• Aucun résultat trouvé

L’espace de la dispute, un enjeu symbolique

3.1. Un inconscient de la dispute

3.1.1. Disputer avec l’hérétique : un scandale

« Pour pouvoir s’affronter et se confronter publiquement, encore faut-il être d’accord sur la légitimité et la nécessité de le faire », écrit Olivier CHRISTIN9.On tou-che là un point essentiel des rapports entre réformés et catholiques, qui explique par-tiellement l’échec des disputes des années 1520. La lecture des rapports révèle la constance d’un refus presque systématique des représentants du parti catholique de reconnaître la légitimité de la rencontre et a fortiori la nature contraignante de ses résultats10. Ce fut l’un des premiers problèmes auxquels furent confrontés Ulrich

9 CHRISTIN, Olivier, La formation étatique de l’espace savant, p. 54.

10 Pour un tableau général, détaillant les circonstances de chaque dispute, on se rapportera à nouveau avec profit à la cartographie de Bernd MOELLER, Zwinglis Disputationen II et, pour une analyse plus poussée des motifs de refus, à l’ouvrage de Marion HOLLERBACH, Das Religionsgespräch als Mittel der konfessionellen und politischen Auseinandersetzung, pp. 34-35, 105, 130, 155 et 175.

Zwingli et le conseil de Zurich en janvier 1523, étant donné que la délégation épis-copale venue de Constance et menée par Johannes Fabri exprimait vigoureusement son désaccord avec le principe même d’une dispute entre réformés et catholiques et refusait catégoriquement les formes que les organisateurs entendaient donner aux débats11. A Memmingen, Jakob Megerich avait fait appel à l’évêque d’Augsbourg pour qu’il s’oppose à la dispute, sans que l’on sache toutefois si Christoph von Sta-dion donna suite à cette demande12. Il n’était pas rare de voir les clercs refuser tout simplement de prendre la parole. Ainsi, il ressort clairement du rapport de la dispute envoyé à Kaufbeuren par les autorités de Memmingen que les clercs fidèles à Rome ne répondirent pas aux articles de Schappeler, avançant diverses raisons, dont no-tamment l’incompétence d’un conseil de ville à organiser une telle rencontre, mais aussi leur propre ignorance en matière de dispute13. A Kaufbeuren, après que l’évêque d’Augsbourg ait tenté sans succès de faire pression sur le conseil pour obte-nir l’annulation de la dispute14, ce fut Nikolaus Schweicker qui, au nom du curé Georg Siggen et des autres clercs catholiques, rappela qu’une dispute organisée par le magistrat n’avait aucune légitimité et qu’il ne convenait pas de discuter avec les réformés15. A Ilanz, le vicaire général Peter Speiser jugeait de toute évidence qu’une dispute avec les réformés – qu’il avait clairement désignés comme étant des héré-tiques16 – n’avait aucun sens, car une telle option revenait à douter de la foi et consti-tuait donc une « chose désespérée »17. L’évêque auxiliaire Stephan Tschuggli exhorta lui aussi les clercs présents à Ilanz à rester fidèle à l’ancienne foi, s’opposant à la

11 MOELLER, Bernd, Zwinglis Disputationen : Studien zu den Anfängen der Kirchenbildung und des Synodalwesens im Protestantismus I, in Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Kano-nistische Abteilung, N° 87, 1970, pp. 278 et 283.

12 ZOEPFL, Friedrich, Das Bistum Augsburg und seine Bischöfe im Reformationsjahrhundert, Mün-chen / Augsburg, Schnell & Steiner / Winfried-Werk, 1969, p. 48.

13 Pièces Memmingen, R, f. 4 [p. 33] : « [...] etlich priester haben antzaigt das sy nit gelert vnd ge-schickt seien zue disputieren / Item etlich haben antzaigt es gehet Inen nit zu bedurffens an Ir oberkait nit thun / Item annder haben vermaint es gehet den consilia vnd den uniuersiteten zu in der sach verher sein etc. ».

14 ZOEPFL, Friedrich, Das Bistum Augsburg und seine Bischöfe im Reformationsjahrhundert, p. 49.

15 CR Kaufbeuren, f. 20-21 [p. 49] : « Das sillich Artikl und position antroffen seyen den gemainen stet der Cristenlichen Kirchen und kain sondrliche Stat alls Kauffbeuren oder andere Comunen.

