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Partie III : Analyse des mises en scène : actions et réactions des acteurs, un engagement

Chapitre 6 : Bilan de 3 séances

6.3 Bilan séance 3

En préalable à cette dernière séance, nous décidons de lister plusieurs scénarios possibles pour chaque personnage, afin d’aider les élèves à agir et d’éviter que la situation ne tourne en rond.

En fonction de ce que les acteurs choisissent de faire, les autres doivent adapter leur comportement. Ceci est expliqué aux acteurs avant la mise en scène.

Des étiquettes à coller sur les pulls sont prévues pour ne pas confondre les prénoms des acteurs.

Celles-ci remplacent les post-it mis en place la leçon précédente.

Cette fois-ci, c’est autour d’une table de pingpong que les acteurs se réunissent. La victime est une personne qui a de bonnes notes à l’école, mais qui n’est pas très douée en sport.

En termes de quantité d’interventions, voici les résultats pour cette dernière leçon : Premier groupe :

• La victime prend 5 fois la parole.

• L’agresseur 31 fois.

• Le défenseur 16 fois.

• Le témoin 24 fois.

Deuxième groupe :

• La victime prend 31 fois la parole.

• L’agresseur 42 fois

• Le défenseur 23 fois

• Le témoin 3 fois Troisième groupe :

• La victime prend 18 fois la parole.

• L’agresseur 4 fois.

• Le défenseur 5 fois.

• Le témoin 23 fois.

Ces chiffres nous montrent qu’il n’y a pas de constance dans le nombre de prises de parole de chaque rôle (5.3). Il dépend beaucoup de l’interprète. Dans le premier groupe, ce sont l’agresseur et le témoin qui s’expriment le plus, ce qui est inhabituel de la part du témoin. Dans le deuxième groupe, le témoin est très peu présent. Dans le troisième groupe, il s’agit du défenseur et de l’agresseur qui sont les plus discrets.

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Il est intéressant de noter que globalement, le témoin prend davantage la parole à la fin des séances qu’au début. Or si nous nous référons aux situations de harcèlement, nous constatons que c’est (en partie) le silence des témoins qui permet la poursuite du harcèlement. Cette évolution pourrait donc au fil des séances signaler une prise de conscience de la part du groupe sur le rôle essentiel des témoins pour contrer une situation de discrimination qui commence à s’établir.

GROUPE 1

D. est le témoin, il s’appelle Guillaume.

A. est le défenseur, il s’appelle Jack.

M. est l’agresseur, elle s’appelle Kevin.

S. est l’agressée, elle s’appelle Jessica.

Les prénoms de chaque personnage semblent être plus clairs pour les acteurs que lors des deux leçons précédentes. D. utilise bien le prénom Jack quand il s’adresse à A.

Suite au commentaire de A. « Vous êtes tous nuls ! », M., l’enseignante lui dit : « Non mais tu changes de rôle là A. si jamais ». Il a le rôle de défenseur et il nargue tout le monde en prétendant être le meilleur et que les autres sont tous des nuls. Est-ce qu’A. change réellement de rôle ? Pourquoi agit-il ainsi ?

M. ne prend pas de gants contre S. qui souhaite jouer (5.4) : elle l’accuse sans motif et trouve des raisons d’accuser S. farfelues : c’est la faute du soleil, donc de la faute à S. par exemple. A.

la réconforte et lui dit : « Après, tu pourras peut-être jouer avec nous ».

D. propose une solution lorsqu’il dit à S. (5.4) : « Ben en fait regarde, moi j’ai, si tu veux, y a une raquette, prends-la comme ça tu peux jouer ». Il s’agit de la première fois que le témoin prend une initiative. Il insiste et propose un compromis pour laisser jouer S. : « faire un test » et regarder comment S. s’en sort. C’est encore D. qui propose un match un contre un pour voir qui est meilleur entre M. et S.

A. et D. sont rassurants et empathiques envers S. A. explique les règles tranquillement à S. :

« Une tournante c’est qu’en fait » et D : « Ouais faut tourner ». A. et D. sont donc capables de

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varier les tons : tantôt agresseur, tantôt défenseur, agressé ou témoin (5.2). A. dit souvent :

« c’est le début » pour contrer l’argument de M. « elle est trop nulle ».

Quand M. demande à A. s’il est d’accord qu’ils vont gagner contre S. et D., il est un peu embarrassé, il ne sait pas quoi répondre car il est censé protéger S. Il répond un peu à côté :

« C’est pas grave ».

M. et S. jouent ensemble mine de rien, même si M. est très désagréable envers S.

Cette dernière formule facilement son ressenti du début de jeu (« rejetée ») et de fin (« acceptée »). A. exprime un état de choc et de tristesse au début et de joie en fin de partie. D.

dit avoir ressenti de l’indifférence au début et trouvé « cool » qu’ils jouent tous ensemble à la fin. L’évolution des personnages à travers cette scène est positive dans le sens que les personnages (sauf l’agresseur) passent de sentiments négatifs à des sentiments positifs (5.5). Le tableau ci-dessous, élaboré avec les élèves, résume cette évolution.

