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5.1 Corrélats physiologiques de la production de voisement usuel

5.1.1 Description du comportement des bandes ventriculaires

Des bandes ventriculaires écartées et statiques

Les bandes ventriculaires ne vibrent pas dans les conditions de voisement usuel. Elles ne sont accolées qu’au niveau de leur commissure antérieure, située à la base de l’épiglotte. Elles sont distantes l’une de l’autre pour toute autre position z sélectionnée sur leur épaisseur, et restent statiques pendant la vibration glottique. Une compression médiane ou antérieure accentuée est observée sur 4 des 22 (soit 18%) séquences de voisement usuel enregistrées. Néanmoins, cette configuration atypique n’apparaît que lors de la réalisation de transitions de mécanismes laryngés M1 ↔ M2, M1 ↔ M0. Elle disparaît pour la production de voyelles tenues en phonation usuelle, en mécanisme laryngé M1.

Ces observations sont en accord avec les sensations proprioceptives des locuteurs qui n’ont pas l’im-pression d’utiliser leurs bandes ventriculaires dans le geste phonatoire.

La figure 5.3 illustre ces observations par une analyse kymographique représentative de la production de voyelles tenues en mécanisme M1. Les images laryngées analysées correspondent à l’exemple sonore de la figure 5.2, traité sur la séquence (1), d’une durée de 400ms. Le kymogramme montre l’évolution temporelle de la ligne horizontale sélectionnée sur l’image laryngée, placée à la mi-largeur environ des bandes ventriculaires, dans un espace délimité par l’encadré en pointillés sur l’image. Il compare l’oscilla-tion périodique des cordes vocales à 120Hz (la♯1) avec l’ouverture ventriculaire ˜hbv(z, t), invariante dans le temps à la position z observée.

Ce contraste entre la dynamique des ouvertures ˜hcv(z, t) et ˜hbv(z, t) s’étend à toute autre position z sélectionnée sur l’étendue de l’espace glottique. Le comportement ventriculaire est caractérisé par un espace non nul et invariant dans le temps entre les bandes pendant la phonation. Bien que constant à

Fig. 5.3 – Image laryngée (gauche) et analyse kymographique de la ligne horizontale sélectionnée sur l’image (droite) d’une séquence de phonation usuelle d’environ 400ms en mécanisme laryngé M1. Les lignes tracées en noir sur le kymogramme sont relatives aux BV, celles en blanc aux CV. Sujet L5, la♯1 (120Hz), extrait de l’exemple sonore Audio1.wav. D : droite, G : gauche.

une position z fixée de l’axe glottique médian, l’écart séparant les bandes ventriculaires augmente dans la direction antéro-postérieure. Comme pour les cordes vocales, l’approximation d’une section d’aire rec-tangulaire dans le plan axial (y, z) semble donc a priori assez grossière dans la configuration étalon. A titre illustratif, la figure 5.5 approfondit l’analyse kymographique proposée figure 5.3 en sélectionnant plusieurs lignes réparties sur l’épaisseur du larynx. La série d’images analysées correspond à la plage(2) spécifiée sur la figure 5.2, d’une durée de 66.5ms. Huit lignes sont sélectionnées perpendiculairement à l’axe glottique médian, aux endroits signifiés sur l’image laryngée. Les lignes numérotées de 1 à 4 sont réparties successivement sur la moitié postérieure des bandes ventriculaires, et celles numérotées de5 à 8 balayent la moitié antérieure. Les lignes3 et 5, de même que les lignes 4 et 6, sont proches mais distinctes. Les huits kymogrammes résultants sont tracés en synchronisation avec les signaux EGG et DEGG asso-ciés, normalisés. La correspondance quantitative entre les variations des signaux EGG, DEGG et celles des aires mesurées aux cordes vocales, ˜Acv(t), et aux bandes ventriculaires, ˜Abv(t), au cours d’un extrait de cette séquence est présentée sur la figure 5.6. ˜Acv(t) et ˜Abv(t) sont calculées à partir de la méthode manuelle de détection de contours par édition de courbes de Bézier exposée au §2.3.3. La confrontation des kymogrammes de la figure 5.3 les uns par rapport aux autres illustre trois caractéristiques principales du comportement ventriculaire lors de la production de voisement usuel :

