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Le don d'organes a été évoqué spontanément par trois médecins de notre étude. Ce sujet était néanmoins initié par les patients pour qui ce projet semblait important. D'après l'étude de Thornton et al., les médecins n'en parlaient que très peu à leurs patients en fin de vie alors que la plupart disaient soutenir le don d'organes et convenaient que cela faisait partie de leurs attributions d'en parler (206).

8. Besoins spirituels et religieux

Dans notre étude, la majorité des médecins n'ont pas spontanément parlé de cette thématique. Ils considéraient que ce n'était pas leur rôle de discuter avec le patient de ses besoins religieux ou spirituels, même s'ils ne rejetaient pas le sujet.

La religion et les rites, qui prenaient autrefois une place prépondérante dans la fin de vie, n'ont plus cette place centrale au sein de la population française (50,154). Un sondage mené en 2010 montrait que les obsèques tendaient à se laïciser, avec 45% des Français qui souhaiteraient une cérémonie civile (113). Dans la thèse de Boeuf Gibot, les résidents en EHPAD ne souhaitaient pas d'accompagnement religieux pour leur fin de vie, une des raisons évoquées était que la religion les aurait déçus (98). Simone de Beauvoir, dans son livre "Une mort très douce", raconte aussi comment la religion est progressivement délaissée au cours de la fin de vie (175).

Cependant, les patients auraient parfois besoin de s'appuyer sur leurs croyances pour avancer : "[j'ai côtoyé une] enfant [qui] parlait de sa maladie et de sa mort à venir avec une

incroyable facilité, [...] elle était extrêmement croyante, elle souhaitait presque rejoindre les cieux" (H10). D'après Ahrenfeldt et al., les symptômes anxio-dépressifs seraient atténués

chez les personnes très croyantes et pratiquantes (207). Pour le médecin H13, "la religion

[...] a été inventée pour ça, par rapport à la mort. [...] à l'époque, c'était terrible d'être dans le vide, et de se dire on invente quelque chose qui dit que après ça va bien se passer... Voilà".

117 Jankélévitch le disait déjà à propos des rites : "Ce qu'exprime le traitement des cadavres ou

l'organisation de toutes ces choses là, c'est essentiellement la volonté de rassurer" (114).

Il en serait de même pour leurs familles : "[La] messe d'enterrement [...] était mais

d'un recueillement et [...] d'une joie profonde [...]. Et ses enfants [...] se sont très très bien construits, et le mari, il vient de se remarier [...]. Des gens très très croyants, et je pense que eux, ça leur donnait espoir" (F2). Selon Suhail et al., des musulmans pakistanais ayant

récemment perdu un proche ont pu faire face plus facilement à la mort et au deuil grâce à la religion qui a permis une rationalisation et une acceptation de ce décès. Ils ont maintenu un lien avec le défunt à travers des rituels culturels et religieux (208). Afin de réduire l’impact de la perte et les complications du deuil des proches, les professionnels de santé pourraient donc s’aider de leurs croyances religieuses.

Hall et Curlin suggèrent que la religion influence la relation médecin-malade, qu'il est impossible de rester totalement neutre et que les médecins doivent savoir gérer avec conscience leurs propres croyances lors des prises de décisions médicales (209). Dans l'étude d'Ehman et al., 66 % des patients s'accordaient à dire que leur confiance envers le médecin augmenterait s'il leur posait des questions sur leurs convictions religieuses ou spirituelles, 45% ont rapporté que leurs croyances religieuses influenceraient leurs décisions médicales s'ils étaient gravement malades et 94% des personnes ayant des convictions religieuses pensaient que les médecins devraient leur demander s'ils en ont en cas de maladie grave (210). Il semble donc important d'aborder ce sujet avec les patients en fin de vie.

Dans un sondage américain de 2002, alors que 69 % des répondants ont dit qu’ils voudraient discuter de la spiritualité avec quelqu'un s’ils devenaient gravement malades, seulement 3% souhaiteraient en discuter avec un médecin (211). Le médecin H5 a indiqué que les patients "ne nous voient pas comme quelqu'un avec qui on peut parler de

spiritualité". Selon une étude de 2015, les patients auraient peur de parler de leur croyance

spirituelle à leur médecin car ils ont l’impression que le médecin ne pourrait pas comprendre et ne voudrait pas en parler (59). Pourtant, les questions spirituelles ont tendance à s'infiltrer de plus en plus dans les discussions de fin de vie. Monsieur Vergely a écrit : « Il est,

autrement dit, possible de répondre aux grandes questions que tout homme se pose, dès lors que l’on évite la double tentation de plaquer des réponses artificielles sur la vie ainsi que sur la mort afin d’éviter le vide, ou bien encore de plaquer du vide sur les questions de la vie et de la mort, afin de ne pas avoir à les affronter. Quand on le fait, on est dans l’éthique ainsi que dans la spiritualité en même temps. L’éthique étant la rigueur d’une ligne de conduite que l’on se donne et la spiritualité le souffle dynamisant de l’existence, impossible de les séparer. Rien ne peut se faire sans rigueur et sans souffle. Mieux encore, il y a un souffle de la rigueur et une rigueur du souffle. Il est stimulant d’être exigeant *…+ » (212). Sur le plan pratique, on

peut comprendre que ce "souffle dynamisant de l'existence" est utile au patient.

L'étude de Ruijs et al. montrait que le patient en souffrance perdait le sens de la vie (176). La crise existentielle peut s'exprimer aussi bien dans les paroles que par des plaintes

118 somatiques (153). Certains patients, en quête de sens, du sens de la vie, ont besoin d'extérioriser leurs pensées et de partager leurs convictions spirituelles, religieuses, philosophiques ou existentielles (188,213). Les patients décrivent une forte spiritualité notamment dans les derniers jours de leur vie (78). En 2003, une étude américaine montrait effectivement que les patients étaient d'autant plus favorables à une discussion avec leur médecin sur leurs aspirations spirituelles que la maladie était grave et que la mort était proche (214). Les médecins gagneraient donc à s'intéresser à leurs besoins spirituels.

Une thèse de 2006 a montré que les soignants en soins palliatifs acceptaient le dialogue autour de ce sujet et faisaient preuve d'écoute (12). Dans une autre étude, des infirmières suisses, disponibles et ayant des compétences en communication, tenaient des discussions sur les questions existentielles de leurs patients en fin de vie, leur permettant de se sentir apaisés (116). Un accompagnement spirituel pourrait donc être proposé dans le but de leur apporter une écoute et un soutien continu (153).

Pour ce faire, le médecin pourrait s'aider des échelles de besoin spirituel pour en évaluer l'ampleur, par exemple avec les questions HOPE (215) :

H = hope : ce que peut être source d'espoir, de sens, de confort, de paix, de lien. O = organized religion : est-il en lien avec une organisation religieuse ?

P = personal spirituality / practices : pratiques spirituelles personnelles.

E = effects on medical care and end-of-life issues : répercussions des pratiques sur les soins médicaux et sur son approche de la fin de vie.

Ainsi, il serait intéressant d'initier les médecins généralistes aux approches spirituelles de la mort pour mieux comprendre les choix et les inquiétudes des patients et pour pouvoir les accompagner au mieux surtout dans les derniers jours de leur vie (216,217).

9. Situations particulières