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De la compétence linguistique à la compétence de communication

Dans le document 064 (Page 65-68)

La conception chomskyenne, « formaliste et abstraite de la compétence » (Pekarek Doehler, 2005, p. 43), va vite soulever un certain nombre de réserves en raison de son caractère bridé et restrictif (Kerbrat-Orecchioni, 1990) de l’activité langagière, à savoir son confinement dans un locuteur idéal qui ne prend pas en compte les différentes composantes, sociales et contextuelles qui interviennent dans la situation de communication. C’est ce que Hymes se propose d’intégrer dans ce qui deviendra par la suite la compétence de communication87 (Pekarek Doehler, 2005, p. 43) :

La conception hymesienne est fondée sur la thèse que la maîtrise du langage consiste non seulement à disposer de moyens linguistiques formels, mais aussi à savoir les mettre en œuvre de façon adéquate dans une situation donnée. La nature sociale et contextuelle du langage en usage apparaît ainsi comme la dimension fondamentale de la notion de compétence, ce qui a rendu cette dernière particulièrement attrayante pour les tenants d’une conception non formaliste du fonctionnement du langage, et tout particulièrement pour les tenants d’une conception interactionniste.

87 (Hymes 1982 cité par Castellotti et Py, 2002, p. 18) : La notion de « compétence de communication »

trouve surtout son origine dans la convergence de deux courants distincts : la grammaire générative transformationnelle et l’ethnographie de la communication ; le point commun étant une prise en considération des capacités des utilisateurs d’une langue.

65 Galisson et Coste dans le Dictionnaire de Didactique des Langues présentent la compétence de communication comme d’une part « une contestation » et d’autre part comme « une extension » de la notion chomskyenne (c’est nous qui mettons en italique) (1976, p. 105) :

Hymes désigne sous l’expression compétence de communication la connaissance (pratique et non nécessairement explicitée) des règles psychologiques, culturelles et sociales qui commandent l’utilisation de la parole dans un cadre social. Le processus de socialisation langagière […] consiste pour partie en l’acquisition progressive de cette compétence de communication qui complète nécessairement la compétence grammaticale du sujet parlant. La compétence de communication suppose la maîtrise de codes et de variantes sociolinguistiques et des critères de passage d’un code ou d’une variante à d’autres : elle implique aussi un savoir pragmatique quant aux conventions énonciatives qui sont d’usage dans la communauté considérée.

Cuq, qui souligne également ce caractère réductionniste de la conception chomskyenne de la notion de compétence, présente les composantes et l’intérêt de cette compétence

communicative qui prend en compte la situation de communication, avec ses différentes composants, comme cadre de production du discours (2003, p. 48) :

[…] Pour contrecarrer ce réductionnisme, Hymes propose la notion de compétence communicative, qui désigne la capacité d’un locuteur de produire et interpréter des énoncés de façon appropriée, d’adapter son discours à la situation de communication en prenant en compte les facteurs externes qui le conditionnent : le cadre spatiotemporel, l’identité des participants, leur relation et leurs rôles, les actes qu’ils accomplissent, leur adéquation aux normes sociales, etc. on parle d’autre part, en psycholinguistique, de compétence textuelle.

Cette conception et définition de la compétence va permettre l’émergence en DDL de nouvelles approches axées sur la maîtrise des stratégies illocutoires et discursives, des pratiques et des genres : approche communicative, approche fonctionnelle, approche interculturelle, etc. (Cuq, 2003, p. 48) :

En didactique des langues, cette vision de la compétence amène inéluctablement à des approches qui donnent priorité à la maîtrise des stratégies illocutoires et discursives, des pratiques et des genres : approches communicative ou notionnelle-fonctionnelle par exemple. Si une langue est appréhendée comme un guide symbolique de la culture, et la culture comme tout ce qu’il faut savoir ou croire pour se comporter de façon appropriée aux yeux des membres d’un groupe, les concepts de compétences linguistique et communicative seront considérés comme des sous- parties d’une compétence socioculturelle. C’est cette vision anthropologique qui étaye les approches didactiques interculturelles ou l’apprentissage intégré de langues et de matières non linguistiques. Elle explique aussi l’insistance de certains didacticiens sur l’expression « didac- tique de langues-et-cultures étrangères ».

La conception hymsienne de la compétence a eu le mérite88 d’insister sur les dimensions discursives et pragmatiques de l’utilisation du langage, mais elle présente néanmoins par sa focalisation sur les dimensions externes de la compétence un certain nombre de limites (Pekarek Doehler, 2005, p. 44-45) :

88 (Pekarek Doehler, 2005, p. 44) : D’une part, le grand mérite de la conception hymesienne est d’avoir

permis de reconnaître la nature plurielle des capacités de communication et de rendre compte des dimensions discursives et pragmatiques de l’utilisation du langage.

66 […] les traitements empiriques et théoriques dont cette notion a fait l’objet au cours des trois décennies n’ont pas été exempts d’une vision mettant l’accent sur la compétence observable de l’apprenant en tant que produit de l’extériorisation de savoirs et de savoir-faire déposés dans son cerveau, et cette approche tend à méconnaître la sensibilité situationnelle des compétences (qu’elles soient d’ordre linguistique ou pragmatique) et leur imbrication dans les activités pratiques de l’apprenant et de ses interlocuteurs.

