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Le Cercle économique WIR

§1 De Memminger à Gesell : le principe de la monnaie accélérée

B) Le Cercle économique WIR

Toutes les expériences initiées dans les années trente échouèrent rapidement à l’exception du Cercle économique WIR qui existe encore aujourd’hui malgré des passages difficiles. Il connaît aujourd’hui un regain de vitalité77.

S’inspirant de l’expérience danoise JAK, le Cercle économique WIR fut créé en octobre 1934 en Suisse alémanique sous l’impulsion de Werner Zimmermann et Paul Enz. Selon eux, la dépression était essentiellement due à un trop faible approvisionnement en monnaie et à la thésaurisation. Leur optique doctrinale se rapprochait de la Freiwirtschaft prônée par les adeptes de Gesell sans pour autant adopter l’idée d’une monnaie fondante78.

Le Cercle économique WIR prit d’abord la forme d’une coopérative, puis acquit le statut de banque en 1936. Elle regroupait déjà plus de 3 000 participants79. Elle connut par la suite

deux phases délicates à cause de crédits non remboursés, de malversations, etc., à la fin des

76

Voir un exposé très succinct (et approximatif) dans Kennedy [1996, pp. 137 sq].

77

Voir Wirtschaftsring-Genossenschaft [1984] et [1996].

78

Leur analyse n’était pas fondamentalement éloignée de celle de Gesell ou de celle que Keynes allait systématiser deux ans plus tard dans sa Théorie Générale. Ce qu’ils souhaitaient était effectivement une monnaie qui permît la consommation par sa faculté de circulation.

années 1930 puis au début des années 1970 surtout.

Elle se définit dès son origine comme une « organisation d’entraide

d’établissements de commerces, d’artisanats et de prestations de services ». Son objectif

est :

« D’assister ses participants, de mettre à disposition réciproque leur pouvoir d’achat par le système WIR et de le maintenir dans ce cercle, et par conséquent de pourvoir les participants d’un chiffre d’affaires supplémentaire »80

.

On voit que l’objectif est clairement d’établir un système qui promeuve une monnaie de consommation telle qu’on a pu la définir au chapitre précédent, c'est-à-dire des revenus dépensés dans le cercle d’entreprises où se réalise leur formation. Le principe du Cercle est d’éviter toute fuite hors de lui. En outre, une solidarité est organisée par l’information et l’accès au crédit, mais surtout car la petite et moyenne entreprise (PME) est ici soutenue en opposition aux grandes entreprises. Le Cercle n’étant constitué que de PME, celles-ci sont conduites à s’approvisionner auprès d’autres PME et non auprès de grandes entreprises voire de multinationales. Le resserrement des transactions entre membres permet d’accroître les liens entre PME. Le système WIR est donc un moyen de s’opposer à l’emprise des grandes entreprises sur le tissu économique.

Dans ce contexte, le Cercle économique WIR se présente comme un vaste système de virements interentreprises organisé par une banque. Il fonctionne sur la base de comptes scripturaux détenus par chaque entreprise du Cercle auprès de la banque, et de leur mise en mouvements afin de régler les échanges. Il n’y a donc pas de monnaie manuelle en jeu. On se trouve dans le cas extrême d’une économie avec banque unique et monnaie uniquement scripturale.

Les comptes sont tenus dans l’unité interne WIR. Cette unité est à parité avec le franc suisse, de telle sorte que des comptabilisations dans les deux unités sont possibles ainsi que l’emploi de deux monnaies de paiement.

Trois actes possibles permettent de mouvementer les comptes des adhérents :

- Le dépôt d’avoirs en monnaie suisse que la banque convertit en monnaie WIR. Le mouvement inverse n’est pas possible car il signifierait une fuite d’avoirs hors du Cercle.

- La vente ou l’achat de biens ou services.

- Mais aussi les crédits accordés par la banque WIR. Celle-ci en effet est non seulement chambre de compensation, mais aussi pourvoyeuse de crédits à des taux très avantageux par rapport aux taux bancaires en cours81. Il y a donc création monétaire au sein

79

Pour l’historique du Cercle, voir Wirtschaftsring-Genossenschaft [1984, pp. 13-20]

80

Article 2, §1 des statuts. Wirtschaftsring-Genossenschaft [1984, p. 7].

81

De l’ordre de 1,75 à 3,5% selon les types de crédit ; il n’existe pas de distinction selon les emprunteurs mais une grille de taux différenciés selon qu’il s’agit d’un crédit à la construction, d’un crédit

du Cercle. Cette création a été acceptée dans les années trente dans le contexte de crise généralisée de l’économie ; aujourd’hui, elle l’est encore par le poids que le Cercle a acquis mais aussi par la stricte intransférabilité des avoirs WIR en francs suisses. En ce sens, il n’y a pas concurrence, en Suisse, entre la monnaie WIR et le franc mais strict contingentement de la monnaie WIR au sein d’un groupe d’entreprises.

Il s’agit d’un système clos dans la mesure où l’on ne peut échanger en WIR qu’avec une entreprise qui en est membre ; pour être viable, un tel système nécessite donc une grande variété d’offre et de demande.

