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De l’émergence du modèle de la compétence

Dans le document 064 (Page 48-51)

Zarifian (1999), analysant l’introduction du concept de compétence et du modèle sous- jacent dans le monde de l’économie et de l’entreprise, distingue deux étapes-clés, « deux

48 60-80. Il s’agit notamment de mai 1968 et de la crise du taylorisme53 ainsi que des nouveaux

défis en termes d’efficacité54 générés par les nouvelles exigences du marché qui fait appel à

davantage d’initiative et d’implication de la part des salariés. Lichtenberger corrobore les propos de Zarifian (1999) et montre le cheminement de cette notion dans le monde de l’entreprise et celui de la formation professionnelle ensuite (2005, cité dans Rapport du groupe de travail « compétences », 2011, p. 15) :

Le mouvement de la compétence se développe comme l'indice d'un nouveau défi productif : la valeur créée par l'initiative et l'implication accrue des salariés dans l'organisation de leur travail. C'est dans un tel contexte que le terme de compétence, utilisé à la fin des années 60 comme contrepoids au taylorisme triomphant, repris des linguistes (Stroobants, 1993) et par les formateurs dans les années 70 pour instrumenter l'essor de la formation professionnelle initiale et continue, se généralise dans le vocabulaire des organisateurs et gestionnaires des ressources humaines au cours des années 80.

Les années 90 voient l’usage de cette notion se répandre très vite à tous les secteurs d’activités et dans bon nombre de pays sous l’impulsion d’un certain nombre d’organisations internationales (Koebel, 2006, p. 68) : « depuis la fin des années 1990, la “ logique compétence” a gagné du terrain dans la gestion du travail au sein des entreprises […]. » Ainsi le monde de l’économie et de l’entreprise, s’inscrivant dans une forte logique d’autonomisation et de responsabilisation, recourt de plus en plus à la notion de compétence pour la gestion et l’évaluation du personnel (Koebel, 2006, p. 68-69) :

Le monde de l’entreprise – et notamment celui des grandes entreprises – semble de plus en plus enclin à utiliser le terme de compétence dans ses outils de gestion et de contrôle du personnel. La logique économique qui le domine met cette notion au cœur des dispositifs de gestion des salariés, souvent associée à la volonté de développer l’autonomie dans les divers postes de travail, mais toujours subordonnée à la nécessité de la performance et de la rentabilité à court et moyen terme […]. La compétence est ici clairement identifiée comme étant inextricablement liée à l’exercice professionnel dans l’entreprise.

53 Zarifian (1999a, p. 50) : La première origine du problème de la compétence, à une époque où le mot n'était

pas encore utilisé, c’est la fin des années 60-début des années 70, lorsqu'on a commencé à parler de crise du taylorisme, parce que finalement c'est vraiment à cette époque-là qu'on a mis en avant ce terme de la crise du taylorisme.

54 Zarifian (1999a, p. 50) : Le deuxième grand virage, là où le mot compétence est apparu explicitement, c'est

au début des années 80, surtout milieu des années 80 où ce mot apparaît dans les entreprises, […] qui veulent se sortir de la crise par le haut, par la qualité et la diversification des produits, puisque le début des années 80, c'est juste la période de sortie de la crise des années 70. Qui plus est, comme on est sur un marché qui se diversifie, qui se complexifie, les descriptifs de poste de travail sont très vite dépassés. On s'aperçoit que, suivant la commande d'un client ou d'un autre, ce qu'il y a à faire, à produire, à respecter comme exigences qualitatives, n'est pas identique. Donc on ne va pas pouvoir enfermer les actions dans une même définition de poste. […] C'est bien là que se situe la deuxième origine, qui est que la notion de poste de travail commence à craquer, pas simplement pour un problème d'autonomie ou de manière de se situer socialement, mais pour des problèmes d'efficacité. Les problèmes d'efficacité rentrent pleinement en ligne de compte. On commence à se dire « au fond le meilleur moyen pour que les gens soient efficaces dans une organisation, c'est qu'ils prennent en charge eux-mêmes les performances de l'organisation. »

49 Cette récupération de la notion de compétence par l’entreprise qui répond à une stratégie qui vise, selon Zarifian, son instrumentation en vue d’exercer un contrôle de plus en plus étroit sur l’activité et le rendement de ses cadres et salariés (2002, paragr. 11) :

[…] la compétence s'inscrit toujours, implicitement ou explicitement, dans une stratégie. Nous nous limiterons aux stratégies d'entreprises […]. On peut dire qu'elle s'y trouve "récupérée" et instrumentée, en particulier dans les contrôles de résultats, issus des pratiques de contrôle de l'activité des cadres […].

Une situation qui pour Le Goff n’est pas sans préjudice pour le salarié, qui, confronté au quotidien à des situations complexes, doit faire preuve d’autonomie et d’initiative, de

responsabilité et de créativité et doit se « débrouiller » sous la pression de plus en plus accrue

de sa hiérarchie (2003, p. 22) :

« Autonomie », « évaluation », « contrats d’objectifs » : ces trois éléments forment un tout ; se dessine une nouvelle configuration de l’encadrement et des rapports de travail au sein des entreprises. Le commandement et la discipline inhérents à la production ne sont plus clairement revendiqués comme tels. Ils n’en continuent pas moins d’exister, mais leur dénégation rend possible la manipulation. À la contrainte externe se substitue une tentative d’intériorisation des contraintes et des normes. Celles-ci sont censées être le produit d’une libre adhésion de chaque membre de l’entreprise et faire l’objet de « contrats ».

Chaque salarié est placé devant une situation contradictoire, profondément déstabilisatrice : il est sommé d’être autonome en même temps qu’il doit se conformer à des normes strictes de performances ; […] il est censé décider en toute autonomie en même temps qu’on lui fait savoir qu’il n’a guère le choix : c’est une question de survie, de modernité ou d’archaïsme. L’évaluation doit être « auto-évaluation » alors qu’elle implique procédures et outils sophistiqués élaborés par des spécialistes. Les objectifs sont présentés comme des normes […], alors que la notion même de « contrat d’objectif » laisse supposer une liberté de choix.

Bronckart considère qu’avec l’introduction de la « logique des compétences » –le terme logique nous semble approprié –, l’objectif premier, ce qui est réellement visé, c’est cette nouvelle conception et organisation du monde du travail qui tend à remplacer la qualification- diplôme par les compétences (2009, p. 3) (nous mettons en italique) : « le premier principe est de remplacer la logique des qualifications qui prévalait jusque-là, par la logique des compétences. » En ceci, elle constitue un bouleversement de la relation de l’homme au travail (Bronckart, 2009, p. 3-4) :

La première logique repose sur le principe d’une correspondance stable entre les savoirs validés par un diplôme et les exigences d’un emploi, et semble pour cette raison ne plus pouvoir préparer les travailleurs aux mutations rapides et en partie imprévisibles des conditions de travail : les qualifications seraient nécessairement toujours “en retard“ par rapport aux exigences de tâches qui évoluent et se complexifient en permanence.

La logique des compétences part du constat qu’en dépit de l’inadaptation éventuelle de leurs qualifications, nombre de travailleurs “se débrouillent“ et sont efficaces dans leur emploi, qu’ils témoignent donc, en situation concrète de travail, de capacités réelles, mais mal connues et mal définies : ce sont donc ces compétences effectives qu’il s’agit d’identifier, d’analyser, de comprendre, pour fonder ensuite sur elles de nouvelles démarches de formation et de développement.

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B. La compétence dans le domaine de l’économie et de

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