• Aucun résultat trouvé

III. La question des e-déchets

2. Dons de seconde main ou dons d’e-déchets ?

2.4. Les e-déchets de la solidarité numérique : une question primordiale

Le FSN a été dissolu et certains parlent de son enterrement après avoir entendu le discours de son président Abdoulaye Wade. Environ un mois après l’annonce de la dissolution du Fonds de Solidarité Numérique, Alain Madelin a envoyé une délégation française conduite par un de ses collaborateurs pour vendre un projet fournissant 40 000 tableaux blancs interactifs au Sénégal afin de concourir à la réduction de la fracture numérique et d’apporter l’éducation numérique pour tous pour une somme de 26 milliards de Francs Cfa soit 40 millions d’euros. L’observatoire des systèmes d’informations des réseaux et inforoutes au Sénégal présidé par Olivier Sagna a rendu publique son opinion en l’affichant dans son éditorial électronique qui figure sur la page d’accueil du site. Olivier Sagna dénonce cette soi-disant solidarité numérique et prévient ses lecteurs de ne pas se laisser berner par ce geste présenté comme solidaire, « Il s’agit d’une opération commerciale dont les principaux

bénéficiaires seront les fournisseurs de ces équipements et leurs associés, la facture étant réglée par le Sénégal qui devrait notamment se voir allouer un prêt de la Banque Africaine de

42

91

Développement (BAD). »43. Cette dénonciation n’est pas l’expression d’une position contre l’introduction massive des TIC dans le système éducatif Sénégalais car Osiris et l’auteur de l’éditorial est convaincu de la nécessité d’équiper les écoles afin d’avoir des ressources humaines sénégalaises en phase avec l’environnement dans lequel le Sénégal se meut désormais à l’échelle globale, mais précise que la réduction de la fracture numérique est un problème qui ne se réduit pas à l’équipement et explique sa conception de la question des 5C, que sont la connectivité, les compétences, les contenus, les coûts et le contrôle qui influent les unes sur les autres continuellement. Il prône une stratégie qui prenne en compte tous les aspects de cette fracture entre Nord et Sud au niveau des TIC sans quoi « Faute d’emprunter

cette démarche, notre pays sera pendant encore longtemps condamnés à payer la facture numérique sans pour autant que ne se réduise la fracture numérique. »44

Nous voyons bien déjà les liens existants entre développement durable, solidarité numérique et e-déchets. Le développement durable qui peut se concrétiser en action de responsabilité sociale d’entreprise, de solidarité numérique, bien que répondant au principe des 3R, reporte le problème des e-déchets qu’il faut de toute façon traiter.

Cette solidarité, demandée au Nord par le Président Wade, se concrétise entre autre à une échelle nationale, par un partenariat créée entre une entreprise du Nord Axa qui donne ses ordinateurs de seconde main à la ville de Besançon qui applique et promeut un modèle de recyclage/reconditionnement pour le réemploi des dons d’ordinateurs en les installant dans ses écoles puis au Sénégal à la Sénéclic qui elle aussi, équipe ses écoles. Ainsi récompensé et félicité ce modèle de partenariat tripartite Nord-Sud entre acteurs public et privé, qualifié de développement durable se concrétise par des actions de responsabilité sociale d’entreprise. Ainsi selon le principe des 3R, les ordinateurs qui auparavant aurait été jetés dans une décharge française et traités par des industries spécialisées à l’aide des écotaxes récoltées par des éco-organismes sont reconditionnés et envoyés en partie au Sénégal. Ce projet encadré par la Sénéclic devrait permettre aux enfants des écoles primaires sénégalaises, non seulement d’avoir accès à ces nouvelles technologies, mais aussi d’apprendre à les utiliser afin qu’ils puissent potentiellement participer à notre société de l’information mondialisée tout en réduisant les écarts de développement selon les principes de développement durable. Cet

43

Sagna O., Batik, lettre d’information d’OSIRIS n° 124 du mois de novembre 2009, vu sur le site internet www.osiris.sn sur le lien www.osiris.sn/sommaire.html le 2 décembre 2009.

