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CHAPITRE II : CADRE CONCEPTUEL

1. LA LECTURE EN TANT QUE CONCEPT GÉNÉRAL

1.6 DÉVELOPPEMENT DE LECTURE EN FLE SANS RECOURIR À LA LM

La littérature scientifique met l’accent sur la thèse selon laquelle la connaissance de la LM est très importante pour l’enseignement du FLE en termes de compréhension de lecture. Krashen (1983) propose la stimulation d’apprentissage de la LÉ d’après l’acquisition de la LM.

Dans l’apprentissage de lecture en L2, la plupart des apprenants, surtout débutants et intermédiaires, ont tendance à avoir recours à la traduction en LM (Maksem, 2008). Ce recours consiste à penser, utiliser des stratégies d’apprentissage de L1 ou traduire. Selon Kern (1994), la traduction est définie comme l'expression d'un message dans une autre langue que celle dans laquelle le texte d'origine est enseigné. Venuti (2000) distingue trois types de traduction : intralinguale (reformulation dans la même langue), interlinguale ou mentale (traduction qui a lieu entre deux langues) et intersémiotique (interprétation de signes verbaux par des moyens non verbaux). Kern (1994) sollicite le rôle important de la « traduction mentale » en compréhension de textes en L2. Il existe, chez l'apprenant adulte en particulier, un besoin d'explication mentale face à la L2, « un besoin d'intellectualisation de l’acquis » (Lavault, 1998, p.18). La traduction utilisée en classe de L2, appelée traduction pédagogique recouvre tous les cas où l'enseignant a recours à la L1 des apprenants.

L'histoire de la didactique des langues quant au statut du recours à la L1 en termes de traduction montre que celle-ci est un phénomène réel pour l’apprenant et l’enseignant peu importe la méthode ou l'approche utilisée en classe de L2. L'activité essentielle de la méthode grammaire-traduction (dite traditionnelle) était la traduction d'un texte de la L2 à la L1 ou l'inverse (Germain, 2001). Au cours des années 50 et 60 et avec la méthode audio-orale et structuro-globale audio-visuelle (SGAV), les systèmes linguistiques de la L1 et de la L2 étaient considérés comme compléments indépendants et différents et, en conséquence, la traduction était déconseillée car on croyait qu'elle ralentissait l'apprentissage (Lado, 1957). Il y avait recours aux gestes et aux mimiques plutôt qu'à la traduction (Germain, 2001). Une décennie plus tard, dans l'enseignement, la situation a peu changé : la traduction était tolérée (Ibid.) surtout avec l’avènement de l’approche communicative dans les années 70 et 80.

Compte tenu des avantages et des inconvénients soulevés par l'utilisation de la L1 en classe de L2 et étant donné que l'un des enjeux fondamentaux de l'apprentissage d'une L2 est l'existence préalable de L1 (Stern, 1983), on peut se demander si le recours à la traduction est une aide ou un handicap pour les apprenants.

Pendant le cours de L2, les enseignants peuvent « orienter leur enseignement [...] en se basant sur les différences entre la L1 et L2 afin de prédire les problèmes possibles auxquels les apprenants devront faire face ou bien sur les ressemblances afin, par exemple, de motiver les apprenants en leur montrant les points communs entre les deux langues » (Bastidas, 1998, p. 5). Cependant, il existe une autre position qui rejette le recours à la L1 en tant qu'aide à l'apprentissage. Selon Ellis (1997), pour réussir à apprendre la L2, l'apprenant doit avoir le plus de contacts possibles avec cette langue. « Ces deux positions extrêmes sont paradoxales, ce qui pose toute la problématique de l'utilisation de la L1 comme langue de communication en salle de classe de L2 » (Bastidas, 1998, p.6). Cet auteur mentionne que la L1 peut être à la fois un obstacle et un appui dans l'acquisition de la L2. Castellotti (2001) voit la LM « comme obstacle, blocage, frein à l'acquisition d'une autre langue » (p. 33). « La référence à la L1 est donc le plus souvent considérée comme essentiellement négative » (Ibid., p. 34). Toutefois, la LI peut se transformer d'obstacle en appui lorsque les apprenants ont acquis les moyens suffisants pour s'en détacher en acceptant un fonctionnement différencié des langues (Ibid.). Notons que la place occupée par la lecture dans l’apprentissage d’une L2 peut dépendre du milieu dans lequel cette langue est apprise (Carrell, 1991) et de certains d’autres facteurs dont nous discuterons ultérieurement. D’ailleurs, dans l'enseignement, les alternances de langues dépendent des caractéristiques et des choix de l’enseignant, de sa vision pédagogique (Garabédian et Lerasle, 1997).

