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La question de la qualité pour agir d’un requérant individuel peut encore se poser, dans de rares cas, lorsque le fait à l’origine de la violation prétendue est indépendant de toute volonté humaine, étatique ou non étatique473. Une obligation positive peut en effet résulter, par exemple, d’une catastrophe purement naturelle, dans la mesure où l’on aurait été en droit d’attendre de l’Etat une intervention et que sa passivité a engendré une atteinte à des droits tels que, typiquement, le droit à la vie, à la santé ou à un environnement sain (articles 2 et 8 de la Convention)474.

E. Synthèse

En résumé, le système de la Convention – dont le texte ne contient aucune précision quant à l’objet de la requête475 – ne connaît pas de limite à la nature de ce qui peut porter atteinte à un droit de l’homme. Certaines sources de violations sont faciles à appréhender, comme les décisions administratives ou judiciaires. D’autres sont pratiquement intangibles : il en va ainsi par exemple des molécules polluantes générées au quotidien par l’activité privée de tout un chacun. La Cour se montre en principe réticente face aux actes normatifs, qu’elle n’entend pas contrôler directement, même si cette problématique appelle un examen plus approfondi, au Titre V.

La question de la qualité pour agir est donc susceptible de se poser dans une variété infinie de situations, et non seulement lorsqu’un requérant se plaint de l’issue défavorable d’une procédure menée à son encontre. Une limite réside néanmoins dans le fait que la Convention n’autorise pas les contestations directes entre privés : le requérant individuel prétendument victime d’une violation devra toujours mettre en cause la responsabilité de l’Etat, en alléguant le cas échéant la violation d’une obligation positive.

VII. La représentation

La question de la représentation des requérants individuels n’est régie ni par l’article 34, ni par une autre disposition de la Convention. L’article 36 du règlement de la Cour précise que la représentation est possible mais facultative à l’introduction de l’instance (par. 1). Elle n’est obligatoire qu’une fois la requête communiquée au gouvernement défendeur (par. 2), soit à partir du moment où la procédure devient contradictoire. Le représentant doit être en principe « un conseil habilité à exercer dans l’une quelconque

470 Surugiu c. Roumanie, no 48995/99, 20 avril 2004.

471 Deés c. Hongrie, no 2345/06, 9 novembre 2010.

472 Greenpeace e.V. et autres c. Allemagne (déc.), no 18215/06, 12 mai 2009.

473 Voir PÉTERMANN, p. 111 et les références citées n. 565 à 568.

474 Le Vésuve, un volcan, constitue un exemple typique de risque naturel : voir Viviani et autres c. Italie (déc.), no 9713/13, 24 mars 2015.

475 Voir aussi KELLER/KÜHNE, p. 264.

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des Parties contractantes et résidant sur le territoire de l’une d’elles » (par. 4 let. a). En pratique, la communication signifie aussi, pour le requérant, que sa requête n’est pas dénuée de chances de succès, puisqu’elle n’a pas été déclarée irrecevable par un juge unique476. Le requérant doit donc notamment être représenté à toute audience tenue par la Cour à Strasbourg (par. 3). Il peut toutefois être autorisé, « exceptionnellement », à défendre lui-même sa cause (par. 2 et 3), tandis que le président de la chambre peut aussi « agréer » une « autre personne » à la place d’un « conseil » (par. 4 let. a).

Lorsqu’un requérant est représenté conformément à l’article 36 du règlement, son représentant doit produire une procuration ou un pouvoir écrit (article 45 par. 3) dans le délai de six mois prévu par l’article 35 par. 1 de la Convention. A défaut, la requête est irrecevable477. Depuis le 1er janvier 2016, tant le requérant que son représentant sont tenus de signer la rubrique « pouvoir » du formulaire de requête (article 47 par. 1 let. c du règlement). Le non-respect de cette obligation peut entraîner le rejet immédiat de la requête par la voie administrative478.

Dès l’origine s’était posée la question de savoir si la représentation obligatoire par un avocat devait intervenir dès l’introduction de l’instance. La Commission des questions juridiques et administratives de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe s’était déterminée au cours des travaux préparatoires de la Convention en faveur d’une obligation d’être représenté par un avocat pour pouvoir introduire une requête devant l’ancienne Commission479. Le Belge Henri Rolin, hostile à la Cour avant d’y accéder, estimait que le « canal d’un homme de loi » donnerait « une forme compréhensible » à la requête et « constituerait un premier contrôle ». Il ne devait pas être « permis à n’importe quel particulier, à sa seule inspiration, de rédiger une plainte »480. La mesure ne résista pas à l’intervention du Comité d’experts, qui vit dans cette proposition un risque de « triage préalable » des requêtes, potentiellement

« arbitraire », et craignait que nombre de particuliers ne peinent à trouver un avocat prêt à défendre leur cause. Le Comité préféra donc mettre l’accent sur les conditions de recevabilité481.

