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De l’éclipse au regain d’intérêt dans les années

§1 De Memminger à Gesell : le principe de la monnaie accélérée

B) De l’éclipse au regain d’intérêt dans les années

Si Gesell avait pu être considéré comme « prophète » dans l’entre-deux guerre, il sombra rapidement dans l’oubli par la suite car les débats ne se poursuivirent que de façon sporadique après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant ses théories suscitent aujourd’hui un regain d’attention. Des organisations centrées sur cet ordre économique naturel propre à Gesell existent dans les pays germaniques, les pays scandinaves mais aussi en Grande- Bretagne ou au Mexique. Les débats sur la monnaie accélérée resurgissent donc au tournant des années quatre-vingt-dix, avec cependant des spécificités. Le contexte est celui d’une activité déprimée, d’une déflation rampante, d’un chômage de masse, mais aussi de la montée d’une pensée écologiste de l’économie, issue notamment de la problématique du refus de la croissance développée dans les années 1970 par le Club de Rome. Plus spécifiquement, les débats actuels sont centrés sur la recherche d’une autre façon de gérer l’économie, voire de penser l’économie et le travail. Ils ont lieu au sein de groupes alternatifs et marginaux et sur la base d’une agrégation d’idéologies diverses.

Ainsi, il n’est pas innocent que Margrit Kennedy, auteur allemand d’un ouvrage intitulé Libérer l’argent de l’inflation et des taux d'intérêt62, se présente comme non

économiste (Gesell s’était formé sur le tas), publie son livre chez un éditeur dont le catalogue contient beaucoup d’ouvrages destinés à développer sa propre harmonie personnelle, et intègre à l’exposé des principes geselliens la problématique écologique et celle des systèmes d’échange local issus de la crise économique du début des années quatre- vingt. Ce qu’elle propose est une transformation de la société au moyen d’une triple réforme inspirée de Gesell et de la préoccupation environnementale : réforme monétaire, foncière et fiscale. En outre, mêlant la sophrologie, le bouddhisme, l’écologie ou les analogies entre l’organisme humain et l’organisme social, les éditions du Souffle d’or ont édité en 1996 un suivantes : « L’argent est trop difficile à gagner, il ne faut pas le gaspiller » ainsi que « Utilisez les bons

d’achat, épargnez la monnaie d’État ».

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Voir le témoignage de Georges Lardeau, qui a participé à la mise en place de la monnaie fondante, dans Cotten et alii [1996, pp. 31-34], ainsi que dans les travaux en cours de Smaïn Laacher.

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La motivation de cet arrêt est, à Lignières-en-Berry, la peur de « représailles fiscales ». Une ordonnance de décembre 1958 qui prononce l’interdiction de « l’émission ou la mise en circulation de moyens de

paiement ayant pour objet de suppléer ou de remplacer les signes monétaires ayant cours légal » et les

sanctions afférentes n’a pourtant rien d’une menace fiscale... La rhétorique illustre bien le poujadisme sous- jacent à cette expérience. Voir les travaux de Smaïn Laacher.

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ouvrage issu d’un colloque dans lequel sont proposés notamment des réseaux d’échanges de type SEL et une organisation monétaire de type monnaie fondante63.

C’est dans ce contexte que quarante ans après Lignières et Marens, en janvier 1997, un système inspiré de la théorie de Gesell refait son apparition en France, à Saint-Quentin en Yvelines. Il ne s’agit plus cependant d’une expérience de même nature. À Saint-Quentin, il n’y a pas émission de monnaie fiduciaire au sens où des bons de paiement étaient émis dans les autres cas. Le cadre de cette monnaie accélérée est celui d’un pur mécanisme de compensation de soldes monétaires. Les membres du système d’échange local (SEL) comptabilisent leurs échanges sur des comptes personnels au moyen d’une unité de compte interne. Leurs soldes personnels peuvent être positifs ou négatifs, mais le solde global du SEL demeure nul. Le SEL consiste en un cercle d’adhérents. L’expérience de Saint-Quentin en Yvelines, constituée d’une centaine de personnes au début de 1997, a ceci d’original qu’elle mêle le principe gesellien de monnaie fondante au cadre des SEL, dont les fondateurs font précisément remonter l’origine mythique à Wörgl et aux écrits de Gesell. Ce genre d’organisation hybride est par ailleurs préconisé par Margrit Kennedy, sans pour autant qu’Armand Tardella, le responsable du SEL de Saint-Quentin, en ait eu connaissance lorsqu’il a élaboré son système.

Chaque adhérent du SEL s’est vu distribuer une quantité uniforme de monnaie de SEL (1000 pavés). En contrepartie, le solde des comptes de chacun est désormais soumis, s’il est positif, à une taxe mensuelle, afin que l’administration du SEL récupère tout ou partie de la somme distribuée au préalable. Ce mécanisme est pensé par Tardella comme fortement « keynésien » : dans ce cadre expérimental de monnaie fondante, en effet, on tente une injection monétaire. La conjonction des deux phénomènes (injection et dépréciation organisée des avoirs monétaires) a accéléré la dynamique des échanges au sein de la petite communauté du SEL64. La limite essentielle de ce mécanisme se trouve dans l’usage que

l’on peut faire des crédits positifs : cela suppose, au fur et à mesure des injections, qui se réalisent par le biais des nouveaux arrivants, que la masse totale des compétences et des capacités d’offre croît parallèlement.

Cet entremêlement d’expériences différentes peut se formuler ainsi. Les SEL ont pour objectif d’instaurer une monnaie de consommation, au second sens où on l’a entendue plus haut, c’est-à-dire une monnaie créée et dépensée sur place dans un cercle fermé de citoyens. La monnaie fondante de Gesell correspond au premier sens donné plus haut à la monnaie de consommation : une monnaie destinée à circuler et non à être stockée. Mêler les deux principes revient à enrichir profondément l’expérience, mais aussi à la limiter à un

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Cotten et alii [1996].

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Le volume des échanges a été multiplié par trois en moins d’un an (communication privée d’Armand Tardella).

cercle fermé et de fait consentant de personnes.

S

ECTION

2. L

ES CERCLES D

ÉCHANGES À MONNAIE INTERNE

Le projet gesellien de monnaie accélérée semble ne pouvoir fonctionner que sur la base de cercles restreints de personnes acceptant volontairement cette organisation. Cela conduit à se pencher plus précisément sur le principe même de la circulation monétaire en réseau (§1). Parmi ces réseaux, on distinguera plus précisément ce que l’on pourra qualifier de cercles monétaires, c'est-à-dire des systèmes d’échange entre personnes ou entreprises sur la base d’une monnaie interne et nécessitant une adhésion volontaire. Les systèmes d’échange-marchandise sont un premier type de cercle monétaire, et le Cercle économique WIR un exemple actuel (§2). Les systèmes d’échange local (SEL), enfin, sont des exemples récents et très dynamiques de cercles monétaires (§3).

§1. Circuit monétaire, cercle d’échanges