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Bons d’achat à validité limitée

§1 Typologie des instruments monétaires parallèles

B) Moyens parallèles de paiement

8) Bons d’achat à validité limitée

Les bons d’achat à validité limitée définiront dans ce travail les instruments qui permettent d’acquérir des biens ou d’accéder à des services selon des modalités que la loi a restreintes. Ces contraintes limitent la validité de l’instrument dans le temps, dans l’espace, dans le choix des biens et services, ainsi que dans les personnalités morales et physiques qui l’emploient et dans celles qui l’acceptent.

Il existe un grand nombre de bons d'achat à validité limitée.

Aujourd’hui, les titres de services sont les plus connus. Ils comprennent, pour la France par exemple, les titres restaurants, les chèques lire, les chèques prestation, les chèques disque, les chèques vacances, etc. Chaque jour dans le monde près de vingt millions de personnes ont recours à de tels titres de services ; le groupe Accor détient plus de la moitié de ce marché.

Les titres restaurants par exemple ont une validité limitée dans l’espace (la France), dans le temps (l’horizon est limité à une année civile et un à trois mois au maximum), dans la gamme des produits (services et produits alimentaires), dans les personnes qui les utilisent (les salariés des entreprises qui ont accepté de leur distribuer, ce qui signifient qu’elles financent une partie de leur prix) et dans les organismes qui les acceptent (restaurants, traiteurs, magasins d’alimentation diverses, etc.). En France, la loi considère le titre restaurant comme un « bon de paiement à statut spécial » : il est « bon » car il n’est pas monnaie au sens où l’entend la loi ; il sert en « paiement » car il permet à son utilisateur de payer un service d’alimentation ou des biens alimentaires (même si le circuit de paiement n’est pas achevé puisque le restaurateur doit par la suite se faire rembourser la somme par l’entreprise émettrice) ; enfin il possède un statut spécial car la loi lui a conféré des avantages fiscaux25.

Parmi les titres de services existe en France depuis quelques années le Ticket social. Il s’agit d’un bon remis aux pauvres par des associations caritatives. Ils remettent au goût du jour les bons d’alimentation remis aux pauvres lors des grandes crises, comme par exemple dans les années trente par exemple. Aux États-Unis, cette pratique est très courante.

Les bons de privatisation distribués à la population de quelques États issus de l’ancienne Europe centrale et orientale sont un autre type de bons d'achat à validité limitée. Ils permettent à la population d’acquérir des actions de sociétés que l’on privatise ou des parts de fonds communs de placement.

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9) Actifs

Depuis les théories des choix de portefeuille développées à partir de la théorie keynésienne de la liquidité, la monnaie est généralement considérée comme l’actif sans risque. Ici on distinguera bien ce qui est destiné à servir de monnaie (moyen de paiement et unité de compte) et qui ne porte pas d’intérêt, des autres actifs que l’on ne crée pas dans ce but et qui, pour certains, portent intérêt. Parmi ceux-ci, cependant, il arrive que quelques-uns acquièrent un rôle de moyen de paiement. Au fond, cet usage d’actifs ne fait que poursuivre les origines mêmes de la monnaie de papier, fusion de moyens de paiement au porteur et d’obligations portant intérêt : ce fut le cas dans les républiques de Gênes et de Venise ; mais c’était aussi le cas des premiers assignats sous la Révolution, de décembre 1789 à septembre 1790.

Ainsi, durant la première guerre mondiale, les Bons de la Défense nationale ont parfois servi en paiement dans les échanges. Au Brésil de 1988 à 1994, des titres de la dette publique à très court terme ont pu servir de moyen de paiement liquide et pratique dans des situations d’inflation telle que les flux monétaires doivent être rapides et sûrs. En Chine, de fausses notes de frais, fausses car surévaluées voire totalement fictives, ont été assez largement utilisées vers 1991 comme moyens de paiement dans des opérations frauduleuses pour être en bout de circuit mises au remboursement auprès des entreprises d’État. Celles-ci, de ce fait, avalisaient cette fausse émission monétaire en les rachetant contre du yuan, la monnaie chinoise. Dans certains pays d’Afrique, l’État a payé ses fonctionnaires pour partie en bons du Trésor au porteur afin de régler ses arriérés sans pour autant débourser immédiatement des liquidités monétaires dont il ne disposait pas (Centrafrique, Côte d’Ivoire, Sénégal au début des années 1990). Cette pratique n’est cependant ni nouvelle, ni propre à l’Afrique ; elle a souvent été employée en règlement des dépenses publiques comme forme de moratoire26.

