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Les directives anticipées ont été évoquées spontanément par la quasi-totalité des médecins de notre étude. Elles permettent aux personnes qui vont devenir inaptes à consentir, de rédiger en amont leurs volontés concernant les décisions médicales prises en fin de vie ou au moment de leur mort. Elles sont une aide supplémentaire pour les professionnels de santé, en plus des données fournies par la personne de confiance et les proches du patient, pour orienter la décision médicale finale qui sera prise par l'équipe médicale. (190,191)

114 Dans notre étude, les médecins cherchaient à recueillir les volontés, les besoins et les projets du patient. Ils ont noté que la qualité de vie était renforcée et que la mort était plus sereine lorsque l'accompagnement s'était déroulé comme ils le souhaitaient. Cela concorde avec une étude montrant que l'objectif du patient est l’assurance que le médecin respectera ses volontés (59). Des études anglo-saxonnes ont trouvé les mêmes tendances : lorsque le patient avait abordé les souhaits de fin de vie avec le médecin traitant ou les soignants, la famille et le patient lui-même bénéficieraient d'une meilleure qualité de vie et d'une diminution du stress (90,192). Pour les médecins de notre étude, les directives anticipées servaient surtout de support de communication pour parler de la mort et des volontés du patient, leur rédaction formelle n'étant que rarement effectuée.

La plupart pensaient que les directives anticipées ou les volontés oralement fournies en amont étaient caduques, car évolutives et révocables à tout moment, les patients changeant d'avis régulièrement, notamment après l'annonce de la maladie grave. Une étude américaine a toutefois montré la stabilité des décisions de refus de traitement (réanimation cardio-vasculaire et sonde d'alimentation) pour 75% des patients interrogés à deux ans d'intervalle (193). Cette différence pourrait être expliquée par l'évolution des mœurs car l'étude américaine a été réalisée en 1994. De plus, les choix des patients dépendent essentiellement de la façon dont ont été fournies les informations, de leur relation avec leur médecin (121), et des représentations que les patients se font des traitements de fin de vie (58,120). Dans tous les cas, une réactualisation est fortement recommandée (124).

Une étude canadienne relevait que 76% des patients en phase terminale ou préterminale et 82% des familles avaient déjà réfléchi aux soins dont ils pouvaient bénéficier en fin de vie, mais que seuls 30% et 23% respectivement en avaient parlé avec leur médecin de famille (192). Une autre a également montré que seuls 30.3% des patients en fin de vie avaient discuté de leurs souhaits avec leur médecin de famille (194). Il semble donc y avoir un défaut de communication et de transmission de l'information.

On observe des écarts notables entre les désirs des patients et la réalité des faits, à cause de la rareté de rédaction d'un document officiel (195), parce que leurs souhaits ne seraient pas suffisamment colligés (192), ou encore parce que le médecin n'en a pas tenu compte (196). En 2012 en France, seuls 2,5% des personnes décédées avaient rédigées leurs directives (197).

En Angleterre, Seymour et al. ont cherché les facteurs qui empêchaient les infirmières de discuter de l’advance care planning avec les patients qui étaient susceptibles de perdre leur capacité de consentement, donc l’équivalent des directives anticipées en France. Les freins étaient le manque de ressources, le manque d’aide politique et de connaissance publique de ce dispositif, et des difficultés à parler de la mort. Ces infirmières estimaient qu’une formation et des conseils pratiques permettraient une meilleure utilisation de cet outil (198). Les freins retrouvés dans une étude espagnole de 2016 étaient le manque de connaissance, de compétence en communication, d'expérience, et la présence d'émotions négatives, un manque de temps, des interférences avec d'autres professionnels, des attitudes sociétales qui faisaient que la discussion sur la fin de vie était rare (199).

