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Les droits de l’homme dans le Statut du Conseil de l’Europe

C. Le Congrès de Bruxelles

III. Les droits de l’homme dans le Statut du Conseil de l’Europe

Incontestablement le Conseil de l’Europe souffrait-il, à sa création, de défauts inhérents à l’œuvre de compromis dont il était issu, si bien que l’on peut comprendre la déception qui gagna les rangs fédéralistes, ceux du Mouvement européen et même certains gouvernements115. Soixante ans plus tard, de nombreuses réalisations sont pourtant à son actif, à commencer par la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut rappeler, en effet, que le Statut octroya dès l’origine une place centrale aux droits de l’homme, ce qui contribua à l’adoption de la Convention et au développement des politiques et programmes du Conseil de l’Europe dans ce domaine116.

Premièrement, le préambule consacre un paragraphe, inspiré des traités de Bruxelles et de l’Atlantique Nord117 et digne d’un texte constitutionnel118, aux droits de l’homme – mais sans les nommer –, dans leur dimension morale et fondatrice :

« Les Gouvernements […] ; Inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du Droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable […], ont adopté le présent Statut. »

Les conséquences politiques déduites de ce plus petit dénominateur commun distinguent notamment le Statut du Conseil de l’Europe de la Charte des Nations Unies : les valeurs communes aux Européens sont à l’origine des droits de l’homme et de l’Etat de droit, sans lesquels il ne peut y avoir de démocratie119.

Deuxièmement, le paragraphe suivant du préambule, ainsi que l’article 1let. a, font le lien entre la sauvegarde, la promotion et le triomphe de ces idéaux et la nécessité d’une « union plus étroite » entre les pays européens. Cette exigence de rapprochement est décrite par le Statut comme conditionnant les progrès à long terme, tant de ce

« patrimoine commun » de valeurs que sur les plans économique et social.

Troisièmement, et c’est assurément le point qui revêt le plus d’intérêt, le préambule envisage que le triomphe des idéaux se fera « progressivement ». De même, l’article 1 let. b prévoit plus précisément : « Ce but sera poursuivi […] par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » C’est indéniable, le Statut ne se borne pas à réaffirmer la nécessaire sauvegarde de l’acquis, mais envisage explicitement, au nombre des moyens à disposition du Conseil de l’Europe pour poursuivre ses buts, le développement des droits de l’homme120.

115 Voir par exemple EUROPEAN MOVEMENT, pp. 61 ss. Dans une publication datée du 9 mai, le Mouvement européen affirme avoir été « largement » suivi et, citant Spaak, s’attribue – à juste titre – la paternité de l’institution, en dressant toutefois l’inventaire des lacunes du Statut et en soulignant la faiblesse de l’Assemblée. Voir aussi SIMPSON, Rights, p. 638 ; WASSENBERG, pp. 52 ss.

116 A ce sujet, voir par exemple MODINOS, pp. 147 ss ; PARTSCH, pp. 638 ss, citant notamment LAUTERPACHT, Law, p. 437. Le texte original adopté le 5 mai 1949 fut notamment publié dans EUROPEAN MOVEMENT, pp. 169-183. On en retrouve de larges extraits en français dans GERBET/DE LA SERRE/NAFILYAN, pp. 50-54.

117 Voir supra, no 99.

118 WASSENBERG, p. 53.

119 ROBERTSON, Council, pp. 10 ss.

120 Voir aussi le préambule de la Convention, qui reprend ces éléments et révèle qu’elle est conçue comme contenant les « premières mesures » de mise en œuvre des droits énoncés dans la Déclaration universelle. Sur les buts de la Convention, voir infra, nos 209 ss.

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Enfin, à teneur de l’article 3 du Statut, « la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne […] doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales » sont reconnus par les membres de l’organisation, qui risquent, en théorie, la suspension – voire l’exclusion – s’ils manquent à leurs obligations121. L’article 8 renvoie en effet à l’article 3. Il fallait donc définir sans tarder les critères, autrement dit les droits, qui s’imposeraient aux Etats membres122. Le Statut du Conseil de l’Europe ne fait toutefois mention ni d’une Convention définissant et garantissant les droits évoqués, ni d’un organe judicaire chargé d’en assurer le respect.