Comme le rapport L1- L2 est toujours difficile à établir, il faut prendre en considération que l’enseignement d’une L2 à des apprenants ne peut pas ignorer les influences de la L1 dans le processus d’acquisition d’une L2 (Cornea, 2010). Ceci montre que le développement des habiletés de lecture en L2 sans en avoir acquis en L1 semble difficile. Le transfert de la langue se fait consciemment comme une stratégie de communication délibérée, où il y a une lacune dans les connaissances de l’apprenant ; et inconsciemment, soit parce que la forme correcte n’est pas connue ou parce que, même si on a appris, le transfert n'a pas été complètement automatisé (Benson, 2002). La L1 a longtemps été exclue des classes de LÉ, or on s’est rendu compte qu’un rapprochement entre la langue source et la langue cible permettait

un maintien de l’identité linguistique et culturelle des apprenants (Djamel, 2005). Selon Castellotti (200l), « l'apprentissage d'une L2 qui intègre à son processus [...] un travail comparatif entre L2 et L1 favorise des acquisitions plus affirmées et raisonnées dans la langue nouvelle » (p. 87). D'après Mattar (1999), il est probablement très utile, dans la classe de langues, de mettre l'accent sur les différences et les similitudes entre deux langues dans le but d'expliquer certaines structures d'une autre langue. Au lieu de souhaiter la disparition de la L1 des cours de L2 en la considérant comme l’une des sources d’erreurs, il faut, donc, profiter de ses avantages (Koda, 1994).

Cela dit, depuis les années 70, de nombreuses études (Besse, 2007 ; Carrell, 1987 ; Cornaire, 1991 ; Hudson, 1982 ; Satriano, 2008) se sont intéressées à la compréhension en lecture en L2 et ont tenté de comprendre les facteurs (psychologiques, affectifs, sociaux ou autres) qui permettaient d'expliquer la réussite plus ou moins grande de la compréhension des textes. La majorité des chercheurs ont tenté de mieux comprendre comment une ou plusieurs de ces variables interagissent, favorisant ou non la compréhension en lecture (Alderson et Urquahrt, 1988 ; Brantmerier, 2005 ; Carrell, 1991). À la lueur de certaines études dont celle de Selinker (1992), parmi les facteurs énumérés se trouvent la motivation, l'âge, la dimension culturelle, le genre des textes enseignés, les attendus (attentes) du lecteur, ainsi que sa motivation et son intérêt à l’égard de la langue cible (Brantmerier, 2003 et Selinker, 1992). Nous mettrons l’accent sur ces deux derniers facteurs, dans les prochains paragraphes, puisque notre projet consistera aussi à identifier les perceptions des apprenants à l’égard de l’emploi de caricature en lecture critique.

Une abondance de recherches (Bernhardt et Kamil, 1995 ; Carrell, 1991 ; Cummins, 1981 ; Dörnyei, 1998 ; Gardner, Tremblay et Masgoret, 1997) soutient l’hypothèse selon laquelle les habiletés de lecture se transfèrent lorsque les apprenants sont motivés. Sans motivation suffisante, même pour les apprenants avancés et même s’il y a un bon enseignement, c’est difficile d’atteindre les objectifs d’apprentissage de LÉ (Dörnyei, 1998 ; Drolet, 2010).

Jusqu’aux années 1990, la recherche concernant la motivation en lecture en L2 avait été largement dominée par une approche sociale psychologique inspiré des travaux de Robert Gardner, Wallace Lambert, Richard Clément (Gardner et al., 1997). En somme, la motivation en L2 est une

construction à multiples facettes, et pour décrire sa nature et ses caractéristiques de base un soin particulier est exigé (Dörnyei, 1998).

