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II. A travers le prisme du don, que voit-on ? Logique de don et histoire de don

1. Des dons qui s’inscrivent dans des actions de RSE et de développement durable

1.3. Le Sénégal, heureux bénéficiaire des dons développe son pays durablement

1.3.3. Linéarité et circulation

1.3.3.1. Des choses sont gardées de part et d’autres

Tout d’abord, abordons un sujet que l’on a peu relaté et qui semble prendre toute son importance ici : c’est la question de l’écotaxe. Comme chacun sait, en France entre autres, la gestion des DEEE s’organise autour d’éco-organismes indépendants qui récoltent pour chaque achat de matériel électronique, une écotaxe destinée à couvrir le traitement du futur déchet. Dans le cadre de ce don d’ordinateurs, des écotaxes ont été payées pour le traitement final de ces ordinateurs, pourtant cet argent, lui, ne circule pas et ne suit pas le matériel qui finalement devra être traité au Sénégal. De plus, ce n’est pas comme si la France était apte à réinjecter tout cet argent capté par l’écotaxe pour le traitement de ses déchets dans le territoire, puisqu’au contraire, bien qu’à but non lucratif, les éco-organismes sont « excédentaires ». Beaucoup de ce matériel n’arrive pas jusqu’aux mains des acteurs de gestion des DEEE, c’est ainsi que s’explique cet argent « en trop ». Abdou Diouf d’Enda Graf m’avait expliqué la position qu’il a tenu à Lyon en 2008 : « Tout ce que nous savons aujourd’hui, c’est que le matériel, pour la plupart maintenant, ne finit pas sa vie en Europe ; pourtant, l’argent payé en conséquence reste en Europe. Si on veut être responsable, par solidarité, il faut que cet argent suive le matériel là où il va finir sa vie, voilà ce que moi j’avais dit. », lors de la conférence mondiale sur la solidarité numérique. « J’ai dit, en sortant, que si on parle de solidarité numérique, il faut bien qu’on l’inscrive dans la responsabilité aussi bien au Nord qu’au Sud. »

Nous connaissons tous la lenteur et la rigidité des règlementations et administrations en France, qui pourrait expliquer cette non-circulation pour le moment, mais tout de même, nous pouvons d’ores et déjà considérer que ces dons ne sont pas aussi altruistes qu’ils sont présentés et que le problème posé par les déchets qui concerne pourtant la population entière, est toujours sujet aux phénomènes NIMBY67. Alors qu’il existe une conscience globale qui permet de se rendre compte que les problèmes des déchets, quels qu’ils soient, restent finalement le problème de tout un chacun, car ils polluent notre terre, notre biosphère, notre bien commun, on continue de s’intéresser à ce qui est proche physiquement, territorialement et à ne pas voir le lointain.

D’autre part, certains Sénégalais, eux aussi conscients de la valeur de leurs idées et de leurs travaux de recherche sur les DEEE, montrent dans certains cas, la volonté que cela

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189 profite au Sénégal au lieu d’être récupéré par les occidentaux. Je pense au directeur de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE)68 qui ne voulait pas présenter précisément les résultats de leurs enquêtes concernant les e-déchets pour qu’ils servent à ses doctorants aux chercheurs de l’UCAD69, du Sénégal : « Nous avons énormément d’informations que nous avons jalousement gardées. (Ricanements, contentement de la salle). Je dis jalousement parce que nous avons des étudiants qui doivent faire des travaux sur ça, leur doctorat donc les résultats, c’est pour eux. […] L’information c’est le pouvoir »70.

Comme habitué à ce que l’Occident s’empare de toute chose potentiellement intéressante et valorisable, un sentiment de méfiance-défiance gène la circulation des biens, des idées, etc. Nous ne sommes pas dans un monde sans rivalité ou altruisme et humanisme règnent malgré tout.

Ainsi, laissant de côté la prise en compte de la valeur économique des biens donnés, il est question alors de notions telles que réciprocité, échange et partage entre donataire et donateur qui permet la relation. A moins que le Nord ne se sente en dette, et que cette aide au développement soit un contre-don, la réciprocité et l’échange seraient ici de rendre quelque chose au Nord (à l’identique pour la réciprocité), ou plus précisément à Axa ou Besançon. clic. Or, l’aide au développement n’est pas censée mettre plus en dette les pays en voie de développement, au contraire, elle vise à rétablir plus d’égalité en permettant développement et autonomie (empowerment). Il semble évident que le Sénégal ne va pas, par réciprocité envoyer des dons en France à Axa ni même à Besançon. Ainsi la Sénéclic accepte des dons sans pouvoir remplir son « obligation » de rendre. Traiter les e-déchets pourrait être considéré comme un contre-don.

Le sociologue canadien Jacques T. Godbout a actualisé les thèses de Mauss en abordant le don comme le rapport social par excellence : « Le don gratuit n’existe effectivement pas, car le don sert avant tout à nouer des relations; et une relation, sans espoir de retour, n’en serait pas une. (…) » (Godbot, Caillé, 1992 : 14)

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A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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A l’Université Cheikh Anta Diop, pendant l’intervention de l’ISE au Forum Social Mondial de Dakar en 2010

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190 Dire que la Sénéclic ne rend rien à Axa est une vision qui semble très réductionniste car elle ne s’attache qu’au retour matériel. La Sénéclic ne rend rien comme objet mais d’autres retours sont possibles, tels que la reconnaissance, la mise en valeur du donateur qui reçoit ainsi une récompense symbolique… D’ailleurs il existe bien une relation entre donateur et donataire, qualifiée de partenariat tripartite de développement durable et nommant l’entreprise Axa, l’association française Besançon clic et l’agence gouvernementale sénégalaise, la Sénéclic. Donc, la relation existe, elle est même institutionnalisée et contractuelle puisqu’elle a abouti à un partenariat, elle serait d’ailleurs, d’après les discours, durable… Cependant, la manière dont circule informations, connaissances et dons est unilatérale, ce qui, quelque part, enchaîne symboliquement le Sénégal, la Sénéclic dans une situation d’infériorité. A aucun moment il n’est question de partage de connaissances ni même d’apprendre quelque chose du Sénégal, mais au contraire, le vocabulaire utilisé comme transfert de compétence, de technologie, essaimage, etc. souligne l’inégalité des échanges et rappelle, avec l’emploi de ce vocabulaire, le développement dit « orthodoxe ». Le développement durable qui affirme l’empowerment comme principe fondamental, ne semble pas respecté dans les actes bien que la volonté de rendre autonome la cellule Sénéclic soit déclarée par Besançon sur leur site internet. Une des preuves flagrantes du manque d’autonomie est que ce ne sont pas les gens formés de la Sénéclic ou du CHAT qui forment les membres de la cellule de lutte contre la fracture numérique de Guinguenéo, ce sont encore les experts de Besançon.clic qui s’en chargent71.

Ainsi, ces dons présentés comme bénéfiques, libérateurs, comme moyen d’accéder à l’autonomie et au développement, semblent au contraire enchaîner les acteurs du Sud dans une situation d’infériorité