– ˜hbv(z, t) > 0, quelle que soit la position z considérée sur l’épaisseur des bandes (en dehors du point de jonction à la base de l’épiglotte) ;

– à z fixé, ˜hbv(z, t) est invariant par rapport à t ; autrement dit, les bandes ventriculaires restent sans mouvement pendant la vibration glottique. Cette propriété est confirmée sur la figure 5.6. En effet,

˜

Abv(t) reste constante sur la séquence, en contraste avec les oscillations périodiques de ˜Acv(t) et des signaux EGG et DEGG. Notons que dans le cas étudié, le cartilage corniculé masque la partie postérieure droite des cordes vocales et des bandes ventriculaires (cf. images laryngées des figures 5.5 et 5.6) et la détection de contours conduit donc à une sous-estimation de ˜Acv(t) et de ˜Abv(t). Néanmoins, ce masquage reste constant sur la durée de la séquence présentée, et la dynamique des aires glottiques et ventriculaires dans le temps est donc bien représentée.

– à t fixé, ˜hbv(z, t) croît avec z ; la visualisation des images laryngées sur un cycle glottique de la séquence, présentée sur la figure 5.4, appuie cette observation.

En conséquence de ces observations, remarquons que les variations de contact mesurées par les si-gnaux EGG et DEGG n’intègrent aucune information liée au comportement des bandes ventriculaires en phonation usuelle. Ils enregistrent exclusivement les variations de contact aux cordes vocales,

confor-mément aux études antérieures (Fabre[52], 1957, Fourcin & Abberton[58], 1971, Rothenberg[158], 1992, Orlikoff [146], 1998). Ce constat est intéressant par contraste avec les observations qui seront formulées dans l’étude de phonations spécifiques présentées au cours des chapitres suivants.

Fig. 5.4 – Visualisation des images laryngées acquises sur un cycle glottique en phonation usuelle (de gauche à droite). Sujet L5, la♯1 (120Hz), extrait de l’exemple sonore Audio1.wav entre t = 2300ms et t = 2308, 50ms.

Relation entre l’ouverture ventriculaire et l’ouverture glottique

Nous nous intéressons dans cette partie à la relation entre les géométries glottique et ventriculaire. Quels que soient l’instant t du cycle glottique et la position z observée, l’ouverture ventriculaire ˜hbv(z, t) reste toujours supérieure à l’ouverture glottique ˜hcv(z, t). Nous proposons de déterminer le rapport de ces ouvertures à l’instant tmdu cycle glottique où la distance ˆˆhcv(t) prend sa valeur maximale. Soit zmla posi-tion sur l’axe glottique médian où se produit ce maximum d’amplitude glottique. Le tableau 5.1 regroupe les calculs des rapports ˆˆγ(tm), γ(tm) et γ(zm, zm, tm) selon la procédure détaillée au§ 2.3.3. Cette pro-cédure est réalisée à l’instant tmd’un cycle glottique caractéristique pour chacun des 22 enregistrements de phonation usuelle de la base de données. L’analyse des images laryngées conduit aux résultats suivants :

Fig. 5.5 – Huit vues kymographiques distinctes et positions correspondantes tracées et numérotées de 1 à 8 sur une image laryngée obtenue par cinématographie ultra-rapide, représentées en synchronisation avec les signaux EGG et DEGG normalisés. Cette séquence correspond à 66.5ms de la phonation étalon. Les barres noires sur chaque kymogramme, repérées par les flèches sur la droite, délimitent les bords libres des bandes ventriculaires. (Sujet L5, extrait de l’exemple sonore Audio1.wav).

– le rapport ˆˆγ(tm) = ˆˆhbv(tm)/ˆˆhcv(tm) varie entre environ 2 et 6. Ainsi, l’écartement maximal des bandes ventriculaires majore celui observé entre les cordes vocales en phonation usuelle, d’un fac-teur moyen environ égal à 3. Ces écartements sont mesurés en deux positions distinctes de l’axe glottique médian pour 68% des séquences étalons.