Depuis les études pionnières de Gardner et de ses collègues sur le rôle de la motivation dans l’acquisition d’une L2 ou LÉ, datant des années 70, la recherche sur les L2 s’intéresse, elle aussi, à ce concept (Lantolf et Genung, 2000). À l’exception possible d’Ehrman (1996), d’Ehrman et Dornyei (1998) et de Schurmann (1998), les études empiriques conduites dans ce cadre ont eu tendance à analyser, par une procédure quantitative, les réponses et les réactions des apprenants à des instruments d’enquête (principalement les questionnaires) en adoptant une perspective résolument psychosociale. Cette perspective trouve ses origines, également, dans les travaux de Gardner et de ses collègues qui présupposent l’existence d’une relation causale entre la motivation et les habiletés. Pour Dickinson (1995), les chercheurs en L2 partent en général du principe que la motivation est la cause d’un apprentissage réussi, même si les résultats empiriques n’étayent pas toujours cette conclusion. Selon lui, la littérature suggère que le lien entre la motivation et l’acquisition pourrait tout aussi bien aller en sens inverse. C’est en effet ce que Leontiev (1981) postule pour l’appropriation d’une L2.

Cependant, selon Schumann, les questionnaires orientent les apprenants sur « ce que les chercheurs considèrent comme important et non pas sur ce qui est pertinent pour eux » (p. 179). Il n’ajoute que le modèle de la motivation qui en résulte risque d’être mal interprété alors que ce n’est pas le cas. Le fait que le questionnaire soit quantifié ne le fait pas plus scientifique que les récits (Lantolf et Genung, 2000 ; Schumann, 1998).

Malgré cela, la définition précise du concept de motivation est loin de faire l’objet d’un consensus (une grande différence entre le modèle de Dornyei, 1990, 1994, 1997 et celui de Gardner, 1985, 1997); il en va de même pour la nature du lien entre la motivation et l’apprentissage d’une langue. Ehrman et Dornyei (1998) ont mis l’accent, par exemple, sur l’autonomie de l’apprenant dans leur modèle de motivation, tandis que Dornyei et Gardner l’ont négligée.

Il semble que d’autres facteurs peuvent influencer d’une manière ou d’une autre la compréhension de lecture en LÉ. Selon le modèle de Bamford et Day (2004), l'un des facteurs qui

influent sur l'attitude de lecture L2 est l’attitude à l’égard de L1. Ils remarquent qu’en supposant que les étudiants sont déjà scolarisés dans leur L1 « une source d'attitudes à l'égard de la lecture en L2 est l'attitude qu’ils ont envers la lecture en LM (Ibid.). L’attitude à l’égard de la lecture est une construction théorique complexe comme « un état d'esprit, accompagné par des sentiments et des émotions, qui rendent la lecture plus ou moins probable » (Smith, 1990, p. 215). Selon un examen de la littérature scientifique approfondi par Reeves (2002), il y a trois dimensions : cognitives (les croyances personnelles et évaluatives), affectives (sentiments et émotions), et conative (les intentions comportementales). Ce point de vue tri-composant est explicité par Mathewson (1994), et ces composants peuvent également être identifiés dans d'autres grands modèles traitant de l'attitude de lecture, tels que ceux de Ruddell et Unrau (1994).

Quelques études avancent qu'il y a une certaine relation positive entre les attitudes des apprenants à la lecture et leur niveau en lecture, ce qui explique l'importance des attitudes comme facteur essentiel d'apprendre à lire (White, 1989 ; Worrell, Roth et Gabelko, 2007). C’est pourquoi, les enseignants devraient essayer de comprendre les attitudes de lecture des apprenants en L1 ainsi qu’en L2 (Yamashita, 2004). En fait, « les attitudes ne s’acquièrent ni ne se modifient par l’information, mais par l’expérience » (Giasson et Thériault, 1983, p. 274). Dans cette perspective, les attitudes peuvent être améliorées grâce à des modifications dans les méthodes d’apprentissage de la lecture pour arriver à susciter le plaisir du texte. La lecture de passion (d’intérêt) est l’un des aspects les plus intéressants (Cornea, 2010 ; Unrau et Schlackman, 2006). Nous traiterons de cet élément dans les paragraphes suivants.

