• Aucun résultat trouvé

Partie I :

2.2. Dans les mondes virtuels : créer pour communiquer

Les mondes virtuels, comme Second Life et OpenSim, n'ont pas ou très peu de contenu proposé initialement aux utilisateurs. Ces mondes offrent des outils pour créer du contenu, assez facilement et librement, pour l'échanger, et pour l'héberger.

Par exemple, dans OpenSim, les utilisateurs peuvent créer des formes primitives (sphères, cylindres, cubes, etc.) et modifier leur taille, leur orientation et leur position. Ils peuvent également importer des images pour les appliquer à leurs objets en tant que texture.

Les utilisateurs peuvent également terraformer225 le sol du monde pour créer des montagnes et des rivières. Dans les mondes virtuels, comme dans les autres mondes persistants, les avatars interagissent avec le monde et les autres utilisateurs à travers un avatar. Cependant, à l'inverse des jeux de rôle en ligne, ceux-ci peuvent être complètement modifiés continuellement : un utilisateur peut passer d'un aspect humain, à un aspect de robot ou de fée sans difficulté. Il n'y a pas ici de stabilité obligatoire de l'identité virtuelle.

2.2.1 Atelier d'initiation aux mondes virtuels et machinimas

Comme nous avons pu l'étudier auprès d'un large public au cours d'un atelier d'initiation aux mondes virtuels et aux machinimas ayant eu lieu en 2009 à la Cité des Sciences, ces outils et cette liberté de création incitent plutôt les utilisateurs à communiquer qu'à créer artistiquement.

225 Terraformer est un terme utilisé pour les astronomes pour décrire le processus qui revient à modifier une planète pour la faire ressembler à la Terre. Ce terme est également utilisé pour les mondes virtuels.

Figure 38 : Photo d'un écran présentant l'avatar d'un participant de 8 ans et sa création, réalisée sur OpenSim pendant l'atelier d'initiation

aux mondes virtuels et aux machinimas

L'absence de cadre et de narration dans les mondes virtuels offre une étendue de possibilités trop vaste, proche de ce qu'un novice ressent face à un logiciel de 3D, la complexité en moins. Ainsi, les créations réalisées dans cet atelier semblaient avoir pour but de permettre aux joueurs de communiquer, de s'approprier et de se partager l'espace, plutôt que de réaliser des créations personnelles et sensibles.226

2.2.2 Création artistique : Workshop EnsadExpo

Dans un workshop réalisé en 2011 et destiné aux étudiants de l'ENSAD227, nous avons pu étudier de quelle manière de jeunes artistes s'approprient ces espaces. Nous leur avons tout d'abord présenté un certain nombre de musées virtuels présents sur Second Life, puis nous leur avons proposé un espace pour qu'ils puissent créer librement, dans le but de produire une exposition avec leur réalisation à la fin du workshop. Compte tenu des compétences préalables des étudiants et du temps dont nous disposions, nous avons pu aller plus loin dans l'enseignement des outils offerts par OpenSim pour la création, en abordant notamment les problématiques d'éclairage, l'importation de pages web et les scripts, qui permettent de rendre les objets animés et interactifs.

Les étudiants avaient la possibilité soit de transférer leurs œuvres existantes, la version d'OpenSim permettant l'import d'objets 3D issus d'autres logiciels, sur cette plateforme soit de créer de nouvelles œuvres spécifiquement pour cette exposition.

Notre objectif était d’explorer et de questionner les nouveaux modes de présentation ou de représentation des œuvres offerts par les mondes virtuels, en respectant les intentions

226 Julien Levesque et Edwige Lelièvre, « Creation and communication in virtual worlds, Experimentations with OpenSim », in VRIC 2011 proceedings (présenté à Laval Virtual, Laval France, 2011).

227 Edwige Lelièvre et Frederick Thompson, « Ensad Expo », EN-ER, Programme de recherche Espace Numérique - Extension du réel, 2011, http://ener.ensad.fr/ensad-expo/.

Figure 39 : Capture d'écran des premières expérimentations des étudiants lors du workshop EnsadExpo

artistiques de leurs auteurs, ainsi que les spécificités de leur médium d’origine. Une partie du travail de réflexion et de création de ce workshop concernait donc la plateforme d'exposition en elle-même : comment présenter une exposition dans un monde virtuel ? Faut-il reproduire un espace d'exposition réelle, inventer quelque chose de nouveau ?