GROUPE 2

O. est le témoin, il s’appelle Guillaume.

Dat. est le défenseur, il s’appelle Jack.

104 R. est l’agresseur, elle s’appelle Kevin.

Lé. est l’agressée, elle s’appelle Jessico.

Dat. joue cette fois-ci !

Lé. et R. jouent un rôle qu’ils ont déjà joué, victime et agresseur ; O. et Dat. également : témoin et protecteur. Ce sont donc les mêmes joueurs dans le même type de rôles que lors de la situation 1, la première fois qu’ils jouaient la scène. Lé. et R. sont à nouveau très présents et O. absent.

En revanche, en termes de prise de parole, nous remarquons que Dat. s’est mis en avant par rapport à la première leçon, puisqu’ici il intervient à 23 reprises contre 7 la première fois dans son rôle de protecteur (5.3). Il défend et encourage la victime.

O. prend la parole pour dire à Lé. (Jessico) de revenir. Il avait fallu attendre un moment lors de la première séance pour qu’il s’exprime. O. dit : « Venez » : nous voyons au vouvoiement qu’il a encore de la peine à différencier le personnage dans le jeu et son enseignant qui joue le jeu. Il se rattrape en rigolant et en disant « Viens viens ». O. rigole souvent quand l’agresseur est insolent envers la victime. Ça le fait rire. Il lui est difficile d’incarner vraiment son personnage (5.3).

Les acteurs tournent en rond aussi parce que le rôle de l’agresseur est de ne pas être d’accord avec la victime. Ainsi, à chaque fois que la victime va proposer quelque chose, l’agresseur va aller à l’encontre. Si le témoin et le défenseur ne s’affirment pas, c’est compliqué.

R. argumente que c’est sa balle. S’il part, il part avec sa balle. Il fait du chantage. Ce n’est pas la première fois que l’agresseur s’attribue le matériel. Au football, c’était son ballon ; ici ce sont ses raquettes et ses balles, alors que cela n’a pas été précisé dans le scénario. Ce sentiment de possessivité se ressent chez de nombreux agresseurs. Le sentiment de puissance est également très présent puisque nous voyons R. dire : « Vous êtes tous nuls ici ». Il s’en prend à tout le monde et pense être le plus fort. R. demande à Lé. de venir jouer après sa victoire en finale. Il s’agit du premier geste allant vers la victime. Il a cependant besoin de garder le contrôle, nous le voyons à son refus de laisser servir son partenaire.

GROUPE 3

R. est le témoin, Kevin A. est l’agresseur, Jack

105 D. est le défenseur, Guillaume

Dat. est l’agressé, Jessico

R. est témoin et prend le rôle de l’agresseur. Il en est conscient puisque lorsque je lui demande s’il est bien le témoin, il dit oui. La question qu’il aurait été intéressant de lui poser est de savoir pourquoi il prend le rôle de l’agresseur consciemment, alors qu’il n’a pas à le faire. Et l’animateur doit-il interrompre le jeu et demander au témoin de suivre son rôle de témoin et non d’agresseur ?

L’agresseur ne dit rien.

Tout au long de cette troisième séance, l’animateur est plus discret que lors de la deuxième. Il n’intervient pas au milieu du jeu. Trop discret ? Qu’aurait-il pu faire autrement ?

Dat. utilise pour la première fois un argument : « Hé j’apprends à jouer non ? »

D. le défenseur admet que Dat. fait un peu n’importe quoi. Il se permet de faire une remarque à la victime. Nous observons un personnage qui tient compte de la situation ici et non de son rôle prédéfini : son rôle se défige.

R. se moque de la façon de parler de Dat. et l’imite : « toi parler beaucoup »

Dat. prend le rôle de la victime, ce qu’il avait refusé lors de la leçon numéro 2. La marque physique de la différence est moins prononcée dans cette situation que lors de la deuxième séance : une personne douée scolairement parlant, mais faible en sport. Il n’y a pas de stéréotypie aussi marquée que pour une personne hémiplégique. Est-ce ce qui a convaincu Dat.

d’interpréter le rôle de la victime ? Ou est-il tout simplement plus à l’aise après 3 leçons ?

Dat. ne comprend pas tout. Il a du mal à compter les points au début. Il pense que D. a gagné alors que c’est R. Est-ce qu’il fait semblant dans son jeu de rôle de ne pas comprendre ? Cela dénoterait un très bon jeu d’acteur… mais l’élève qu’il personnifie est censé être vif d’esprit, bon scolairement et uniquement faible en sport. Est-ce qu’il a réellement de la peine à comprendre ? Dat. se fait éliminer et pense que c’est R. qui l’est. Lorsque D. se fait éliminer, Dat. attaque directement R. en lui disant de sortir et ne comprenant pas que c’est D. qui devrait

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être éliminé. Mauvaise compréhension des règles de la tournante au pingpong ou problème de français ?