– le rapport γ(tm) = ˆhbv(tm)/ˆˆhcv(tm) est proche de 1 en moyenne. Il varie entre 0 et 4, en s’annulant lorsque la commissure antérieure des bandes ventriculaires n’est pas cachée par l’épiglotte, comme sur la figure 5.3. Pour tous les sujets, la distance ˆhbv(t) est observée au plus proche de la base de l’épiglotte dans ces conditions de voisement usuel.

– à la position zm de l’axe glottique médian, l’ouverture ventriculaire mesurée est plus grande que l’écartement maximal entre les cordes vocales, dans un rapport variable entre 1 et 5 (valeur moyenne d’environ 3).

En supposant l’amplitude maximale de l’ouverture glottique située entre 2mm et 3mm (Hirano & al, [84], 1983, Guily & Roubeau[70], 1994, Agarwal [2], 2004), Agarwal [2], 2004 mesure une ouverture ventriculaire moyenne supérieure d’un facteur 2-3. Scherer[173], 1981 suggère un rapport ˜hbv/˜hcv variant entre 0,7 et 3,5 sous ces hypothèses. Les études antérieures confortent ainsi les résultats de notre étude.

Sujet n prise ˆˆγ(tm) γ(tm) γ(zm, zm, tm) L1 1 4,38 3,64 4,09 L1 10 5,78 1,91 5,23 L1 14 5,41 2,05 5,24 L1 15 2,71 0,93 2,71 L2 1 5,17 4,29 -L2 2 3,98 2,93 3,73 L3 1 2,48 0,79 2,48 L3 7 2,73 0 2,73 L3 9 3,61 1,88 3,25 L3 10 3,05 0 3,05 L3 12 3,11 0 3,11 L3 13 2,40 0 2,57 L3 14 3,08 0 3,08 L3 22 2,96 0 2,96 L4 1 2,36 1,76 2,36 L5 12 1,81 0 1,42 L5 13 1,60 0,57 1,33 L5 14 1,57 0,42 1,05 L5 15 2,52 0,93 1,00 L5 17 2,09 0 2,09 Maximum 5,78 4,29 5,24 Minimum 1,57 0 1,00 Moyenne 3,14 1,10 2,81

Tab. 5.1 – Tableau récapitulatif des rapports ˆˆγ, γ et γ(zm, zm, tm) mesurés sur les images laryngées associées à la configuration étalon dans la base de données (voisement usuel, mécanisme laryngé M1). L’évaluation de ces rapports est réalisée par la méthode (1) décrite au § 2.3.2. La séquence grisée corres-pond à l’exemple représentatif choisi dans ce chapitre. Les données relatives au chanteur C2 se distinguent par une géométrie des bandes ventriculaires plus spécifique lors des transitions M1 ↔ chant de gorge ; elles sont détaillées au chapitre 7. Le signe « - » indique que la configuration laryngée rend la mesure du rapport impossible.

L’étude du cas particulier choisi comme étalon de la phonation usuelle (exemple sonore Audio1.wav) conduit à un rapport d’aires α = ˜Abv(t)/maxtA˜cv(t) égal en moyenne à 3,7. Ce rapport constitue pour notre étude un quotient de référence pour le geste de voisement usuel, avec néanmoins la réserve liée aux erreurs propres à la technique d’extraction d’aires (cf. §2.3) et aux variabilités inter-individuelles.

Fig. 5.6 – Illustration d’une image laryngée type obtenue dans l’étude étalon (Sujet L5, mécanisme M1, extrait de l’exemple sonore Audio1.wav), et contours des aires glottique et ventriculaire détectés par édition de courbes de Bézier (à gauche). Signaux interpolés ˜Abvn(t), ˜Acvn(t) déduits de l’extraction de contours, et signaux EGG et DEGG normalisés (EGGn, DEGGn) associés en fonction du temps (à droite).