• Aucun résultat trouvé

Creatures où les débuts de la création de contenu par les utilisateurs dans les

Partie I :

2.1. Jeux vidéo, « User Generated Content » et « Fanart »

2.1.1 Creatures où les débuts de la création de contenu par les utilisateurs dans les

La création de contenu dans les jeux vidéo216 date de bien avant 2005, même si le terme d'UGC n'était pas utilisé alors pour désigner cette pratique.

Un des premiers exemples connus de création de contenu par les utilisateurs dans les jeux vidéo est le jeu Creatures (Figure 36), publié en 1996, où le joueur était censé aider des créatures dotées d'une intelligence artificielle, les Norns, à se développer. Ce jeu peut être comparé aux Tamagotchis, ces petits jouets électroniques qui proposaient à leur possesseur de s'occuper d'un animal virtuel. Si le principe de ces jeux est similaire, la pratique était en revanche tout à fait différente.

En effet, les Norns étaient dotés d'une véritable intelligence avec un réseau de neurones et un système d'apprentissage très évolué et encore rarement égalé aujourd'hui. Par exemple, il était possible d'apprendre à ses Norns un langage inventé et de communiquer avec eux par ce

215 Les wikis sont des sites web gérés de manière collaborative. Le plus célèbre d'entre eux est Wikipédia.

216 On parle également de « Player Generated Content ».

biais217.

En outre, Creatures était un jeu sur ordinateur, à l'époque où le « bidouillage » était de rigueur et où débutait Internet.

Baignés dans cette culture, les joueurs ont réalisé de nombreux éléments pour nourrir le jeu, depuis les objets simples à intégrer au jeu comme les distributeurs de milkshakes et de carottes pour nourrir plus facilement les Norns jusqu'aux outils de modifications du jeu. Ces créations étaient réalisées sans aide venant de l'éditeur du jeu.

Par exemple, l'outil Borg, créé en 1997, permettait aux joueurs de faire des modifications génétiques sur les Norns, de leur injecter différentes substances chimiques, mais aussi d'avoir des mondes parallèles. Le jeu devenait ainsi une sorte de laboratoire où l'on étudiait l'évolution de créatures artificielles.

Les modifications du jeu par les joueurs, qui n'étaient pas parfaitement légales, mais tolérées à une époque où le jeu vidéo n'était pas encore une industrie, étaient mises en ligne sur des sites Internet. Elles ont eu beaucoup de succès auprès des joueurs et ont largement

217 Il s'agissait d'un langage sans grammaire. Par exemple, si on souhaitait que les Norns associent l'objet ballon au mot« schmeu », il fallait, quand un Norn était à proximité, dire « schmeu » en faisant rebondir le ballon. Ainsi, après un certain temps, quand on disait « schmeu », le Norn en question allait de lui même chercher le ballon. Il pouvait ensuite utiliser le mot en question pour signifier qu'il avait envie de jouer avec le ballon. Un système de récompense permettait d'accélérer l'apprentissage.

Figure 36 : Capture d'écran du jeu Creatures, du site http://creaturescaves.com

contribué à la popularité de ce titre. Il s'agissait donc d'un jeu qui se jouait seul et où les joueurs n'étaient pas incités à communiquer, mais où ils échangeaient énormément. Plus tard, on a retrouvé des créations très similaires dans le jeu Les Sims. Cependant, ce type de créations tout à fait libres et échangeables a fini par disparaître des jeux vidéo, sans doute pour des raisons légales et de difficultés techniques principalement.

2.1.2 Contenu généré par les utilisateurs : les exemples de Fable, Spore et Little Big Planet

À l'heure actuelle, de plus en plus de jeux proposent à leurs utilisateurs de générer du contenu et leur proposent pour cela des outils ludiques et intuitifs. Ces outils permettent à un grand nombre de joueurs de réaliser des éléments pour enrichir le jeu, mais dans un cadre restreint : en facilitant le travail des joueurs, ces outils leur donnent aussi des limites. Quand on parle de création générée par les utilisateurs dans le jeu vidéo, il s'agit de personnalisation dans la plupart des cas, ce qui est assez cohérent avec le fait qu'on utilise le terme « généré » plutôt que « créé »218.

Le contenu généré par les utilisateurs dans les jeux vidéo est similaire à ce qu'on a pu voir pour les jeux de rôle en ligne pour ce qui est des avatars et du housing, mais dans les jeux vidéo traditionnels, il est parfois plus poussé et peut être ainsi une source d'inspiration pour proposer des jeux de rôle en ligne plus ouverts.

Par exemple, dans le jeu vidéo de type action-RPG Fable, le joueur peut faire de nombreux choix qui ont une influence sur l'histoire et le monde de jeu. Cependant, il ne partage pas cette histoire générée, car il s'agit d'un jeu solo. Écrire de nombreux choix est un travail important, mais cela n'est pas le principal obstacle à ce que ce système soit adapté aux jeux de rôle en ligne. En effet, il est surtout complexe de proposer aux joueurs des choix qui modifient le monde de jeu, car il s'agit d'un monde partagé.

Pour résoudre ce problème, les jeux de rôle en ligne ont mis en place un système d'instance. Dans les instances, les joueurs, seuls ou en groupe, vivent une aventure scénarisée où leurs actions ont un impact. Mais si d'autres joueurs tentent cette aventure, ils seront dans une nouvelle instance où les actions des autres joueurs n'auront pas été enregistrées. Ainsi, les jeux de rôle en ligne peuvent proposer du contenu narratif plus intéressant, mais sans toutefois lui donner beaucoup d'impact pour éviter de déséquilibrer le jeu.