115 En France, les directives anticipées sont également peu connues. Une étude française du Centre d'Ethique de l'hôpital Cochin a montré que 90% des personnes de plus de 75 ans qui ont participé à l'enquête n'avaient jamais entendu parler des directives anticipées et qu'elles étaient encore 83% à dire qu'elles n'étaient pas intéressées parce que, soit elles ne se sentaient pas concernées, soit parce que le dispositif leur semblait inefficace (les choses ne se présentent jamais comme on les a imaginées), inutile (les médecins feront ce qu'ils veulent) ou dangereux (les médecins baisseraient les bras avant l'heure) (97). L'enquête de Schickedanz et al. aux Etats-Unis a retrouvé des résultats superposables : au sein de la population étudiée à qui on a donné un formulaire et expliqué brièvement le principe des directives anticipées, 46% n'en ont pas parlé à leurs proches, 80% n'en ont pas discuté avec leur médecin et 90% n'ont pas indiqué leurs souhaits. Les principales barrières à l'utilisation des directives anticipées ont été dans 84% des cas l'inutilité du dispositif, les autres freins évoqués étant la présence de contraintes personnelles, de problèmes relationnels, certains avaient besoin d'informations complémentaires, d'autres manquaient de temps pour aller voir leur médecin, et quelques-uns avaient des difficultés avec la notion de directives anticipées (200). En pratique, l'efficacité est controversée (97,201), les directives anticipées rarement écrites, et aussi difficiles à respecter et à adapter par les soignants (195).

Les directives anticipées demandent aux patients de se projeter sur un événement grave qu'ils n'avaient probablement jamais imaginé auparavant. Il est difficile de s'exprimer sur un événement qui n'existe pas de manière imminente, d'autant plus qu'il s'agit d'un sujet triste pour certains, ou parce qu'ils ne se sentent pas encore concernés pour d'autres (98). Certains patients croient que les directives anticipées sont irrévocables et cela les effraie de penser qu'ils n'auront pas leur mot à dire aux derniers instants de leur vie (98,195). D'après Tsalatsanis et al., les difficultés de prises de décision en fin de vie peuvent être expliquées par le besoin des patients d'avoir un haut niveau de certitude, et donc une forte confiance en l'avenir, avant d'accepter ce qui est proposé (202). L'étude de Djulbegovic et al. montre que l'évaluation initiale du risque de regret pour chaque proposition permet de choisir celle dont le niveau de regret est le plus bas avec un haut niveau de certitude (203). Et, en termes de fin de vie et de mort, rien n'est plus incertain et imprévisible.

Par ailleurs, les directives anticipées sont difficiles à rédiger sans l'aide d'un soignant. Selon une étude allemande, elles sont souvent trop ambiguës, non adaptées, et donc invalides et inutilisables (204). La thèse de Lesaffre et Leurent Pouria sur la perception des patients des directives anticipées et de la personne de confiance a montré que l'utilisation de ces dispositifs nécessitait une réelle communication entre patients et médecins (58). Celle de Rousseau Lesage a montré qu'une intervention auprès de patients suivis en oncologie sur les dispositifs légaux en lien avec le respect de la volonté de la personne dans les prises de décisions, a permis d'augmenter significativement le nombre de désignation de la personne de confiance et de la rédaction des directives anticipées. 90% des patients jugeaient même utile d'anticiper la question des volontés et souhaits en cas d'aggravation de la maladie (120). Mais il reste un problème : les médecins manquent de temps et ne parviennent pas

116 toujours à accompagner les patients dans cette démarche de rédaction des directives anticipées (205).

Enfin, on note une mauvaise visibilité du système juridique par le grand public et les médecins (4,58,96,97). Devant la complexité des directives anticipées et l'inefficacité patente du dispositif, la Haute Autorité de Santé a effectué, en avril 2016, une réactualisation des outils destinés à faciliter les démarches pour les professionnels de santé et pour les patients (191), d'autant plus que depuis février 2016 la rédaction des directives anticipés est devenu un droit et leur respect un devoir (26).