Le caractère bimonétaire du cercle est néanmoins nécessaire puisque les entreprises sont soumises à la fiscalité suisse tenue en francs suisses, et que la banque elle-même doit pouvoir assurer ses obligations en la matière. Pour cela, la banque prélève une commission en francs suisses de 0,6% à 1,2% sur les transactions effectuées. Le Cercle WIR possède ainsi une autonomie, mais en même temps ne se conçoit, dans le contexte actuel, qu’en appui du système externe. En outre, les entreprises ne font en général qu’une faible portion de leur chiffre d’affaires en unités WIR, c'est-à-dire au sein du Cercle. Celui-ci leur conseille de ne pas dépasser 5 à 10% de leur chiffre d’affaires total.

Les membres du cercle sont des PME. On en compte 60 000 en 199582, soit 20% de

l’ensemble des PME suisses, pour des transactions de 2,5 milliards de francs suisses. Chambre de compensation, pourvoyeuse de crédit, la banque WIR est aussi un organisme qui centralise et diffuse l’information sur les adhérents au moyen notamment de lettres internes. Elle organise aussi des foires annuelles dans cinq villes suisses83. Enfin, elle

se donne pour rôle de faciliter la diffusion de l’information en fournissant à ses adhérents des services de publipostage par exemple.

Il existe quelques limites à ce cercle d’échange-marchandise. Plus que le nombre d’adhérents, la diversité de leurs productions est essentielle, de même que la bonne d’investissement, d’un crédit hypothécaire, d’un crédit en compte courant ou d’un crédit en blanc. Ces bas taux d'intérêt sont considérés comme étant comparables à la différence entre les intérêts créditeurs et débiteurs des banques commerciales du système externe : ici, la banque WIR ne paie pas de taux d'intérêt à un quelconque pourvoyeur d’argent hiérarchiquement supérieur. Wirtschaftsring-Genossenschaft [1984, p. 9] et [1996, p. 15].

82

L’évolution du nombre de participants est la suivante (Wirtschaftsring-Genossenschaft [1984, p. 20] :

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 1935 1945 1955 1965 1975 1985 1995 Nombre de participants 83

circulation de l’information. Mais la quantité des adhérents est à double tranchant. Si l’attractivité du Cercle repose sur la présence d’une grande variété de produits proposés, la concurrence qui résulte de l’accumulation des adhérents ayant une activité semblable ou identique limite l’intérêt d’adhérer au Cercle. Cet intérêt réside principalement dans la possibilité supposée d’accroître son chiffre d’affaires, mais cet accroissement n’est possible que dans la mesure où la concurrence est faible. Dès lors que trop d’adhérents produisent les mêmes choses, le Cercle perd sa raison d’être et devient aussi difficile à gérer pour les adhérents que l’économie externe où sévit déjà la concurrence.

Le Cercle WIR - comme tout réseau interentreprises de ce type - souffre ainsi d’une contradiction : autant son principe repose sur une sorte de protection vis-à-vis des difficultés extérieures, autant son succès fait tomber cette protection et revenir à un niveau de concurrence semblable à l’économie externe. De tels cercles d’échange-marchandise ne semblent donc viables qu’à une échelle limitée, tant que la concurrence est moins dure qu’ailleurs. Une politique de restriction des adhérents par l’administration centrale du cercle est ainsi nécessaire.

Le Cercle WIR se présente finalement comme l’outil de cohésion et de pression d’une catégorie sociale dispersée. Il a pour but non seulement d’assurer la survie économique des PME en resserrant leurs relations (le fonctionnement technique interne est uniquement tourné vers cela), mais aussi de se poser comme lobby luttant contre les grandes entreprises et le poids de l’État. À ce titre, on ne peut manquer de voir en lui une réaction antifiscale qu’en France dans les années cinquante on aurait qualifié de poujadiste84.

L’organisation du Cercle WIR procède d’une action politique évidente. Il semble que l’objectif se soit transformé depuis les origines des années trente, et que cet instrument né de la dépression soit désormais tourné vers sa propre perpétuation en tant que force économique et lobby influent d’une certaine catégorie d’entrepreneurs auprès du gouvernement.

Conclusion

Dans les années 1990, le Cercle WIR connaît une forte croissance. Parallèlement, une entreprise a été créée à Francfort qui rend des services de compensation se passant du deutsche mark. En France, des entreprises similaires ont été créées, notamment à Bordeaux. Enfin, un projet est à l’étude qui mêlerait au principe du Cercle WIR celui de la monnaie

84

Les contributions publiées pour le jubilé du Cercle WIR en 1984 sont assez éloquentes. L’une d’elles par exemple traite de « l’importance économique et politique de la classe moyenne indépendante pour la

démocratie ». Une autre dénonce le poids étouffant de l’État et réclame de nombreuses mesures fiscales à

fondante85.

Les projets de réforme de l’organisation monétaire par le biais de petites structures ne sont donc pas morts dans les années trente. Ils resurgissent aujourd’hui, dans le contexte d’une vaste dynamique de création de cercles locaux d’échanges entre particuliers, les systèmes d’échange local. Les SEL essaiment rapidement, et leur principe fait école, au point que les projets de systèmes d’échange-marchandise de type Cercle WIR, qualifiés de systèmes d’échange à monnaie interne (SEMI), sont souvent considérés comme des SEL d’entreprises86.