Sonder geheren Sy zuerlautern für ain gemains Concilium der hailigen Cristenlichen Kirchen vber sillichs ».

16 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 3 : « […] hat fürgewennt wie der obgemelt Dorffman ampt den andren offenlich Kaetzer, Rotter, vnd Secter ygind » et, un peu plus loin sur la même page « Fa ten, Opferen, Baetten, Bychten gelte nüt by di en Kaetzeren ».

17 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 6 : « Wyter ge agt man oell den glouben nit dispu-tieren, dann Disputieren hey z zwyflen, Disputatio waere ein verzwyflete ach, ward von einem yngeredt, übel tüt cht ».

dispute18. Il en alla de même pour les chanoines de la cathédrale dont on avait solli-cité l’opinion19. Quant à Theodul Schlegel, il fit remarquer que le règlement des questions religieuses était du ressort d’un concile ou, à défaut, de la Diète, et que la dispute organisée à Ilanz était par conséquent condamnée à rester sans suite20.

Le principe même d’une rencontre sous forme de dispute entre les représen-tants des deux camps était donc d’emblée remis en question. Il ne faut pas perdre de vue que la dispute imposait automatiquement à chacun des intervenants l’obligation de reconnaître l’autre comme interlocuteur légitime21. On comprend alors pourquoi les catholiques, pour qui les réformés restaient des hérétiques, mirent tant d’énergie à présenter ces rencontres comme illégitimes. Pour ce faire, ils s’attachèrent d’abord à souligner l’incompétence du magistrat en matière religieuse ou leur propre incapacité à disputer22, insistant par ce biais sur la non-validité des résultats issus de l’échange.

Peut-être espéraient-ils ainsi convaincre les organisateurs de l’inutilité de leurs pro-jets tout en évitant de donner l’impression de refuser le dialogue par principe. Ils ne parvinrent cependant que très rarement à obtenir l’annulation de la dispute et pour ainsi dire jamais dans les cas où l’organisation de la rencontre était le fait de magis-trats favorables à la nouvelle foi. Quoi qu’il en soit, le désaccord de fond qui oppo-sait les catholiques aux réformés sur l’opportunité d’une dispute pour régler le conflit religieux grevait sérieusement les chances de succès de la rencontre. On aurait donc tort de considérer cette donnée comme quantité négligeable.

On peut être surpris de cette obstination des catholiques à refuser de répondre à leurs adversaires alors que, plus on avançait dans le temps, plus cette stratégie s’avérait dommageable. La plupart des victoires des réformés résultèrent en partie de ce refus, assimilé par les autorités à ce que, dans le langage du sport ou du duel, on appellerait une « déclaration de forfait »23. Se traduisant par l’absence de toute argu-mentation opposée aux thèses des réformateurs, le refus de disputer avait pour

18 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 10 : « [der Weihbischof] gab di en radt, huob beyd hend zuo amenn, als ob er baetten woellt : Lieben Herren, Lieben bruedren Jch bitt üch durch Gots willen, jr wellind by dem alten glouben blyben ».

19 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 10 : « Es wurdend ouch die dry Dechan gefragt, da woltend die guoten herren all bym alten glouben blyben ».

20 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, pp. 9-10 : « […] dann ob chon etwaz hie verhandlet, vnd von eintwederer parthy erobret werde mit g chrift, o wird es doch nit gelten : vr ach, es ygind Rych ztag vorhanden, Item Concilia, in denen man ich ent chlie en werde we z ich die Kilch halten oelle ».

21 CHRISTIN, Olivier, La formation étatique de l’espace savant, p. 57.

22 Comme à Memmingen : Pièces Memmingen, R, f. 4 [p. 33] : « [...] etlich priester haben antzaigt das sy nit gelert vnd geschickt seien zue disputieren ».

23 Cf. aussi les réflexions intéressantes sur les possibles parallèles entre dispute et duel dans le cas français proposées par Jérémie FOA dans Le métier de la dispute : les disputes religieuses entre ca-tholiques et reformés en France (1561-1572), maîtrise universitaire, Lyon, Université Lyon II – Louis Lumière, 2000, pp. 84-85.

conséquence un jugement des autorités en faveur des réformés, qui pour leur part avaient clairement exposé et démontré leurs thèses, alors que les catholiques n’avaient même pas voulu tenter d’en démontrer la fausseté24. N’ayant pas répondu dans les formes, les catholiques étaient donc considérés comme incapables de prou-ver que les réformateurs avaient tort, ce qui signifiait pour eux la défaite.

