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L’ACCÈS DE L’OFFRANT AUX INFORMATIONS CONCERNANT LA SOCIÉTÉ VISÉE

B. Dilemme de l’offrant potentiel : Charybde ou Scylla ?

La situation réglementaire et la pratique des autorités de surveillance des OPA sont défavorables à un offrant potentiel qui souhaite conduire une due diligence lorsque le conseil d’administration de la société visée ne sou-tient pas ses démarches tendant à une prise de contrôle.

Selon la pratique des autorités, et comme on le verra plus loin 53, l’of-frant ne peut pas subordonner son offre à la condition que le conseil d’ad-ministration l’autorise à réaliser une due diligence 54. Par ailleurs, il n’a pas la possibilité de modifier le prix de l’offre en défaveur de ses destinataires lorsqu’une due diligence a été conduite sur la société visée et que la modifi-cation du prix est justifiée objectivement 55. Confronté à une telle situation, l’offrant potentiel va soit renoncer à présenter une offre, soit lancer une offre en dépit du risque financier consistant en ce que le prix ne corresponde pas à la valeur de la société visée. La pratique montre que la seconde voie n’est adoptée que par des concurrents de la société visée, bénéficiant de

suffi-l’art. 717 CO fait obligation au conseil d’administration de la société visée de favoriser activement une procédure d’enchères en cas d’offre hostile et d’autoriser une due dili-gence pour inciter d’autres offrants à surenchérir. A défaut, le conseil d’administration de la société visée est susceptible d’engager sa responsabilité en cas de dommage subi par les actionnaires (art. 754 CO), correspondant à la différence entre le prix de l’offre et celui auquel les actionnaires auraient pu prétendre si l’offrant concurrent potentiel avait eu accès aux livres de la société et présenté une offre. Voir également Gericke / Wiedmer (2011), no. 14 ad art. 49 OOPA ; CR CO II-Bahar, no. 13 ad art. 133 LIMF ; Watter / Maizar (2005), p. 29 ; Bilek (2011), p. 122 ; Schnydrig / Vischer (2006), p. 1203 ; Blum (2006), p. 236 ; Bahar (2004), p. 154. Contra : Höhn (2009), p. 53.

52 Voir Epper (2008), p. 131 s. ; Meier (2010), p. 347 s. et 350.

53 Voir infra p. 198 ss.

54 Dans la bataille pour le contrôle de Saia-Burgess Electronics AG, Sumida Corporation a subordonné son annonce préalable à la condition de pouvoir conduire une due dili-gence de Saia-Burgess Electronics AG, afin de mettre le conseil d’administration sous pression. Cette condition fut jugée illicite par la COPA. Voir recommandation 0249/01 du 15 juillet 2005 dans l’affaire Saia-Burgess Electronics AG, consid. 2.11.4.

55 Art. 9 al. 2 let. a aOOPA, abrogé le 1er janvier 2009. Voir également infra p. 212 s.

samment d’informations à son sujet 56. A l’inverse, les autres renoncent 57 ou compensent le risque par une réduction du prix de l’offre, ce qui a sou-vent pour effet de la dépouiller de tout attrait et de la vouer à l’échec 58. Aucun des termes de cette alternative n’est donc vraiment satisfaisant.

Par ailleurs, les risques liés à l’annonce d’une offre sans due diligence préalable sont bien souvent trop élevés pour les organes dirigeants de l’offrant potentiel 59. Il pourrait notamment leur être reproché d’avoir agi en violation de leur devoir de diligence 60 en présentant une offre sans en connaître les risques. Il est également possible que des règles internes les empêchent de présenter une offre sans due diligence préliminaire. En cas de dommage, ils engagent leur responsabilité s’il est prouvé que les problèmes découverts après l’acquisition auraient pu être identifiés au moyen d’une due diligence préalable 61.

