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3 Bonne monnaie, bonne société

On peut synthétiser les diverses acceptions des dérivés de la monnaie selon le niveau de langage de la façon suivante :

S i g n i f i é Signifiant

Langage des économistes Langage commun

Les instruments - Moyens de paiement

- Par extension, la monnaie

- L’argent

(totalité des instruments, voire uniquement la monnaie manuelle) - La monnaie

(monnaie manuelle, voire uniquement les pièces)

L’avidité monétaire, le

capitalisme, l’accumulation / L’Argent

Concept générique La monnaie /

Tableau 2 - Acceptions monétaires selon le niveau de langage

Sur ces bases, la monnaie est le point central de toutes les visions d’amélioration de l’organisation de la société.

Si en effet l’économie est entravée, c’est, dans la théorie du Free banking et ses prolongements hayékiens, en partie dû au fait que la monnaie est la dernière marchandise à ne pas subir l’entière loi du marché et à être soumise à l’emprise arbitraire du politique.

Si l’économie est déprimée, c’est au contraire pour les théories monétaires que l’on qualifiera ici, faute de mieux, de « circulationnistes » parce que la monnaie est trop pensée comme devant posséder une valeur stable au détriment de sa capacité de circulation.

Si la société est inégalitaire, c’est dû, selon les théories socialistes, à l’organisation de l’échange fondée sur la propriété privée et sur la monnaie elle-même.

Ce que vont dès lors souhaiter les écrits à visée normative donc politique puisqu’il s’agit de mettre en place les éléments d’une nouvelle organisation monétaire de la société et donc réformer celle-ci, est l’établissement d’une bonne monnaie, condition sine qua non d’une bonne économie donc in fine d’une bonne société. Mais cette bonne monnaie aura évidemment une signification fort différente selon les courants.

L’idée des monnaies concurrentielles tendra à mener à son terme le mouvement d’expulsion du politique et de la monnaie de l’économie, mouvement entamé avec l’émergence de l’économie politique comme discipline autonome. Prôner la concurrence des émetteurs de monnaie revient en effet à nier toute qualité spécifique de ce qui est monnaie, au profit des qualités inhérentes à toute marchandise. Face à l’immensité de cette proposition, les théories du Free banking du XIXe siècle sentent bien qu’il faut conserver des éléments hors du marché. Le politique conserve ainsi la maîtrise de la définition de l’étalon et des

monnaies constituées du métal étalon. On ne retrouve pas cette prudence chez Hayek et chez les auteurs actuels de la New Monetary Economics. Ce dernier courant dissout totalement la monnaie au sein d’un vaste ensemble de moyens de paiement qui, en réalité, ont pour qualité unique et déterminante d’être des instruments de placement. Dans cette perspective extrême, la bonne monnaie consiste en sa propre dissolution, non par refus idéologique de l’Argent, conçu comme but naturel de la société, non plus par refus pratique de l’argent, instruments manuels utiles mais dépassés, mais par refus théorique du concept même de monnaie au sein d’une économie dont le fonctionnement n’est jamais plus serein que lorsque la monnaie ne la perturbe pas, c'est-à-dire lorsqu’elle en est absente.

L’idée circulationniste, elle, ira en sens inverse. Il s’agit non pas de trouver un moyen de supprimer la monnaie mais au contraire de lui faire reprendre les qualités spécifiques qui sont les siennes et qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l’économie. Ces qualités se résument dans la capacité de circulation de la monnaie. Que la fonction de réserve manque à la monnaie, que la fonction de compte soit altérée par sa dépréciation, au fond peu importe dès lors que la monnaie circule. La bonne monnaie est une monnaie qui sert à acheter, non à épargner. Il n’y a pas ici de volonté de détruire l’argent, ces manifestations de la monnaie, ou la monnaie, ce concept abstrait au coeur des systèmes d’échange. Seul l’Argent irrite. Or rendre à la monnaie les moyens d’assurer son rôle essentiel, la circulation, est un moyen de lutter contre l’Argent qui se nourrit de l’immobilisation de la monnaie.