Or, on peut voir à l’exemple de la dispute de Baden, organisée en 1526 à l’initiative des cantons catholiques de Suisse, qu’il ne s’agissait pas là d’une fatalité.

Johannes Eck, professeur de l’université d’Ingolstadt, y prouva que les catholiques n’étaient pas condamnés à s’incliner dans les disputes organisées selon le modèle zurichois. Il permit à son camp de s’assurer l’avantage dans les débats et parvint à obtenir un succès suffisant pour que les cantons catholiques proclament la défaite des réformés. Ce succès était en grande partie dû au fait que Johannes Eck, plutôt que de se retrancher derrière des arguments d’autorité qu’il savait inefficaces, avait décidé de battre le réformateur Johannes Oecolampad sur son propre terrain, celui de l’exégèse biblique25. A Ilanz, Theodul Schlegel avait lui aussi compris qu’entrer dans le jeu des réformés constituait la seule chance de contrer leur influence dans les Gri-sons. C’est grâce à ses argumentations destinées à renverser les thèses de Comander que les catholiques purent empêcher une victoire incontestable de leurs adversaires et que la dispute se termina sur un statu quo ante26. Perdre la partie n’était donc pas une fatalité, pour autant que les catholiques acceptent d’entrer dans le jeu. Comment ex-pliquer alors la débandade catholique dans les disputes des années 1520 ?

Les raisons qui peuvent expliquer cette attitude de refus sont à chercher dans la réticence très forte des catholiques à voir le débat théologique sortir des formes jusque là considérées comme les seules légitimes : disputer avec des « hérétiques » et, qui plus est, sous le contrôle de laïcs, revenait à remettre en question la primauté absolue de l’Eglise catholique à décider de ce qui entrait ou non dans la définition de la religion chrétienne. Il faut se garder de réduire cet attachement au rôle de guide spirituel de l’Eglise à la seule volonté de défendre des privilèges sociaux qui auraient

24 Cf. aussi, pour un aperçu d’ensemble, MOELLER, Bernd, Zwinglis Disputationen II.

25 Cf. au sujet de la dispute de Baden l’analyse d’Irena BACKUS dans The Disputations of Baden (1526) and Berne (1528) : Neutralizing the Early Church, Princeton, Princeton Theological Seminary, 1993, pp. 19 et 36.

26 La dispute fut en réalité suspendue avant terme par les députés, lassés de l’enlisement des débats.

Schlegel avait cependant assuré un léger avantage aux catholiques en étant le dernier à parler, déve-loppant une longue argumentation à laquelle Comander n’eut pas le loisir de répondre : HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 28 : « Darnach fieng der Apt aber ein lange red an, wie es müglich waer. Li z de con . di . 2. c. reuera. kam mit dem gey tlichen e en, vnd acramentlichen : li z Mag. von hochen innen 4. Sagt tropus hie z inuer io : hette es nach lang uochen al o funden, man verkarte die ge chrifft, Zuinglin hette ich ouch mit goeucht. etc. » et p. 29 : « Nach dem Nachtmal hatt der Pfarrer die verordneten durch Gott baetten da z y wyter lo etind, aber es ward im abge chlagen ».

été menacés par la Réforme, comme peuvent le laisser penser les Flugschriften diffu-sées dans le but de discréditer le clergé catholique aux yeux de la population. Comme on a pu le constater, les clercs de Memmingen, de Kaufbeuren et en partie aussi ceux d’Ilanz, n’occupaient pas des positions élevées dans la hiérarchie ecclésiastique. Au-cun évêque parmi eux, auAu-cun dignitaire : il s’agissait de vicaires, de chapelains, de curés de paroisse, de maîtres d’école. A Memmingen, les clercs qui se retrouvèrent confrontés à Schappeler sont désignés comme « prêtres » ou comme « l’ensemble des clercs » (Priesterschaft)27, sans que leur identité ne soit mentionnée : il s’agissait probablement des auxiliaires des paroisses de Saint-Martin et de Notre-Dame, sans doute aussi des clercs venus des villages du territoire que contrôlait la ville, puisqu’on sait que l’ensemble du clergé avait été convoqué28.

La plupart des clercs convoqués à ces disputes n’avaient que très peu de biens matériels à perdre en cas de sécularisation des biens de l’Eglise, au contraire des évêques qui, en plus de leur charge épiscopale, étaient aussi seigneurs territoriaux.