Enfin, indépendamment de la responsabilité encourue par ses organes dirigeants, l’offrant potentiel a éventuellement besoin de fonds étrangers pour financer son offre ; il est alors confronté à la nécessité de trouver un

56 Schenker (2008), p. 145 s. ; Schenker (2009), p. 654 ; Bilek (2011), p. 122 ; éga-lement Schenker (2016), p.  14. La prise de contrôle de Leica Geosystems  AG par Hexagon AB en 2005 illustre ce point. Le 27 juin 2005, Hexagon AB publia une offre pour toutes les actions nominatives de Leica Geosystems AG au prix de CHF 440.--, sans due diligence préalable. Tant Leica Geosystems  AG qu’Hexagon AB étaient ac-tives dans la même branche. Voir l’annonce préalable et le prospectus de l’offre de Hexagon AB aux actionnaires de Leica Geosystems AG, du 13 juin 2005, respective-ment du 27 juin 2005. A noter que dans le cadre du processus de prise de contrôle, Hexagon AB eut toutefois la possibilité de consulter le matériel de due diligence mis par la société visée à disposition d’un offrant concurrent potentiel, Edelweiss Holding ApS, filiale détenue indirectement par Danaher Corporation.

57 Selon Schenker (2009), p. 686, les risques de violation de leur devoir de diligence par les organes dirigeants de l’offrant, résultant du défaut de visibilité de l’opération, et ceux liés à la difficulté d’obtenir un financement de tiers en l’absence de due diligence ne sont pas compatibles avec le lancement d’une offre.

58 Schenker (2008), p. 134 ; Bilek (2011), p. 122.

59 Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre 2, p. 26 s., no. 17 et p. 30, no. 26 ; Schenker (2009), p. 653 s. ; CR CO II-Bahar, no. 13 ad art. 133 LIMF ; Gerhard (2006), p. 216 ; Meier (2010), p. 311.

60 Art. 717 CO.

61 Art. 754 CO. Voir Schenker (2016), p. 133 s. ; Schenker (2009), p. 686 ; Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre 2, p. 30, no. 26 ; Schenker (2008), p. 134 s. ; Bilek (2011), p. 122 ; Hoch Classen / Hsu / Roth Pellanda (2007), p. 329 ; Tschäni / Diem (2006), p. 57 ; Blum (2006), p. 234 ; Tschäni / Diem (2005), p. 79 ; Isler (2004), p. 5 s. ; Isler (2003), p. 6.

fournisseur de crédit. Bien souvent, il n’obtient tout simplement pas les fonds nécessaires à l’opération s’il ne peut pas produire un rapport de due diligence 62.

En conclusion, empêcher l’offrant potentiel d’évaluer les mérites d’une opération équivaut à une mesure de défense 63 propre à dissuader cet of-frant potentiel de présenter une offre, alors que celle-ci pourrait s’avérer avantageuse pour les détenteurs de titres de participation de la société vi-sée et pour la société vivi-sée elle-même. Cette entrave est également propre à porter atteinte aux intérêts de l’offrant dans l’hypothèse où celui-ci aurait payé un prix trop élevé pour l’acquisition.

C. Accès aux informations et principe d’égalité de traitement

1. Postulat d’égalité des armes entre offrants

Aux termes de l’art. 133 al. 1 LIMF, dans l’hypothèse d’une offre concur-rente 64, les propriétaires de titres de participation doivent pouvoir choi-sir librement parmi les offres en présence. Dès l’instant où le contrôle de la société visée est en jeu, les actionnaires ont un intérêt à ce que le plus grand nombre d’offres possible soit présenté. Le conseil d’administration de la société visée ne doit donc pas fausser le processus d’enchères en com-muniquant à certains offrants plutôt qu’à d’autres des informations confi-dentielles sur la cible. Dans le but de garantir la mise en œuvre du prin-cipe d’égalité des armes entre les offrants et créer, entre eux, un processus d’enchères équitable (“level playing field”) 65, l’art. 49 al. 1 OOPA consacre ainsi le principe de l’égalité de traitement entre les offrants 66. A ce titre,

62 Schenker (2009), p. 686 s. ; Schenker (2008), p. 135 ; CR CO II-Bahar, no. 13 ad art. 133 LIMF ; Gerhard (2006), p. 216 ; Watter / Maizar (2005), p. 29 s. ; Bilek (2011), p. 122 ; Meier (2010), p. 311.

63 Schenker (2008), p. 135.

64 Art. 48 al. 1 OOPA. Tschäni / Diem / Iffland / Gaberthüel (2014), p. 412, no. 753 ; Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre  8, p.  442, no.  141 ; Peter / Bovey (2013), p. 241 ss, no. 541 ss ; Bilek (2011), p. 3 ss ; décision 0477/04 du 2 août 2011 dans l’affaire Absolute Private Equity AG, consid. 3.