44

92 exemple est le terrain que nous avons choisi pour tenter de répondre à nos questions de recherches qui concerne les relations Nord-Sud de développement durable

Nos questions de départs étant très larges, il nous a en effet été impossible d’y apporter quelques éléments de réponses sans s’intéresser à un cas très micro. Ce projet tripartite, qui n’a pas été choisi a priori, cela est expliqué en seconde partie, est un exemple tout à fait adapté pour pouvoir observer l’hypothétique double contrainte issue des discours internationaux. De plus, bien que nos futurs résultats ne se veulent pas généralisables, ce cas de solidarité numérique Nord-Sud étant félicité et encouragé par de grandes instances internationales, devrait être essaimé dans d’autres pays, ce qui rendra nos résultats pertinents pour plusieurs systèmes. Nous verrons en seconde partie, que nous ne prétendons pas pouvoir généraliser nos résultats, mais le fait de travailler sur un modèle jugé exemplaire, nous permet d’estimer que ce projet n’est pas si singulier. Cette exploration pourra être utile en ce qui concerne ce type de projets d’aide au développement durable.

La recherche empirique qui suivra étudie un système de solidarité Nord-Sud, public privé de développement durable dont la vocation est de lutter contre la fracture numérique du Sénégal. Nous cherchons à observer la circulation de l’information et de la communication à ce sujet, la concrétisation de l’aide à la lutte contre ces fractures par des actions de RSE et leurs effets notamment sur les rapports symboliques entre pays développés et en voie de développement. Tout ceci semble trop vaste, mais ceci nous montre avant tout qu’il est difficile d’aborder ces questions hors d’une certaine complémentarité entre les approches des sciences de gestion, sciences de l’information et la communication et des réflexions écologiques sur le développement durable.

93

Seconde partie

Démarche exploratoire,

un voyage au cœur de la double bind

Introduction

Cette seconde partie présente la partie empirique de notre recherche. Elle est un voyage du côté de la réception des discours et pratiques du développement durable, de la solidarité numérique et de la responsabilité sociale des entreprises. Nous avons pris le parti de ne pas suivre la structure habituelle, précisant la méthode, l’appliquant à un terrain et décrivant des résultats. Il s’agit plutôt d’un récit de voyage où les « résultats » prennent la forme d’observations et de réflexions. La méthode s’est précisée au cours de l’enquête, le terrain n’était pas délimité à l’avance, il s’est découvert au fur et à mesure comme l’on avance dans un paysage. Nous décrirons donc plutôt notre voyage, tout de découverte d’un autre monde et de pensées, de réflexions sur la méthode mélangées avec d’autres sur notre question de recherche.

Et nous passerons du nous au je, pour montrer que nous ne pourrions dire plus que notre expérience, personnelle et singulière, et que tout autre chercheur, s’aventurant sur le même lieu, aurait certainement tracé un parcours tout différent. Mais le je reste un je de chercheur, non celui d’un touriste ou d’un romancier. Ce n’est pas parce que ce je est personnel, et comment pourrait-il en être autrement ?, qu’il ne prétend pas dire une certaine perspective, nous dirons une certaine « vérité » de la réception telle que nous l’avons rencontrée sur place. Il trace le chemin de la construction d’une voix, cette voix qu’à la fin du parcours nous pourrons porter pour la discuter et la confronter aux études et concepts théoriques de la littérature académique.

94 Ainsi il avait été convenu que je séjourne deux fois environ un mois au Sénégal (octobre 2009 et février 2011). Mais plus l’échéance se rapprochait, plus ce qui avait à faire sur le terrain me semblait flou et énorme.

J’avais de plus reçu comme conseil de mes professeurs de ne pas trop me renseigner à l’avance sur le pays. Je devais me rendre à Dakar sans un regard déjà trop chargé de connaissances à distance et de préjugés. Il devait s’agir, pour le premier séjour, de mieux me rendre compte de la place que pouvait prendre « le développement durable » au Sénégal en portant un regard attentif aux déchets. Et aussi de préciser ma méthode.

Ce que j’avais lu jusqu’ici sur le développement durable me semblait posé à une échelle trop grande pour me guider sur le terrain : était-ce une nouvelle forme d’ingérence du Nord sur les pays du Sud (Brunel, 2005) ? Ou discours instrumentalisé par ces derniers pour obtenir des crédits internationaux (Mancebo, 2007) ? La seule piste qui pouvait m’aider à l’échelle de ce que je pouvais observer était mon hypothèse de double contrainte. Il allait me falloir détecter des situations de blocages, trouver des contradictions (Bateson 1995, Beavin et

al., 1972), et voir comment il y est localement fait face. Je voulais, loin des discours, en

décentrant mon regard, rencontrer les visages qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas au Nord et qui pourtant travaillent et vivent concrètement la solidarité numérique.