Beaucoup de clercs, mal payés et méprisés par le haut clergé, auraient même eu avantage, d’un point de vue strictement économique, à se rallier aux réformés, dont l’une des principales exigences était la nomination du prêtre par la commune et l’affectation de la dîme à son entretien, de sorte à ce qu’il puisse se consacrer entiè-rement aux tâches de soutien spirituel29. Pour expliquer l’hostilité d’une part impor-tante du bas clergé à la Réforme, il faut donc trouver d’autres explications qu’un in-térêt matériel souvent mis en avant, mais qui ne permet pas de comprendre réelle-ment les motivations de ceux qui refusaient la nouvelle foi.

Dans l’esprit des réflexions de Luc BOLTANSKI sur la sincérité des exigences de justice formulées par les agents sociaux30, il convient de prendre au sérieux les paroles des clercs catholiques et de ne pas ramener leur opposition à une forme d’égoïsme. L’importance de la dimension spirituelle des enjeux était au centre de leurs préoccupations et le refus des catholiques – surtout si l’on sait qu’il venait en grande partie de clercs n’ayant que peu de privilèges à perdre – peut s’expliquer par le sentiment de voir remis en cause non pas un quelconque ordre politique, mais bien un ordre social d’origine divine et qui, jusque là, avait été considéré comme seul

27 Pièces Memmingen, R, f. 3-4 [p. 33], f. 5-8 [p. 34]. La proclamation précise qu’avaient été convo-qués les « prédicateurs et autres chapelains et gens des ordres » (Pièces Memmingen, A, f. 1-2 [pp. 35-36]).

28 Pièces Memmingen, A, f. 1-2 [p. 35-36]. Il en allait de même à Kaufbeuren (CR Kaufbeuren, f.

9 [p. 45]).

29 BLICKLE, Peter, Gemeindereformation : die Menschen des 16. Jahrhunderts auf dem Weg zum Heil, München, Oldenbourg, 1985, pp. 33, 39-41 et 57.

30 BOLTANSKI, Luc, L’Amour et la Justice comme compétences : trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990, p. 64.

rant du salut de l’humanité. De par leur trajectoire sociale très éloignée de celle des orateurs réformés, habitués à la controverse théologique en raison de leur formation académique, la plupart des clercs ne pouvaient voir dans la dispute un moyen adapté au règlement de la situation religieuse inédite qui était celle des années 1520. On ne rencontre aucun titulaire d’un grade universitaire du côté catholique dans la dispute de Memmingen. A Kaufbeuren, seuls Nicolas Schweicker, Wolfgang Sigg et le pré-dicateur Hans Wanner, venu de Constance, semblent avoir été titulaires du grade de magister31. C’est bien ce déficit en orateurs formés aux techniques de la controverse et capables d’entrer dans le jeu de la dispute pour mieux contrer les réformés qui désavantagea les catholiques dans les premières disputes. L’exemple de Johannes Eck à Baden et de Theodul Schlegel à Ilanz montre que les clercs catholiques ayant bénéficié d’une formation académique, bien que fidèles à l’ancienne foi, avaient moins de difficultés à entrer dans le jeu de la dispute que ceux qui n’avaient jamais fait l’expérience de la controverse savante.

La création de l’espace de la dispute entre catholiques et réformés butait donc en premier lieu sur l’incompatibilité des systèmes de pensée propres à chacun des deux camps. Ce qui rendait la Réforme inacceptable et même inconcevable aux clercs restés fidèles à Rome, c’était le fait que les réformateurs remettaient en cause tout un système de pensée, de règles et de modes de vie, un « programme de so-ciété » hérité au cours des siècles et si profondément incorporé dans les pratiques des agents qu’il en était devenu naturel. A la fin du Moyen Age, l’Eglise catholique se pensait réellement comme une institution directement issue de la volonté de Dieu, pratiquement atemporelle et dont les structures correspondaient à un ordre cosmique qui ne devait et ne pouvait être remis en question. Nombreux étaient ceux qui avaient perdu de vue que l’Eglise elle-même était une construction humaine, ayant connu une évolution propre au cours des siècles, et qui, au contraire d’un phénomène natu-rel ou divin, avait donc pour caractéristique d’être historicisable. Cette croyance en la pérennité de l’institution ecclésiastique se lit par exemple dans les protestations du vicaire général Speiser envers les réformés grisons, qu’il accusait de vouloir contes-ter ce qui « s’[était] avéré juste depuis 1526 années »32. Par là, Speiser insistait sur la légitimité éternelle de l’Eglise catholique en usant de l’argument de l’ancienneté, l’une des plus puissantes formes de légitimation durant tout le Moyen Age, où

31 CR Kaufbeuren, f. 19 [p. 49] : « Maister wollffgang pfarer zu Geißenried und Maister Niclaußen Schwickher verweser der pfarr zu Aitrang ».