En prenant en compte le fait que les avatars étaient capables de voler et parce que nous souhaitions un système modulaire, nous avons mis en place un ensemble de plateformes flottantes, reliées au sol ou au ciel par de longues tiges. Le design de ces plateformes a été réalisé par Élisabeth Boisson.

Les œuvres présentées lors de l'exposition ont été réalisées par Lyès Hammadouche, Marie Flageul, Jeanne Eveno, Élisabeth Boisson et Romain Renault.

Suite à ce workshop, nous avons interrogé les étudiants sur leur perception des mondes virtuels dans un but de création.

Si, pour des utilisateurs novices qui n'ont jamais utilisé de logiciels de 3D, ces logiciels offrent de nombreuses possibilités, pour des utilisateurs expérimentés les limites des outils sont plus évidentes et ils se sentaient limités pour parvenir à des œuvres tout à fait abouties.

Ainsi, de leur point de vue, l'intérêt principal était le prototypage : OpenSim propose des outils faciles à utiliser pour créer une version simplifiée d’œuvres autrement complexes à réaliser ou difficiles à exposer. Par ailleurs, le monde virtuel rendait possible de partager les

Figure 40 : Capture d'écran de la première version d'EnsadExpo avec le système de plateformes

créations réalisées et de voir les réactions du public, grâce à la 3D temps réel multi-utilisateur, ce qui n'est pas le cas quand on prototype une œuvre dans un logiciel de 3D traditionnel.

Une partie des jeunes artistes présents a également interrogé ce médium à travers leurs créations en tentant de repousser leurs limites par des moyens techniques. Par exemple, Jeanne Eveno et Marie Flageul ont réalisé une installation autour d'un miroir qu'elles ont fait apparaître en utilisant un logiciel de capture d'écran en temps réel (streaming) : Livestream.

Ainsi, le miroir représentait ce que voyait leur personnage, qui était installé d'une façon qui permettait de voir son reflet.

La création qu'on voit ici est bien différente de celle des jeux de rôle en ligne. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une pratique communautaire : dans ces mondes où chacun crée ce qu'il veut, il n'y a pas de réelle cohérence, donc il s'agit plutôt d'un assemblage de microcommunautés que d'une seule communauté qui aurait une culture partagée. En outre, ces créations ne sont pas liées à l'immersion dans une fiction : il s'agit plutôt d'utiliser les mondes virtuels comme un médium qu'on interroge ou comme un outil pour créer des oeuvres qu'on ne peut pas créer ou exposer aussi facilement ailleurs.

Ce qui est intéressant dans ces pratiques, c'est d'une part, la liberté de création, et d'autre part, la possibilité de partage des créations liées à la nature des univers persistants en 3D temps réel. Le partage des réalisations dans les mondes virtuels est utilisé comme une façon de communiquer un univers créatif.

Il est important de noter qu'il existe de nombreux musées et galeries d'art dans les mondes virtuels (sur Second Life et OpenSim en particulier) et que les créations réalisées dans ce contexte commencent à obtenir une légitimité dans le monde de l'art contemporain, des artistes renommés s'intéressant à ce nouveau support.

Par exemple, l'Ouvroir228, espace d'exposition de Chris Marker sur Second Life, connaît un important succès. On voit également des artistes reconnus utiliser Second Life pour créer des machinimas : par exemple, le performer Stellarc dans le machinima The Body Is Obsolete229.

228 Chris Marker, « Ouvroir », Second Life, consulté le décembre 26, 2011, http://secondlife.com/destination/ouvroir-chris-marker.

229 Stelarc et Chantal Harvey, The Body Is Obsolete, 2009, http://www.youtube.com/watch?v=vTFTnYtl_Cw.

3. Nature et spécificité des pratiques de créations dans et autour des jeux de rôle en ligne

Nous avons pu voir dans le premier chapitre de cette troisième partie des exemples de création dans et autour des jeux de rôle en ligne. Dans le deuxième chapitre, nous avons vu ce qu'il en était de la création dans et autour des jeux vidéo et dans les mondes virtuels. À partir de ces exemples, nous allons maintenant tenter de dégager la nature des créations liées aux jeux de rôle en ligne et d'étudier leurs spécificités.