Ces dernières années, la question s’est posée à nouveau dans le cadre des débats sur la réforme de la Cour et l’engorgement de son rôle, plus d’une affaire sur deux étant introduite sans le concours d’un représentant482. La représentation obligatoire a été présentée par ses promoteurs comme une mesure susceptible de limiter le nombre de requêtes vouées à l’échec. Elle n’a toutefois, pour l’instant, pas été retenue. La solution intermédiaire actuelle nous paraît satisfaisante. En effet, la proposition se fonde sur le postulat selon lequel un avocat peut dissuader un requérant de saisir la Cour en l’absence de réelles chances de succès. Il y aurait une corrélation entre le taux de représentation et le taux de décisions d’irrecevabilité ou de radiation prononcées par un juge unique. Toutefois, sur ces deux points, les avis sont partagés483.

476 Voir infra, nos 348 ss.

477 Voir les références citées infra, n. 612 et 980.

478 A ce propos, voir supra, n. 285.

479 Voir supra, no 124.

480 TP, vol. II, p. 153.

481 TP, vol. IV, p. 39.

482 LAMBERT ABDELGAWAD, Défense, p. 46.

483 Voir à ce sujet CDDH, « Rapport final du CDDH sur des mesures nécessitant des amendements à la Convention européenne des droits de l’homme », in : La réforme, pp. 245-311, nos 15 ss, et en particulier l’« Annexe III ».

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111 Même à supposer que ces arguments s’avèrent fondés, les dossiers fantaisistes ne sont certainement pas les plus chronophages, puisqu’ils font, depuis quelques années, l’objet d’un traitement expéditif et que la Cour a pratiquement effacé l’arriéré de requêtes pendantes manifestement irrecevables484. En revanche, d’autres affaires potentiellement bien fondées, dont certaines sont susceptibles d’aboutir à un arrêt constatant une violation de la Convention, pourraient bien ne jamais être portées à la connaissance de la Cour, un risque qui ne saurait être pris. Enfin, l’obligation de mandater un avocat pour pouvoir introduire une requête supposerait à tout le moins la mise en place d’un système d’assistance judiciaire à la charge de chaque Etat, une mesure d’accompagnement qui outre ses implications budgétaires soulèverait indubitablement plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait485.

Le CDDH explique : « Il n’est pas certain que les avocats réussissent à dissuader leurs clients de déposer des requêtes, même lorsqu’elle [sic] apparaissent comme manifestement irrecevables. Les statistiques de la Cour ne permettent d’ailleurs pas de démontrer que les requêtes présentées par l’intermédiaire d’un avocat fassent l’objet de moins de décisions d’irrecevabilité manifeste que les requêtes présentées par un individu seul. » (« Annexe III », no 21). D’un avis contraire : LAMBERT ABDELGAWAD, Défense, pp. 46 ss et 50.

484 Voir supra, nos 186 ss, 196 ss et 200 ss.

485 CDDH, « Rapport final du CDDH sur des mesures nécessitant des amendements à la Convention européenne des droits de l’homme », in : La réforme, pp. 245-311, « Annexe III », no 22. On pense notamment au contentieux que générerait le refus de l’assistance judiciaire. Voir aussi LAMBERT ABDELGAWAD, Défense, pp. 50 s. : cet auteur ne se prononce pas sur ce problème mais estime que la réforme devrait le cas échéant s’accompagner d’un renforcement de la formation des avocats ainsi que de la mise à disposition par le greffe de la Cour d’une liste indicative d’avocats, un projet déjà évoqué lors des travaux préparatoires (voir supra, n. 168) et qui pourrait être mis en œuvre sur la base du droit actuel.

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Chapitre 2 Les conditions de recevabilité : l’article 35 de la Convention

La qualité pour agir comptant parmi les conditions de recevabilité de la requête individuelle, il convient, après une mise en situation dans l’environnement conventionnel et l’examen des concepts qui interagissent avec elle, de s’arrêter sur les conditions de recevabilité en tant que telles. Il ne nous appartient pas, dans le cadre de cette étude, d’aller au-delà d’un aperçu. Plusieurs conditions, telles que l’épuisement des voies de recours internes, constituent pour elles-mêmes de vastes champs de recherche nécessitant une analyse approfondie. Il est utile cependant de relever quelques éléments d’ordre général concernant les conditions de recevabilité (I), avant d’en dresser la liste sur la base de l’article 35 de la Convention (II).

I. Généralités

Nous distinguerons les rappels de nature historique (A) des commentaires relatifs à la systématique de la Convention (B) et à la terminologie (C).