32 HOFMEISTER, Sebastian, Acta und Handlung, p. 3 : « […] vnd wellind al o die ordnungen der Heili-gen Chri tenlichen Kilchen niderleHeili-gen, wellind er t den Glouben rechtuertiHeili-gen, der by 1526 jaren gewaert […] ».

l’ancien primait toujours sur le récent33. Les idées réformées, interprétées comme une attaque dirigée contre un ordre naturel et qui plus est divin, ne pouvaient donc que susciter un refus total de la part de ceux qui n’y reconnaissaient pas le renouveau de l’Eglise chrétienne que ces idées devaient amener pour ceux qui les avaient mises en circulation. La violence du refus s’explique aussi par le fait que, contrairement à d’autres controverses concernant des questions religieuses, fréquentes au Moyen Age et dont on retrouve les traces dans les nombreuses disputationes académiques dont elles firent l’objet, on touchait ici aux fondements même de la religion chrétienne, à savoir la définition de la communauté chrétienne et de son église, des rapports entre Dieu et l’Homme, du rôle du Christ dans le salut des êtres humains. Par conséquent, n’est-il pas légitime de supposer que le refus de participer à la dispute n’était pas seulement dû à de la mauvaise volonté ou à de l’égoïsme, mais plutôt au fait que la dispute avec les réformés sortait tout simplement du domaine du pensable pour une frange importante du clergé sommé de se présenter à la rencontre par les autorités ?

Etant donné que reconnaître son adversaire comme un partenaire possible dans une discussion, c’était déjà reconnaître sa légitimité, il était devenu nécessaire pour les catholiques de tenter d’obtenir l’annulation d’une rencontre qui les obligeait précisément à reconnaître les réformés comme des interlocuteurs. Comme le souligne Thomas FUCHS, taxer d’hérésie les partisans de la Réforme revenait à briser toute possibilité de discussion théologique au moyen de la dispute savante, d’où les tenta-tives de faire de l’adversaire un hérétique afin de le délégitimer et surtout de délégi-timer sa parole34, cette stratégie s’appuyant sur le droit canon qui interdisait toute discussion avec ceux qui avaient été reconnus coupables d’hérésie. Lorsque Peter Speiser accusa Comander et les réformateurs grisons d’être des hérétiques et des émeutiers35, il tentait de transposer l’affrontement sur le plan juridique en faisant appel au bras séculier pour châtier des hérétiques. Devant la décision des députés d’organiser une dispute, le vicaire général ne manqua pas de montrer son désaccord36

33 Je remercie M. René WETZEL, professeur au Département de langue et littérature allemandes de l’Université de Genève, pour ses indications sur la fonction du temps comme autorité au Moyen Age.

– Il est par ailleurs remarquable que les réformés firent eux aussi usage du temps comme moyen de légitimation en s’attachant à démontrer que leur ecclésiologie ne faisait que reprendre les règles ayant présidé au fonctionnement des toutes premières communautés chrétiennes. Cf. à ce sujet LAPLANCHE, François, La controverse religieuse au XVIIe siècle et la naissance de l’histoire, in LE BOULLUEC, Alain (dir.), La controverse religieuse et ses formes, Paris, Editions du Cerf, 1995, pp. 376-377.

– Il est par ailleurs remarquable que les réformés firent eux aussi usage du temps comme moyen de légitimation en s’attachant à démontrer que leur ecclésiologie ne faisait que reprendre les règles ayant présidé au fonctionnement des toutes premières communautés chrétiennes. Cf. à ce sujet LAPLANCHE, François, La controverse religieuse au XVIIe siècle et la naissance de l’histoire, in LE BOULLUEC, Alain (dir.), La controverse religieuse et ses formes, Paris, Editions du Cerf, 1995, pp. 376-377.

Documents relatifs