65 Voir chapitre 1 : Le rôle de l’offrant dans le fonctionnement régulier du marché des OPA, p. 29 ss.

66 ATF 133 II 232 (arrêt SIG), consid.  3.1.2 ; décision 0651/02 du 28  mars 2017 dans l’affaire LifeWatch AG, consid. 2 ; décision 0550/06 du 28 janvier 2014 dans l’affaire

la société visée doit fournir les mêmes informations à tous les offrants 67. En cas d’offre concurrente, le principe de l’égalité de traitement entre les offrants prime ainsi l’intérêt de la société visée à préserver ses secrets.

Ratione temporis, l’obligation de traiter les offrants sur un pied d’éga-lité ne prend naissance qu’après que l’offrant concurrent a publié son offre ou l’annonce préalable de celle-ci 68. Pour que l’égalité de traitement entre les offrants puisse être mise en œuvre, il va de soi que l’offrant initial doit avoir eu la possibilité de procéder à une due diligence de la société visée 69. L’offrant potentiel faisant part de son intention de présenter une offre sur la société visée n’est pas considéré comme un offrant concurrent car le droit des OPA privilégie une approche formelle de cette notion 70. Même lorsque l’offrant potentiel manifeste sincèrement et de bonne foi ses intentions sur

Victoria-Jungfrau Collection  AG, consid.  4 ; recommandation 0249/01 du 15  juillet 2005 dans l’affaire Saia-Burgess Electronics Holding AG, consid. 2.11.3 ; recomman-dation 0294/03 du 14 novembre 2006 dans l’affaire SIG Holding AG, consid. 1.2.4 ; recommandation 0294/01 du 26  octobre 2006 dans l’affaire SIG Holding  AG, consid. 5.2.2.3 ; Gericke / Wiedmer (2011), no. 7 ad art. 49 OOPA ; Peter / Bovey (2013), p. 245, no. 552 ; Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre 8, p. 444, no. 147 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 16 ad art. 30 LBVM ; Schenker (2009), p. 415 ; Schenker (2008), p. 157 ; CR CO II-Bahar, no. 10 ss ad art. 133 LIMF ; Epper (2008), p. 98 s. ; Meier (2010), p. 302 ss ; Schnydrig / Vischer (2006), p. 1202 ; Watter / Maizar (2005), p.  9 ; Margiotta / Chabloz (2005), p.  209 ; Tschäni (2004, Auktionsregel), p. 423.

67 Art. 49 al. 2 OOPA. Gericke / Wiedmer (2011), no. 7 ad art. 49 OOPA ; CR CO II- Bahar, no. 11 ad art. 133 LIMF ; Tschäni / Diem / Iffland / Gaberthüel (2014), p. 81, no. 143 ; Böckli (2009), § 7, p. 833, no. 188c ; Tschäni / Diem / Wolf (2013), cha-pitre 8, p. 444, no. 147 ; Meier (2010), p. 350 ss ; Epper (2008), p. 98 ; SK FinfraG-Luchsinger Gähwiler / Ammann / Montanari, no. 16 ad art. 133 LIMF.

68 Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre  8, p.  444, no.  147 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 18 ad art. 30 LBVM ; Gericke / Wiedmer (2011), no. 16 ad art. 49 OOPA ; Bilek (2011), p.  131  s. ; Peter / Bovey (2013), p.  245, no.  554 ; Iffland (2008), p. 67 ; Schenker (2008), p. 157 s. ; CR CO II-Bahar, no. 13 ad art. 133 LIMF ; Blaas / Barraud (2008), p. 337 ; Schnydrig / Vischer (2006), p. 1202 ; Watter / Maizar (2005), p. 29 ; Meier (2010), p. 303 ss ; Epper (2008), p. 99 s.

69 Tschäni / Diem / Iffland / Gaberthüel (2014), p. 81 s., no. 143 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 16 ad art. 30 LBVM.

70 Schenker (2009), p. 413 ; Gerhard (2006), p. 220. Cette définition, purement for-melle, ne tient pas compte des devoirs du conseil d’administration de la société visée imposés par le droit des sociétés, parmi lesquels l’art.  717 CO peut contraindre le conseil d’administration à autoriser un offrant potentiel à réaliser une due diligence, moyennant certaines conditions.

la société visée, il ne peut pas se prévaloir de l’égalité de traitement entre les offrants, ni prétendre accéder aux informations confidentielles de cette société 71.

