Rasmussen) qui s’effectue selon un processus contrôlé.

Le niveau 2 ou niveau des règles, est lié à l’objectif et il est le savoir-faire.

Le niveau 3 ou niveau de la quantité des connaissances permet la résolution de problème complexe par l’analyse de la situation.

Ces trois niveaux sont corrélés avec le niveau d’expérience de l’apprenant. Nous allons retrouver un environnement non familier durant notre étude malgré des modalités qui vont préparer les apprenants à une situation donnée. Celle-ci sera la confrontation avec la mise en situation réelle.

4.1.2 Comportement basé sur les habiletés (skill)

L’apprenant va plutôt l’utiliser dans des situations familières, sans inconnu. Le comportement adapté est automatique et reconnu par l’individu. Le signal est sensorimoteur (psychomoteur) et il va suffire à associer une action sans intervention consciente. Dans ce cadre-là, nous retrouvons le stimuli-réponse. Ce type de comportement sera d’autant plus développé que l’apprenant possède en lui une solide expérience. Plus des situations diverses auront été vécues, plus le système basé sur les habiletés sera riche et utilisé. La personne va au fil du temps créer un modèle mental dans lequel seront stockées des scénarii qui amèneront à des séquences d’action. A ce niveau, les écarts entre la tâche prescrite et réalisée peuvent être faussés par des omissions ou des comportements inadaptés au contexte rencontré.

Un exemple, la marche ou le vélo sont des activités qui ne nécessitent aucune action consciente. Il s’agit d’action globale avec des sous tâches comme avancer un pied puis l’autre, se diriger, pas de nécessité de rechercher des informations supplémentaires dans ce cadre prévisible. Ces informations seront juste, au fil du temps, réactualisées pour compléter le modèle mental comme par exemple faire attention à une chaussée mouillée (Reason, 1993). Nous visualisons dans la figure 9, le modèle SRK proposé par Rasmussen (1983). Nous retrouvons le S comme Skill, le R comme Rule et le K comme Knowledge. Ainsi, nous pouvons identifier à travers cette illustration les différents niveaux hiérarchisés par Rasmussen (1983). Nous pouvons remarquer que certains niveaux pourront amener une réaction plus rapide pour accomplir une activité.

Figure 9 : SRK, modèle de comportement (Rasmussen, 1983)

4.1.3 Comportement basé sur les règles

Dans les situations familières, le comportement sera régi par des règles ou des processus. Ils sont le résultat des expériences. L’apprenant relève, dans le contexte auquel il fait face, un certain nombre d’informations. Puis, il code selon des « signes » qui vont amener vers une action de référence. Le stimulus sera donc un signe qui une fois reconnue enclenche la succession reconnaissance-association-règle. Les règles constituées, mémorisées fournissent rapidement des solutions posées par la réalisation de la tâche et ainsi créent un conditionnement propre au comportement d’action. A ce niveau, l’apprenant n’est plus considéré comme un débutant puisque l’expérience est utilisée.

Pour imager ce modèle de comportement, nous pouvons prendre comme exemple, le piéton qui va s’arrêter et regarder à droite et à gauche avant de traverser la route. Il ne le conscientise pas, par accumulation d’expérience, il a acquis ce type de règle comportementale qui est donc inconscientisée.

4.1.4 Comportement basé sur les connaissances

Nous nous trouvons dans ce cas-là, dans un contexte inattendu et non familier. Les procédures habituelles ne suffisent plus pour atteindre l’objectif. L’apprenant va devoir passer par un niveau supérieur car son savoir-faire n’est pas suffisant. Le niveau conceptuel est plus complexe et à un niveau plus élevé, Rasmussen (1983 ; 1986) parle de « goal controlled ». Le mécanisme pour résoudre le problème va permettre la mise en place d’un plan d’action qui devra répondre à l’objectif final de la tâche. Il élabore plusieurs hypothèses, anticipe les résultats finaux, par une réflexion faisant appel à la conscience et

justifiés par ses connaissances personnelles. Elle permettra par la suite la création d’un stock de possibilités d’actions, qui selon les résultats, pourront servir dans un premier temps sur un modèle utilisant les règles. Les écarts peuvent être expliqués par les connaissances inefficaces ou un manque de ressources attentionnelles.

Pour conclure cette partie sur les comportements, dans le cadre de ce travail et en formation initiale, nous identifions principalement un comportement basé sur les knowledges. Ce dernier va amener une réflexion et une recherche de ressources théoriques qui vont au final rendre la tache pénible et lente en comparaison avec un expert. Nous retrouverons cette manière d’agir dans notre étude.

L’analyse de l’erreur, riche en enseignement est prégnante dans le débriefing de nos modalités pédagogiques. Faire exprimer la partie invisible de l’action sera le défi pour nous amener à comprendre l’action. L’autoconfrontation, nous permet de tracer l’invisible avec une catégorisation de ce qui a été fait mais aussi de ce qui n’a pas été réalisé. Nous nous situons, dans cette partie-là, sur l’objectivation du vecteur cognitif de l’apprenant guidé par son but initial. L’apprenant doit répondre au comment de l’action. Nous allons aller plus loin, à travers le raisonnement clinique qui dans le soin permet de comprendre l’action.