L’idée socialiste, enfin, souhaitera supprimer l’Argent, conçu comme responsable des inégalités dont souffre la population. Or l’Argent a plusieurs implications. Son implication concrète est l’argent, ces monnaies manuelles qui sont emblématiques de la société pervertie par l’Argent. À son point extrême, son implication est la monnaie, ce concept qui est parfois pensé non pas comme nécessaire à toute société évoluée, mais comme parasitaire. Selon les degrés de dénonciation de l’Argent, on substituera alors à l’organisation monétaire de la société une organisation sociale qui se passe d’échanges (la monnaie devient inutile), ou bien simplement une organisation monétaire fondée sur de nouveaux critères de valeur et sur de nouveaux types d’instruments d’échange (on substitue alors à la monnaie métallique, le plus souvent, des bons de travail).

S

ECTION

2. C

ONTRE LA MONNAIE

:

VERS UNE ORGANISATION DE LA CONCURRENCE DES MONNAIES

Dans l’économie moderne, il existe un type d’organisation monétaire dont le principe même repose sur la circulation de monnaies parallèles. Ces monnaies parallèles sont d’origine privée : c’est le principe du free banking dans lequel des institutions bancaires ont la liberté d’émettre une monnaie qui leur est propre, monnaie qui entre dès lors en concurrence avec celle des autres banques. Les deux épisodes les plus connus et les plus étudiés d’organisation monétaire de type free banking sont ceux de l’Écosse (1800-1845) et des États-Unis (1837-1863). Les banques pouvaient émettre librement leurs propres billets couverts par une réserve d’or, dans un contexte légal d’absence d’une banque centrale ou d’une réglementation restrictive - ce qui ne veut pas dire que ce contexte excluait toute hiérarchie de fait entre les banques émettrices.

Une théorie a formalisé et justifié cette organisation monétaire (§1). Ce courant du

Free banking ou de la « Banque libre » n’est cependant pas le seul courant théorique à

préconiser un système monétaire organisé autour de monnaies parallèles concurrentes : dans les années 1970, Hayek a développé une vision spécifique de la concurrence entre les émetteurs de monnaie qui va au-delà du free banking (§2). Il existe enfin un courant qualifié de New Monetary Economics, développé dans les années 1980, et qui préconise un système de libre concurrence bancaire mais désormais sans monnaie au sens où tout instrument liquide dépourvu de taux d'intérêt serait supprimé par le libre mécanisme de la concurrence sur le marché (§3).

Ces trois types d’approches divergent sur nombre de points, mais possèdent quelques présupposés communs. Tous trois en effet considèrent que la monnaie telle qu’elle consiste dans l’organisation monétaire actuelle est source de perturbations pour l’économie12. Ces perturbations sont identifiées dans la surémission monétaire, c'est-à-dire

dans la politique monétaire que peut mener une banque centrale13. La banque centrale

apparaît comme le monopoleur qui empêche le mécanisme du marché de fonctionner librement. La solution consiste à briser le monopole d’émission monétaire de la banque centrale et confier au marché le soin de réguler l’offre de monnaie. Celle-ci devient ainsi le fait de banques concurrentielles sans privilège de l’une sur les autres.

Sur ces bases les divergences d’analyse peuvent s’accumuler : quant au choix

12

Cela ne signifie pas que pour tous ces auteurs la monnaie soit neutre : Hayek par exemple développe une analyse économique dans laquelle la monnaie n’est pas surajoutée comme voile mais où au contraire elle constitue le coeur des actes économiques.

13

préalable (donc institutionnel) ou non (donc marchand) d’une unité de compte et d’un étalon, quant à la hiérarchie subsistante du système bancaire, quant à la nature même de la monnaie, etc. Mais dans tous les cas l’accent est mis sur le caractère autorégulateur du marché et de la concurrence et leur supériorité face aux décisions politiques hier des banques des États, aujourd’hui des banques centrales.