Eu égard aux conséquences attachées à l’exigence d’égalité de traite-ment entre les offrants, le conseil d’administration de la société visée agira en principe avec prudence quant aux informations transmises à l’offrant initial, même si l’offre est absolument amicale 72. Du point de vue de l’of-frant, l’attitude restrictive de la société visée est propre à réduire les béné-fices à attendre de la due diligence car il est à craindre que les informations lui permettant d’optimiser la fixation du prix de son offre ne soient préci-sément pas mises à sa disposition, ou seulement avec parcimonie.

2. Pratique des autorités de surveillance des OPA en matière d’accès à l’information

a. Position de l’offrant initial

Selon la pratique développée par les autorités de surveillance des OPA, l’offrant (généralement hostile) est en droit de conduire une due diligence dès qu’un tiers (offrant concurrent potentiel) a eu accès aux informations confidentielles de la société visée 73. Le droit de l’offrant peut être exercé aussitôt que l’offrant concurrent potentiel a accédé aux informations. Il n’est donc pas nécessaire que l’offrant potentiel ait présenté une offre ou une annonce préalable, c’est-à-dire qu’il soit, formellement, qualifié d’of-frant concurrent 74.

71 Recommandation 0294/03 du 14  novembre 2006 dans l’affaire SIG Holding  AG, consid. 1.2.4 ; Schenker (2009), p. 413 ; CR CO II-Bahar, no. 13 ad art. 133 LIMF ; Watter / Maizar (2005), p. 29 s. ; Epper (2008), p. 101.

72 Schenker (2016), p. 110 ; Schenker (2009), p. 415 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 2 ad art. 30 LBVM ; CR CO II-Bahar, no. 14 ad art. 133 LIMF ; Epper (2008), p. 128.

73 Recommandation 0249/01 du 15 juillet 2005 dans l’affaire Saia-Burgess Electronics AG, consid. 2.11.3 ; recommandation 0294/01 du 26 octobre 2006 dans l’affaire SIG Hold-ing AG, consid. 5.2.2 ; recommandation 0294/03 du 14 novembre 2006 dans l’affaire SIG Holding AG, consid. 1.2.4 ; décision de la Chambre des offres publiques d’acquisi-tion de la CFB du 20 décembre 2006 dans l’affaire SIG Holding AG / Romanshorn SA, consid. C ch. 33 ss ; ATF 133 II 232 (arrêt SIG), consid. 3.2.

74 Recommandation 0294/01 du 26  octobre 2006 dans l’affaire SIG Holding  AG, consid. 5.2.2 ; décision de la Chambre des offres publiques d’acquisition de la CFB

Cette approche fut récemment confirmée dans l’affaire LifeWatch 

AG 75. Dans cette opération, l’offrant initial (hostile) AEVIS VICTORIA

SA reprocha notamment à la société visée LifeWatch AG une violation de l’obligation de respecter l’égalité de traitement entre les offrants. La société visée exigeait la conclusion d’une nouvelle convention réglant les moda-lités d’accès à des informations confidentielles et sensibles alors qu’une convention relative à l’accès d’AEVIS VICTORIA SA aux documents de due diligence à mettre par LifeWatch AG à disposition d’éventuels offrants potentiels avait déjà été conclue 76. La COPA releva que LifeWatch AG avait exigé de chaque offrant potentiel aussi bien que d’AEVIS VICTORIA SA la signature des mêmes accords, de sorte que celle-ci, nonobstant celui précé-demment conclu, ne pouvait pas obtenir l’accès aux informations sensibles de la société visée sans se plier à cette exigence. Une violation de l’égalité de traitement entre offrants n’était donc pas établie.

A notre avis et comme démontré ci-après 77, cette pratique relative au moment auquel le droit à la due diligence peut être exercé repose sur des motifs peu convaincants et elle ne se concilie guère avec le principe de l’égalité de traitement 78.

du 20  décembre 2006 dans l’affaire SIG Holding  AG  / Romanshorn SA, consid.  C ch. 38 s. ; ATF 133 II 232 (arrêt SIG), consid. 3.2 ; Schärer / Gericke / Fankhauser (2016), p.  204 ; Gericke / Wiedmer (2011), no.  18 ad art.  49 OOPA ; Schenker (2009), p. 418 s. ; Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre 8, p. 444, no. 147 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 68 ad art. 28 LBVM et no. 16 ad art. 30 LBVM ; CR  CO  II-Bahar, no.  13 ad art.  133 LIMF ; Iffland (2008), p.  66  s. ; Bilek / von der Crone (2007), p.  408  s. ; Romerio / Gerhard (2007), p.  7 ; Epper (2008), p.  100  s. ; SK FinfraG-Luchsinger Gähwiler / Ammann / Montanari, no.  18 ad art. 133 LIMF.