Au cours des négociations, les Britanniques appuyèrent le principe d’une Charte régionale, et plus généralement l’idée que la future assemblée puisse se saisir de la problématique des droits de l’homme123. L’objectif d’Ernest Bevin consistait à occuper la future institution sur des terrains où, pensait-il, « elle ne pourrait faire aucun tort » aux gouvernements124. Quoi de mieux en effet que de longs débats, supposés stériles, sur les valeurs morales de l’Europe pour étouffer les velléités fédéralistes des militants continentaux ? A priori, le principe d’un débat et d’un projet de Charte faisait donc l’unanimité125. Le Mouvement européen semble donc avoir su tirer profit d’un concours de circonstances politique. Le recul dont nous disposons permet de mesurer à quel point le Foreign Office britannique, qui ne sut pas tenir compte des effets de l’occupation sur les populations du continent126, refusant toute perspective d’union politique et obnubilé par la peur du communisme, se retrouva pris au piège d’une stratégie à courte vue. Cette posture, ironiquement, facilita initialement l’ouverture du débat sur les droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe.

Quoi qu’il en soit, le résultat des négociations résonnait à cette époque comme une victoire de la diplomatie insulaire. Des ministres siégeant à huis clos au sein d’un Comité maître de l’agenda d’une Assemblée consultative composée de représentants des gouvernements désignés par eux, aucune allusion à une éventuelle Cour des droits de l’homme : Bevin pouvait être satisfait127. Pourtant, à l’été 1949, l’institution, bien qu’imparfaite, ouvrait une voie au projet de Convention du Mouvement européen.

121 Pour une proposition proche de ce résultat final, voir le principe arrêté par le Mouvement européen début 1949 à Bruxelles dans MOUVEMENT EUROPÉEN, Nouvelles, p. 12, no 7. Voir aussi DU RÉAU, p. 55. Sur l’expression « toute personne », voir nos développements infra, nos 362 ss et 369 ss.

122 SIMPSON, Rights, pp. 643 s.

123 Le Foreign Office montra des signes d’ouverture au lendemain du Congrès de La Haye : le préambule du Traité de Bruxelles constituait un point de départ et l’idée d’une Charte régionale n’était plus considérée comme déraisonnable, compte tenu des difficultés rencontrées par la Commission des droits de l’homme de l’ONU (MARSTON, pp. 800 ss ; SIMPSON, Rights, pp. 612 ss). En revanche, toute forme de juridiction supranationale était exclue : un droit de recours individuel auprès d’une Cour internationale des droits de l’homme serait

« prématuré », « impraticable » et surtout « tout à fait indésirable du point de vue des gouvernements concernés » (STEINER, pp. 617 s., et SIMPSON, Rights, pp. 639 s., citant le diplomate Gladwyn Jebb). Les projets du Mouvement européen furent donc très mal accueillis (MARSTON, pp. 802 ss).

124 SIMPSON, Rights, pp. 639 et 644.

125 Voir toutefois infra, no 114.

126 SIMPSON, Rights, pp. 601 s. et 680 s. Selon cet auteur, l’idée largement répandue selon laquelle le Royaume-Uni était le berceau des libertés et qu’elles y étaient mieux protégées que partout ailleurs en Occident modéra d’autant plus l’enthousiasme (pp. 18 ss et 50 ss). Voir aussi MORAVCSIK Andrew, « The Origins of Human Rights Regimes : Democratic Delegation in Postwar Europe », International Organization 2000/2, pp. 217-252, pour qui le soutien à un système international est plutôt un « phénomène post-autoritaire » motivé par des raisons de politique intérieure dans les « nouvelles démocraties » (rupture avec un passé douloureux et gage de stabilité).

Malgré la simplification excessive qu’implique la création de catégories (voir les tableaux pp. 222 et 233 : la France est considérée comme une « nouvelle démocratie »), la démonstration est convaincante, en particulier pour ce qui concerne le Royaume-Uni.

127 Articles 23 let. a et 25 let. a du Statut. Ces dispositions furent heureusement assouplies dès 1951.

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Chapitre 3 Les travaux préparatoires

Les travaux préparatoires à proprement parler, au sein du Conseil de l’Europe, constituent la phase finale de l’élaboration de la Convention. Ils se déroulèrent à Strasbourg, principalement entre août 1949 et août 1950. Il convient de distinguer deux étapes principales : dans un premier temps, l’Assemblée consultative joua un rôle clé en parvenant à se saisir du projet du Mouvement européen (I). Elle adressa ensuite le texte, remanié, au Comité des Ministres en vue de son adoption. A ce stade, la dimension politique prit le dessus : le projet de Convention entra dans une zone de turbulences diplomatiques dont il ne sortit pas indemne (II). Les négociations aboutirent néanmoins et la Convention européenne des droits de l’homme fut signée à Rome le 4 novembre 1950, avec un enthousiasme modéré (III).