Les recherches indiquent que l’intérêt stimule et facilite la compréhension profonde des textes, mène à utiliser l’image et développe l’apprentissage (Baldwin, Peleg-Bruckner et McClintock, 1985 ; Besse, 2007 ; Carrell et Wise, 1998 ; Leloup, 1993 ; Tobias, 1994). À noter que plus les lecteurs ne sont d'âge adulte et spécialisés, plus leur intérêt sera conscient à l’égard de la lecture (Satriano, 2008).

Cela dit, pour notre recherche, dans le cadre de notre expérimentation, nous solliciterons les apprenants dans leur L1 chaque fois que le besoin se fera sentir afin de leur permettre de progresser dans leur compréhension des textes. Parallèlement, nous tenons compte des facteurs influençant la lecture en FLE déjà mentionnés. Dans la prochaine section, nous mettons l’accent sur le concept de lecture critique.

Nous commençons par la définir et le situer par rapport à la lecture. 2. La lecture critique

2.1 Définitions

La littérature scientifique présente une variété de définitions de la pensée critique. Ennis (1985 ; 1987) la définit comme « pensée raisonnable de réflexion qui se concentre sur la décision de ce qu'il faut croire et faire » (p.5 et p. l0). Pour Wilson (1988), la pensée critique consiste à prédire les résultats, la formulation des questions, et répondre au texte en appliquant ses propres valeurs et croyances.

McDonald (2004) souligne que la lecture critique est un niveau mental supérieur où le lecteur distingue entre les idées, déduit, évalue, donne son opinion, juge ce qu’il lit. La lecture critique est un acte où le lecteur comprend le sens profond du texte lu, en interprétant, jugeant et en évaluant la valeur de celui-ci (Bears, 2002 ; Collins, 1994). Dans le même contexte, Word Don (1999) la définit comme une partie de la pensée critique qui consiste à identifier le problème, lancer des hypothèses, évaluer les preuves, et les idées et en juger et identifier les déductions. Donc, l’un des critères essentiels de la lecture critique, actuellement, consiste au fait que le lecteur comprend le sens de ce qu’il lit, réfléchit et lie les idées pour les évaluer, en juger et en profite pour améliorer sa connaissance du sujet (Paul et Elder, 2008). Certains auteurs ne définissent pas la lecture critique, mais décrivent les attitudes ou les comportements attendus d'un lecteur critique, ou ce qu'ils croient comme visées de lecture critique (Simpson, l996 ; Frager et Thompson, l985).

La lecture critique est une lecture attentive qui va au-delà du texte et qui amène l’apprenant à découvrir les informations et les idées (Kurland, 2000). La lecture critique donne également aux apprenants la possibilité de réfléchir et d'analyser l'information de manière critique, ce qui signifie pouvoir regarder le contexte avec une perspective plus large liée à leur compréhension critique (Wallace, 2003). D’ailleurs, la lecture critique est le processus de porter des jugements sur ce qu’on lit et de décider ce qu'il faut croire et ne pas croire. La lecture critique permet de juger les arguments de l'auteur pour évaluer la façon dont il les prend en charge afin de tirer des conclusions. La lecture critique nécessite une compréhension à la fois littérale et déductive (Corry, 2002).

Le lecteur critique, selon Corry (Ibid), est celui qui ne croit pas tout ce qu’il lit, remet en question tout ce qui n’a pas de sens pour lui, analyse, argumente, a ses raisons de croire certaines choses et ne pas croire les autres et est d'accord avec certains auteurs et en désaccord avec d'autres. N’oublions pas que chaque lecteur à sa façon de lire et de traiter du texte, ce qui est appelé le comportement de lecture (Pham, 2001). Selon Collins (1993), la pensée critique implique que le lecteur est actif et constructif dans le processus de lecture. Le lecteur est sans cesse en train de négocier ce qu'il sait avec ce qu'il essaie de donner un sens.

En nous basant sur les auteurs déjà mentionnés, notre définition opérationnelle de la lecture critique, dans le contexte de notre travail, serait la suivante : la lecture critique est la capacité des étudiants à distinguer les idées principales des idées secondaires et la capacité à distinguer les faits avérés et les opinions, à lier les idées, à déduire le but de l’auteur, à faire des inférences, à évaluer un texte donné et à en estimer la qualité et aussi les idées du texte.