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Partie I : Les jeux de rôle : un dispositif pour développer les capacités orales et sociales des

Chapitre 2 : Didactique de l’oral

2.3 Développement de l’oral à l’école

L’enseignement de l’oral en Suisse romande est récent d’après Dolz et Schneuwly (1998) : la langue orale ne devient un objet d’enseignement que dans les années soixante, lors de la rénovation de l’enseignement du français. L’oral en tant que discipline est cependant difficile à cerner et donc ardu à enseigner. De plus, il s’agit d’une notion floue qui dépend beaucoup des pratiques des enseignants. L’écrit étant dominant, apprendre à parler se faisait principalement par des exercices d’élocution et la récitation par cœur de textes (poésies, contes, etc.).

Aujourd’hui, cette vision a évolué et l’apprentissage de l’oral se construit autour de 4 paradigmes :

1. Pour apprendre à parler, il faut automatiser des savoir-faire de base :

cette méthode par imprégnation tire son origine du courant behavioriste et sociolinguistique. Les élèves apprennent les codes en vigueur (la négation, le passif, etc.). La situation de communication n’est pas prise en compte dans l’apprentissage et mettre à de multiples reprises les élèves en contact avec le savoir-faire visé assure un apprentissage par imprégnation.

2. Pour apprendre à parler, il faut connaître le fonctionnement de la langue :

cette approche analyse la langue orale et enseigne aux élèves les standards de cette langue orale sans prendre en considération le contexte. Il n’y aura pas un enseignement différent selon si l’élève est dans une situation d’exposé ou s’il doit participer à un débat par exemple. Des fiches de grammaire sur des thématiques bien précises seront effectuées afin d’exercer les élèves au code de la langue, dans l’optique d’un transfert de connaissances à l’oral.

3. Pour apprendre à parler, il faut communiquer.

4. Pour apprendre à parler, il faut communiquer et analyser la communication (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 16-17)

Les points 3 et 4 sont des approches communicationnelles qui cherchent à créer des situations diversifiées dans lesquelles les élèves ont l’occasion de s’exprimer. Celles-ci leur permettent de prendre la parole dans des cas concrets de la vie quotidienne. La recherche nomme cet oral

« pragmatique » (Gaussel, 2017, p. 19). Les conditions d’énonciation varient en fonction des

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paramètres contextuels (buts visés, statuts des énonciateurs, contenus). Cela va de la mise en place fictive d’un débat à la production d’un spectacle, en passant par l’entretien téléphonique et l’exposé scientifique. « Les capacités visées à travers la mise en place de ces situations sont d’ordre essentiellement pragmatique et discursif, à savoir leur maitrise par l’utilisation de formes textuelles adaptées » (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 17). Le point 4 (ci-dessus) va encore plus loin que le point 3 en explicitant bien la nécessité de conscientiser chez les élèves les processus et structures langagières qu’ils utilisent. Concrètement, ce n’est pas parce que les élèves ont joué leur scène que le travail est fini. Les chercheurs parlent ici d’oral « réflexif qui favorise une prise de distance et la construction de processus langagiers qui contribuent à la construction des connaissances et à la prise en compte du discours de l’autre » (Gaussel, 2017, p. 19). L’analyse a posteriori est primordiale. Le jeu de rôle s’avère ainsi être une pratique qui entre bien dans ces approches communicationnelles.

Depuis la rénovation de l’enseignement du français en Suisse romande des années 60, l’oral est devenu un objet scolaire d’enseignement. Il devient en théorie l’égal de l’écrit, officiellement du moins. Malgré cela, il se trouve que l’enseignement de l’oral a de la peine à se faire une réelle place dans les classes. Il est présent mais « il s’avère qu’il n’est « enseigné » qu’incidemment à l’occasion d’activités diverses et peu contrôlées » (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 49). Lorsqu’il est question de travailler l’oral, les enseignants portent leurs critères sur une distribution de parole équitable afin d’assurer la participation égale de tous en termes de quantité de parole produite (Dolz, et al., sous presse). Laparra (2008) constate :

en dehors de ces conversations spontanées et des quelques activités (…) il n’y a

pratiquement pas de tâches purement orales qui obligeraient les élèves à s’aventurer hors du modèle conversationnel qu’ils maîtrisent déjà et qui seraient seules susceptibles de faire évoluer leur compétence linguistique et langagière » (p. 122).

Une classe où les élèves parlent beaucoup n’est pas nécessairement une classe qui développe des capacités orales. Il s’agit de faire sortir les élèves des conversations familières que tout un chacun peut produire. Ainsi, pour pouvoir développer ces capacités orales, il faut que la classe ait du plaisir à prendre des risques en parlant, à tenter des formulations orales différentes quitte à produire des énoncés erronés (Laparra, 2018).

Le problème que confirme Cadet (2016) avec l’enseignement de l’oral est qu’il est utilisé pour plusieurs fonctions en parallèle : « objet d’apprentissages langagiers, moyen d’apprentissages disciplinaires, ressort de l’activité réflexive et de l’élaboration cognitive, médium de la

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communication et de l’interaction à l’intérieur de la sphère scolaire et extrascolaire, support de l’entrée dans l’écrit » (p. 3) Les jeux de rôle offrent aux enseignants la possibilité d’enseigner l’oral de façon explicite, comme un savoir à maitriser et non pas comme un outil éducatif au service de l’enseignement. En effet, l’oral dans les jeux de rôle est un objet de savoir sur lequel les élèves travaillent. Il est utilisé avant le jeu par l’enseignant, pour l’explication des consignes et la mise en œuvre de la séquence d’enseignement. En ce sens, l’oral est jusque-là un « moyen d’apprentissages disciplinaire », voire « un support de l’entrée dans l’écrit » si l’enseignant utilise des fiches explicatives de la séquence d’enseignement (Cadet, 2016). Pendant le jeu, l’oral est appliqué et travaillé par les acteurs. Après le jeu, les acteurs reviennent, par la parole, sur leurs paroles, leur ressenti et leurs réactions. Une activité réflexive sur l’oral est donc amenée et l’analyse de la parole et du comportement est au centre des débats.

Afin de contourner le problème de l’enseignement de l’oral à l’école, nous pouvons recommander, comme le fait Laparra (2018), de ne pas opposer systématiquement l’oral et l’écrit et de prendre ces deux dimensions comme outils pour les activités langagières de manière complémentaire. Ne pas toujours penser les difficultés linguistiques et langagières des élèves comme des manques, mais y voir à la place des potentialités à consolider et à bâtir. De plus, cet auteur estime qu’il est bien d’exercer la mémorisation des élèves de ce qui vient d’être dit, afin que ceux-ci puissent le reformuler et construire de nouvelles habiletés verbales. Finalement, Colognesi & Dolz (2017) développent deux dimensions importantes favorisant l’apprentissage de l’oral : premièrement le passage par des activités de mises en scène proches de ce que peuvent vivre des élèves dans le cadre familial, scolaire ou professionnel. Cela peut amener

« au transfert de ses apprentissages lors des situations professionnelles qu’il rencontrera dans l’avenir » (p. 180). L’accompagnement des élèves constitue la deuxième dimension avancée par les auteurs. En effet, prévoir un temps afin de discuter des stratégies d’actions et de langage après la mise en situation permet aux élèves une analyse réflexive et une meilleure intégration des capacités. Ces recommandations sont applicables dans l’exercice du jeu de rôle.

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