75 Décision 0651/02 du 28 mars 2017 dans l’affaire LifeWatch AG, consid. 2.

76 Id., let. D et consid. 2.

77 Voir infra p. 175 ss.

78 Dans ce sens, voir Tschäni / Diem / Iffland / Gaberthüel (2014), p.  418, no.  763 ; Schenker (2009), p. 418-420 ; Schenker (2008), p. 158 s. ; Meier (2010), p. 304 s. ; Epper (2008), p. 101 s. ; SK FinfraG-Luchsinger Gähwiler / Ammann / Montanari, no. 21 ad art. 133 LIMF. Contra : Bilek (2011), p. 128 ss et 136 ; Bilek / von der Crone (2007), p.  409 ; Peter / Bovey (2013), p.  247, no.  557 ; Blaas / Barraud (2008), p. 337 s.

b. Position de l’offrant concurrent

Le droit des OPA n’est pas applicable tant et aussi longtemps que l’offrant potentiel n’a pas publié une offre sur la société visée 79. Il en découle que la protection accordée à l’offrant concurrent potentiel est très faible, pour ne pas dire inexistante, en droit suisse des OPA. Un offrant potentiel peut être qualifié d’offrant concurrent au sens des art. 48 et 49 OOPA lorsqu’il obtient des informations confidentielles de la société visée, mais non lorsqu’il en demande. Les autorités compétentes considèrent que l’intérêt de la société visée à la sauvegarde de ses secrets prime celui d’un éventuel offrant à accéder aux informations confidentielles de la société, cela même si l’offrant initial a bénéficié d’une due diligence 80.

Si cette pondération des intérêts convainc dans son principe, son résul-tat prive toutefois la due diligence de sa fonction principale, soit permettre à un offrant concurrent potentiel d’évaluer la société visée avant de présen-ter une offre et d’en fixer le prix 81. Probablement de façon involontaire, ce système ne favorise pas non plus les intérêts des actionnaires à profiter de la concurrence entre offrants. Cette carence est ainsi nuisible à l’intérêt des actionnaires de la société visée à recevoir d’autres offres.

Certes, il demeure loisible à l’offrant concurrent potentiel de présenter une offre sans avoir préalablement eu accès à une due diligence, s’il estime pouvoir se servir indirectement des informations dont l’offrant initial dispose. Il peut se calquer sur la tactique d’approche de cet offrant initial pour tenter de finalement le devancer. En effet, (i) à supposer que l’offrant concurrent potentiel puisse jauger l’offrant initial – qu’il le connaisse ou que les deux soient actifs dans la même branche, par exemple – et que cette évaluation soit positive, (ii) sachant par ailleurs que l’offrant initial a pu accéder à des informations confidentielles concernant la société visée, et (iii) connaissant, enfin, le montant offert pour les titres de participation de la société visée, l’offrant concurrent potentiel peut alors proposer un prix d’acquisition un tout petit peu plus élevé que celui de l’offre initiale et

réa-79 Voir notamment recommandation 0294/03 du 14  novembre 2006 dans l’affaire SIG Holding AG, consid. 1.2.4.

80 Recommandation 0294/01 du 26  octobre 2006 dans l’affaire SIG Holding  AG, consid. 5.2.2 ; décision de la Chambre des offres publiques d’acquisition de la CFB du 20 décembre 2006 dans l’affaire SIG Holding AG / Romanshorn SA, consid. C ch. 33 ss ; ATF 133 II 232 (arrêt SIG), consid. 3.3.3.

81 Tschäni / Diem / Wolf (2013), chapitre  8, p.  444, no.  147 ; BSK BEHG-Tschäni / Iffland / Diem, no. 18 ad art. 30 LBVM.

liser une opération restant malgré tout favorable pour lui 82. Une fois son offre lancée, l’offrant concurrent potentiel est alors formellement qualifié d’offrant concurrent et il lui est possible de procéder à une due diligence de même ampleur que l’offrant initial.

Très souvent, toutefois, cette stratégie n’est pas viable car les risques de surévaluation de la cible, la difficulté d’obtenir un financement et les risques de responsabilité des organes dirigeants de l’offrant concurrent potentiel ap-paraissent prépondérants par rapport aux bénéfices éventuels d’une offre.