Richer (2012) dans une synthèse des différentes conceptions de la compétence de communication revient sur le recours à un certain nombre de notions89 pour décrire les composantes de la compétence de communication et les difficultés de proposer des définitions rigoureuses de celles-ci. Ces difficultés sont à l’origine des imprécisions dans les différentes modélisations proposées par Canal et Sain, Boyer et al. et Moirand, notamment. Il insiste sur l’occultation par ailleurs de la dimension psycho-cognitive de la compétence de com- munication, la réduisant ainsi à un simple modèle taxonomique évitant par la même la question cruciale, celle de l’articulation des différentes composantes qu’appelle néces- sairement l’activation de la compétence de communication90 (2012, p. 40-41) :

Toutefois, il faut reconnaître que ces notions de savoir-faire/savoirs procéduraux/ stratégiques/ savoir-être sont avancées sans être définies rigoureusement, d’où l’imprécision qu’elles engendrent dans ces différentes conceptions de la compétence de communication.

D’autre part, la dimension psycho-cognitive qui devrait sous-tendre ces modèles de la compétence de communication parce qu’elle leur est consubstantielle, parce qu’elle est importante en enseignement/ apprentissage des langues, en particulier lorsqu’on prend en compte l’âge des apprenants (…) cette dimension psycho-cognitive n’est que furtivement abordée chez Canale et Swain par le biais de la compétence stratégique, et absente des autres modèles. Peu est dit dans tous ces modèles sur ce que Malglaive appelle les « activités mentales » (1990, p. 165) ou activités cognitives, c’est-à-dire les opérations d’analyse, de catégorisation, de sélection, d’inférence, de généralisation, etc. cette omission du psycho-cognitif souligne la prégnance d’une conception fortement linguistique de la compétence de communication, une prégnance qui s’étend jusqu’au culturel, puisque de la culture est surtout mis en avant, à travers l’importance accordée à la dimension sociolinguistique, ce qui influe sur le linguistique. L’occultation du psycho-cognitif réduit la portée de ces modèles de la compétence de communication, qui se limitent en conséquence à n’être que de simples modèles taxinomiques, que des énumérations plus ou moins étendues de composantes, sans que soit abordée en particulier la question importante du comment ces compétences s’articulent l’une à l’autre lorsque la compétence de communication est activée.

Pekarek Doehler estime, à l’instar de Richer (2012), que la compartimentation excessive des composantes de la compétence de communication passe sous silence la question de l’interaction de ces composantes au cours de l’acquisition, ce qui nous renvoie une fois de

89 (Richer, 2012, p. 40) : « […] la notion de compétence s’est progressivement enrichie dans sa définition,

passant de savoir avec Chomsky à savoir + savoir-faire procéduraux / connaissances stratégiques, puis à savoir + savoir-faire procéduraux + savoir être avec Boyer et alii. »

90 (Richer, 2012, p. 41) : Enfin (…) il est à noter que tous les didacticiens du Communicatif (excepté Swain

et Canale) ne parlent que de compétence de communication et jamais de performance. […] le rejet des postulats de Chomsky semble suffire à justifier le passage sous silence, ou son report à des temps ultérieurs, de la question posée par l’actualisation de cette compétence de communication.

67 plus, ironie de l’histoire, au concept chomskyen de locuteur natif idéal, et son idéologie91,

contre lequel Hymes s’était élevé (2005, p. 43-44) :

[…] La répartition de la compétence de communication en sous-compétences (linguistique, discursive, sociolinguistique, stratégique, etc.) a donné lieu, dans le domaine de l’enseignement, à la formulation de dispositifs communicatifs divers, pas toujours réussis (voir Martinez, 1996). Elle a abouti, dans le domaine de la recherche, à une « déclinaison éclatée » (Vasseur, 2002), à une compartimentation excessive des composantes de la compétence de communication, dont l’une des conséquences est que l’on sait toujours peu sur la façon dont ces composantes interagissent au cours de l’acquisition. La logique descriptive et évaluative de cette conception des compétences est centrée sur ce que l’apprenant sait faire : ce qu’il sait faire dans n’importe quelle situation est sait faire seul (bien qu’éventuellement face à autrui). Cette logique n’échappe par ailleurs pas entièrement au concept de locuteur idéal- en l’occurrence le natif- contre lequel Hymes s’était justement élevé.

Les limites de cette conception de la notion de compétence, son adoption par le Conseil de l’Europe, son retour en force dans le CECR92et l’insistance sur la dimension praxéologique

(Bronckart, Bulea, Pouliot, 2005b) ont imposé la nécessité de repenser cette conception de la compétence à la lumière des nouvelles orientations en termes de plurilinguisme et pluri- culturalisme (Pekarek Doehler, 2005, p. 43) :

[…] La notion a également retenu toute l’attention de la didactique des langues et, plus récemment, de la politique éducationnelle (par exemple au sein du Conseil de l’Europe). Les difficultés qu’a soulevées la notion de compétence dans ces contextes sont peut-être symptomatiques d’un besoin urgent de la repenser.

C. De la compétence de communication à la compétence

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