L. : « Les observateurs, qu’est-ce que vous en avez pensé ? » La question est-elle trop ouverte ? O. en tant qu’observateur dit que Dat. faisait un peu n’importe quoi et L. est d’accord avec lui.

Mais nous sommes dans le jugement ici, probablement induit par le verbe « pensé » de la question de L. Ce terme est inadéquat et la question devrait être « qu’est-ce que vous avez vu ? » pour éviter ce genre de feedbacks ; il conviendrait plutôt de dire :« il tirait la balle très fort, il ne comprenait pas les règles », ce qui est vite rectifié par L. après, dans la discussion. C’est ainsi que nous sommes amenés à une discussion sur le fait de savoir pourquoi il tapait fort dans la balle (maladroit ? exprès ?).

Lé. utilise beaucoup le mot « vachement, hyper ». Ce sont des mots que nous utilisons pour marquer une emphase sur une action, mais il s’agit alors d’un langage familier.

Synthèse séance 3 et indicateurs de progression

5.1 et 5.2 A l’image de la deuxième séance, les acteurs sont en mouvement. Une différence est le regard, plus présent lors de cette séance que dans la précédente. A chaque fois que la balle de pingpong n’est plus en jeu, les acteurs s’interpellent et peuvent se regarder dans les yeux, contrairement au football où la balle est tout le temps en jeu. Même A., qui évitait les regards lors de la première séance, regarde la personne à qui il s’adresse. Les élèves ne montrent pas de façon excessive leur colère, excepté S. qui exprime son désarroi face à l’agresseur lorsqu’elle est témoin ou défenseuse. Elle utilise sa voix pour montrer qu’elle est fâchée. Elle parle fort et fait de grands gestes des bras. R. arrive à montrer de l’agacement lors de la séance 2 et il est également capable d’être agressif. O. exprime peu d’émotions dans le message verbal et gestuel : il utilise le même ton pour tout ; sa gestuelle est restreinte. Nous pouvons noter une évolution dans l’utilisation du langage non verbal chez A. : lors de la première séance, il ne faisait aucun geste ; il était comme coincé sur sa chaise. Lors de la deuxième leçon, il a pu utiliser son corps pour exprimer certaines idées, ce qui est confirmé lors de la dernière séance.

5.3 R. semble être celui qui possède le plus de vocabulaire, avec D. et S. Ils forment des phrases complètes et sont capables de formuler des arguments. Ils sont également en interaction avec

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les autres acteurs, répondant à ce qui vient d’être dit. O. rigole encore de temps en temps lorsqu’il joue. Il vouvoie encore son enseignant, victime dans le jeu. Nous pouvons également déduire de la quantité des interventions des personnages que certains rôles amènent plus ou moins les élèves à parler. En effet, il n’y a pas de constance dans le nombre d’interventions de chaque rôle, mais certaines tendances. L’agresseur et la victime ont tendance à être les personnages les plus en vue. Mais nous notons également qu’un des facteurs qui conditionne beaucoup le nombre d’interventions est le caractère de chacun des interprètes. R. aime parler et prend même plus de place qu’il ne devrait lorsqu’il est témoin. Il parle énormément en tant qu’agresseur. S. parle beaucoup en tant que protectrice du bégayeur, mais peu en tant qu’agresseur. O. parle peu, qu’il soit témoin ou agresseur.

5.4 D. montre une évolution dans son personnage de témoin lors de la séance 3. Il parle très peu comme témoin lors de la première leçon, mais il prend beaucoup la parole dans ce même rôle lors de la dernière séance, lorsque celui-ci a été mieux défini en termes de possibilités d’actions.

D. est comme lors de toutes les séances à l’écoute de ce qui se passe, mais cette fois il fait évoluer son personnage : il remet gentiment à sa place la victime lorsqu’elle fait un peu n’importe quoi. Nous remarquons également une évolution chez Dat. en termes d’interventions.

Très discret lors de la première séance, refusant de jouer lors de la deuxième, il accepte de jouer des rôles importants (défenseur et agressé), réussit à prendre la parole de nombreuses fois et accepte donc de prendre le rôle de victime lors de la 3ème séance.

5.5 D’entrée lors de la première leçon, les élèves ont exprimé leur ressenti de façon précise après leur mise en scène. Une difficulté légère est à relever lorsqu’il s’est agi de décrire l’évolution des émotions à travers une même scène, entre le début et la fin. Certains élèves ont eu de la peine à comprendre que le personnage puisse traverser des émotions différentes selon ce qui est vécu pendant la mise en scène.

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