218 Par contre, hors du monde du jeu, l'UGC désigne tout aussi bien des pratiques beaucoup libres, comme les blogs.

D'autres jeux permettent de personnaliser son expérience de jeu, mais également de la partager. Le jeu Spore est emblématique de ce gameplay.

Dans Spore, le joueur est invité à créer une espèce extra-terrestre depuis la cellule jusqu'à la civilisation. À partir d'ADN récolté dans la première phase de jeu, la cellule évolue en créature, dont le joueur peut choisir les caractéristiques : nombre de pattes, ailes, yeux, etc.

Cette phase est similaire à la création d'avatars dans les jeux de rôle en ligne. La différence principale est que les espèces créées par les joueurs sont partagées. Ainsi, les espèces créées par les joueurs se retrouvent ensuite comme ennemis ou amis chez d'autres joueurs.

Les créatures qui peuplent l'univers du jeu n'ont donc pas été générées aléatoirement, mais par les autres joueurs. Un tel système n'a pas été utilisé, à notre connaissance, pour peupler les jeux de rôle en ligne, pourtant grands consommateurs de contenu. Cela pourrait être utile à la fois pour créer la population des personnages non joueurs, mais également les objets et autres éléments de décors. Toute la difficulté pour intégrer un tel système à un jeu de rôle en ligne est de le rendre ludique et d'éviter qu'il puisse altérer la cohérence du monde de jeu et des scénarios.

Le jeu Little Big Planet a également fait beaucoup parler de lui pour l'UGC. Ce jeu de plateforme propose en effet aux joueurs de construire leurs propres niveaux de jeu. En plus de faciliter le partage de ces niveaux de jeu, Little Big Planet introduit en outre un aspect tout à

Figure 37 : Capture d'écran de la personnalisation des créatures dans le jeu Spore

fait ludique à cette création qui pourrait autrement s'apparenter au travail des « level designers ». En effet, les éléments que peuvent utiliser les joueurs pour construire des espaces de jeu pour eux et les autres joueurs sont constitués d'éléments récupérés par les joueurs en jouant. Ainsi, les développeurs du jeu s'assurent que même en créant leur niveau, la cohérence du jeu sera conservée.

Nous avons choisi d'évoquer Fable, Spore et Little Big Planet car leurs systèmes nous semblent intéressants et adaptables à des jeux de rôle en ligne. La liste des jeux présentés n'est pas exhaustive, de nombreux autres jeux vidéo proposant maintenant des systèmes d'UGC intéressants et intelligents : Trackmania, Minecraft, etc.

Henry Lowood note ainsi :

« Quand un jeu vidéo est lancé aujourd'hui, c'est autant un ensemble d'outils de design qu'un game design finalisé. »219

Ces créations portées par les jeux et leurs outils ne sont pas réellement des appropriations du jeu par les joueurs : il s'agit plutôt d'une autre façon de jouer.

L'UGC est plus simple dans les jeux de rôle en ligne parce que les outils n'existent pas ou sont très simplistes. Ces outils n'existent pas parce qu'ils sont très difficiles à concevoir dans un contexte multi-utilisateur, partagé et surtout persistant. Cependant, on peut espérer y venir d'une certaine manière.

2.1.3 « Mods », « Fanarts » et « Fan-fictions »

Les créations qui ne sont pas des personnalisations sont nommées des « Fanarts » ou bien des « mods » dans le monde du jeu vidéo. Ces termes décrivent des pratiques bien différentes.

Dans le cas des « mods », il s'agit de produire, hors du jeu, à l'aide d'outils fournis par le jeu ou d'outils généralistes, des modifications pour le jeu. Il peut s'agir de nouveaux niveaux, d'interfaces modifiées, etc. Ces pratiques sont plus proches d'un vrai travail que d'un jeu, mais sans salaire.

La production de « mods » n'est en elle-même pas beaucoup plus amusante que de développer un outil non ludique. Par contre, en produisant des mods, les joueurs modifient

219 Henry Lowood, « High-Performance Play: The Making of Machinima », in Videogames and Art (Intellect Books, 2007)., « When a computer game is released today, it is as much a set of design tools as a finished game design. », traduit de l'anglais par nos soins.

leurs jeux et l'expérience de jeu. Dans le mouvement général pour créer des jeux uniques et adaptés à chaque joueur, il s'agit en fait de l'étape d'appropriation suivante, qui comme on l'a vu, existe depuis les balbutiements du jeu vidéo.

En plus des pratiques de créations proposées par les développeurs, comme pour les jeux de rôle en ligne, on voit beaucoup de créations réalisées autour de ces jeux, qui sont appelées, dans le sens large du terme, des « Fanarts ». Par exemple, les personnages principaux des jeux vidéo servent d'inspiration à de très nombreuses illustrations et « cosplay »220. Pour s'en convaincre, il suffit de chercher dans un moteur de recherche « Lara Croft221 Fanart »,

« Mario222 Fanart » ou encore « Sephiroth223 Cosplay ».

Dans les jeux de rôle en ligne, comme dans les jeux vidéo en général, les créations sont un des révélateurs du fait que, comme le défend Newman224, les joueurs jouent avec les jeux, et ne jouent pas simplement au jeu : c'est-à-dire qu'ils s'approprient le jeu, le détournent et l'utilisent. Il s'agit de prolonger le jeu une fois celui-ci terminé.

220 « Cosplay » : Costume Play, pratique qui consiste à se déguiser en un personnage de fiction, sans pour autant mimer ses actions. Pratique particulièrement populaire au Japon.

221 Lara Croft est le personnage principal du célèbre jeu d'action Tomb Raider.

222 Mario est un personnage créé par Shigeru Miyamoto présent dans de nombreux jeux créé par la firme Nintendo.

223 Sephiroth est un personnage du jeu Final Fantasy VII.

224 Newman, Playing With Videogames.