10) Paléomonnaies

Les paléomonnaies sont des monnaies que l’on pourrait qualifier de non occidentales. Elles continuent de circuler dans certaines zones du Tiers Monde qui ont jusque là résisté à l’acculturation produite au contact de l’Occident27. Ce ne sont pas des

monnaies primitives dont la perpétuation aujourd’hui constituerait un archaïsme. Ce sont des monnaies en vigueur dans des sociétés dans lesquelles le principe fondateur n’est pas l’accumulation des richesses ni la liberté de l’individu d’acheter et vendre des biens quelconques, mais l’étirement des liens sociaux par la poursuite infinie des liens de don

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Voir l’étude de Renand [1937].

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contre don. Les usages de ces paléomonnaies sont très cloisonnés, c'est-à-dire qu’ils ont un rôle essentiel de reproduction de l’ordre social par le biais des dons contre dons rituels dans lesquels seuls certains types de paléomonnaies doivent être utilisés.

Ces paléomonnaies qui subsistent voient cependant leur rôle dilué par le processus de remonétarisation de ces sociétés28. Elles subsistent donc, de plus en plus dénaturées, aux

côtés d’un économie remonétarisée où les cloisonnements tendent à s’effacer. Elles constituent essentiellement aujourd’hui un frein au mouvement tant souhaité par les autorités monétaires de généralisation de leur monnaie dans les échanges car il leur faut, pour cela, d’abord répandre l’usage des instruments monétaires dits modernes. Avec ce processus lent, les paléomonnaies sont souvent utilisées comme monnaie d’appoint dans les pratiques monétaires quotidiennes, à l’instar des moyens de paiement nationaux. Il s’agit bien là de monnaies parallèles, extérieures au système monétaire national.

Notons enfin que des biens tels que le riz chez les Diolas de Basse-Casamance par exemple ont aussi un rôle essentiel dans les échanges sociaux et la reproduction de l’ordre social. On peut les qualifier de biens à fonctions paléomonétaires29.

11) Biens

On qualifie souvent une situation de troc lorsque l’on n’aperçoit pas les manifestations habituelles et matérielles de la monnaie dans un échange. Lorsque l’on use de cigarettes (Allemagne, vers 1945-48 ; France durant la guerre) ou de riz (Cambodge, années 1970) comme terme fréquent de nombreux paiements, ne peut-on en déduire que, au vu de ces usages, cigarettes et riz sont moyens de paiement, et que le troc n’est qu’une erreur d’appréciation ? Lorsque ce terme fréquent est de l’or, sous forme de chaînes, médailles, vieilles monnaies, bijoux (Cambodge, années 1970), il semble alors plus clair que ce n’est pas du troc, car l’or a pu être considéré comme la monnaie par excellence ; mais où est la véritable différence ?

L’usage de biens divers comme terme fréquent de nombreux paiement est très fréquent dans l’histoire récente. Cela va des exemples ci-dessus jusqu’à la bouteille de pastis remise sous le manteau par un contrevenant à un gendarme qui fera « sauter » un procès-verbal (France), en passant par le paiement de tout ou partie de salaires en biens alimentaires (Angola, Sierra Leone), par l’usage de la canette de bière en paiement de biens alimentaires (Angola, fin des années 1980, début des années 1990), par l’usage de bonbons comme monnaie d’appoint (Italie de l’après-guerre jusque dans les années 1970 ; Pologne encore récemment), ou par le paiement de petites commandes par correspondance en timbres

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Voir l’analyse de Servet [1995] et [1996a] sur ce processus de démonétarisation consécutive à la colonisation et de remonétarisation progressive sur la base d’une monnaie occidentalisée.

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postaux, etc.