3. Critiques d’une pratique inopportune

a. Inégalité de traitement au préjudice de l’offrant concurrent

Le principe de l’égalité de traitement, consacré par les art. 1 al. 2, in fine, LIMF, et 1 OOPA, interdit d’opérer entre des personnes des distinctions qui ne se justifient pas objectivement ou de traiter de façon semblable des si-tuations différentes au point qu’elles requièrent un traitement différencié 83. Les situations semblables doivent donc recevoir un traitement semblable, et inversement.

Or, le régime introduit par les autorités de surveillance des OPA, en vertu duquel l’offrant initial a le droit d’accéder aux informations confiden-tielles de la société visée aussitôt que celles-ci sont révélées à un tiers, sans que la réciproque ne s’applique, ne se justifie objectivement pas. Il est incon-ciliable avec le texte pourtant clair de l’art. 49 al. 1 OOPA, lequel contraint la

82 Cette stratégie fut adoptée par Ron Perelman (Pantry Pride) au détriment de Ted Forst-mann (ForstForst-mann Little) dans l’affaire étatsunienne Revlon, Inc. v. MacAndrews and Forbes Holdings, Inc., 506 A.2d 173 (Del. 1986). Bien que le conseil d’administration de Revlon eût préféré Ted Forstmann à Ron Perelman, le second se servit des mouve-ments tactiques du premier et le devança. Ainsi que le relate Steve Fraidin, un avocat représentant Ted Forstmann dans la transaction : “At one point there was a negotiation between the parties to try to settle the situation, and my client tells Perelman, ‘We have a big advantage – we have confidential information, you don’t have any. We know what we bid and you do not.’ Perelman, who is a smart guy, said, ‘Actually, I have even better information than you have because I know what you’re bidding. And once I know what you’re bidding and I know how smart you are and I know that you have all the confidential information, I know I can bid a nickel more and still have a good deal.’ And he was absolutely right.”, extrait tiré de Subramanian (2010), p. 102.

83 ATF 136 I 17, consid.  5.3 ; ATF 131 I 91, consid.  3.4 ; ATF 129 I 65, consid.  3.6 ; Tanquerel (2011), p. 199, no. 586 ; Auer / Malinverni / Hottelier (2013), p. 497 ss, no. 1067 ss ; Moor / Flückiger / Martenet (2012), p. 857 s.

société visée à respecter l’égalité de traitement “entre les offrants” 84. Ratione personae, cette disposition restreint aux offrants formels le champ des per-sonnes susceptibles de se prévaloir de l’égalité de traitement. Elle s’inscrit dans le cadre de la délégation législative de l’art. 133 al. 2 LIMF et constitue une lex specialis par rapport à l’art. 1 al. 2, in fine, LIMF, celui-ci posant le principe général de l’égalité de traitement des “investisseurs”. Aussi, et contrairement à une opinion défendue par Blaas / Barraud (2008) 85, l’art. 1 al. 2, in fine, LIMF ne crée pas de droit direct en faveur de l’offrant formel à se prévaloir de l’égalité de traitement avec l’offrant potentiel 86.

Au surplus, il est tout à fait possible que l’offrant concurrent potentiel ne lance pas d’offre, avec pour effet que la société visée aura été contrainte de fournir des informations sensibles à l’offrant initial sans qu’un proces-sus d’enchères ne s’amorce 87. A notre avis, il manque dès lors une base lé-gale permettant à un offrant formel de revendiquer l’égalité de traitement avec un offrant potentiel 88.

b. Décalage temporel inapproprié dans la possibilité de conduire une due diligence

La solution retenue par les autorités de surveillance des OPA ne permet pas à l’offrant concurrent de rattraper son retard s’il envisage d’entrer dans la course pour le contrôle de la société visée 89. En accordant un droit à l’offrant initial (généralement) hostile d’accéder à toutes les informations confidentielles dès que celles-ci ont été mises à disposition d’acquéreurs potentiels, et non lorsque l’offrant potentiel a présenté une offre, elle

La solution retenue par les autorités de surveillance des OPA ne permet pas à l’offrant concurrent de rattraper son retard s’il envisage d’entrer dans la course pour le contrôle de la société visée 89. En accordant un droit à l’offrant initial (généralement) hostile d’accéder à toutes les informations confidentielles dès que celles-ci ont été mises à disposition d’acquéreurs potentiels, et non lorsque l’offrant potentiel a présenté une offre, elle