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Partie I : Les jeux de rôle : un dispositif pour développer les capacités orales et sociales des

Chapitre 2 : Didactique de l’oral

2.1 Éléments de fonctionnement de l’oral

L’oral se réfère à tout ce qui concerne la bouche ou à toutes les informations qui se transmettent par la bouche. Il comprend à la fois la compréhension et la production des messages oraux (Simard, Dufays, Dolz & Garcia-Debanc, 2010, p. 283), c’est-à-dire que le terme oral est utilisé pour décrire « l’ensemble des actes d’écoute (la compréhension) et de langage (la prise de parole), ces deux sous-catégories de l’oral étant en interaction pour créer une discussion » (Colognesi & Deschepper, sous presse).

L’oral comprend donc plusieurs facettes : la voix, la parole, l’écoute et le corps. La voix est le support de la parole et inclut l’émission de sons. Elle se travaille à travers la diction (prononciation et articulation) et la prosodie (accentuation, mélodie, intonation, débit, volume et rythme). La parole est l’aspect oralisé du langage (Gaussel, 2017). Elle comprend la phonologie (les sons de la langue), le lexique (les mots de la langue), la syntaxe (la grammaire de la langue, son organisation) et la sémantique (la signification des mots). « L’écoute est à la fois une condition préalable à tout travail sur l’oral et un des objectifs de ce travail » (Gaussel, 2017, p. 5). L’apprentissage d’un langage ne se fait pas de manière isolée. C’est un acte social, l’écoute étant donc une dimension importante de celui-ci. Nous n’entrainons pas notre parole sans interagir avec personne (ou sans prévoir d’interagir). Par ailleurs, la communication orale s’articule avec l’expression corporelle et ne se cantonne pas uniquement à l’utilisation des moyens linguistiques ou prosodiques (Dolz & Schneuwly, 2009). La prise de parole est en

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relation intime avec le corps et ses systèmes de communication non verbaux. La posture, la position du locuteur, les expressions du visage sont des indicateurs et font passer des messages à l’interlocuteur.

En résumé, le travail sur l’oral peut s’effectuer sur différents niveaux de son fonctionnement : - « les éléments linguistiques » (connaissances phonologiques, phonétiques,

morphologiques, lexicales, syntaxiques)

- les éléments « communicationnels », interactionnels et textuels (règles discursives, psychologiques, culturelles et sociales qui régissent l’utilisation de la parole en fonction des contextes)

- les éléments « corporels » (gestes, mimiques, regard, etc.) ; et les éléments « voco-acoustiques » comme témoin matériel et physique de la parole (débit, intensité, articulation, intonation, etc.)

(Gaussel, 2017, p. 12)

Selon les recherches effectuées par Dolz et Schneuwly (1998), il existe deux sortes d’oral :

« L’oral spontané, pensé en général comme parole improvisée en situation d’interlocution conversationnelle, constitue à une extrémité un modèle relativement idéalisé dont on souligne parfois, dans un premier regard, l’aspect apparemment éclaté et discontinu qui souvent cache des régularités au service de la communication. » (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 54)

Il y a donc des régularités dans la parole soi-disant improvisée. Cette remarque des auteurs est très importante, car elle permet d’élaborer des critères d’attentes vis-à-vis d’une situation de communication qui pourrait sembler très hasardeuse pour le sens commun. Ainsi, la recherche effectuée dans le cadre de ce mémoire analysera entre autre les structures de phrases employées, la syntaxe, le vocabulaire, etc. Cela permettra de mettre le doigt sur des faits observables à analyser. Ce n’est pas l’anarchie comme nous pourrions être amenés à le croire lorsque nous pensons au terme « improvisation ». Dolz et Schneuwly (1998) le confirment :

« L’oral spontané est vu comme chaotique quand on l’observe de près en le comparant à l’écrit, mais c’est une erreur de le comparer aux normes de l’écrit. Et en plus, on peut voir des caractéristiques linguistiques structurées de grammaire et syntaxe de l’oral. » (p. 55-56)

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La deuxième forme d’oral est « l’oral contraint par une origine écrite qu’on identifie ou qu’on décrit comme de l’écrit oralisé. Il s’agit de toute parole lue ou récitée » (Dolz et Schneuwly, 1998, p. 54). Avec les élèves de l’Ecole de Formation Préprofessionnelle, nous travaillerons dans une zone hybride, entre ces deux types d’oral puisqu’il y aura des supports écrits pour faciliter la parole (les fiches personnages par exemple), mais aussi une grande part de spontanéité.

L’opposition entre le code oral et le code écrit est une notion qui fait débat chez les spécialistes de la question (Laparra, 2018). Certains pensent que l’oral est complètement différent de l’écrit et vice-versa. D’autres pensent que les codes de ces deux moyens d’expression ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Néanmoins les chercheurs s’accordent pour affirmer que la conversation familière est très différente de l’écrit. Mais faut-il pour autant voir cette pratique orale comme mauvaise ? Que peut-elle apporter à un enfant en termes d’apprentissage ? Nous verrons dans cette recherche que les mises en scène des élèves amènent des dialogues permettant de développer des capacités orales. Si ces situations sont bien guidées par l’enseignant, il est possible de faire passer l’élève d’un usage de l’oral familier à un oral plus soutenu.

Les caractéristiques de l’oral conversationnel sont notamment les hésitations et un lexique peu varié (Laparra, 2018). Les phrases relatives dans un dialogue sont souvent introduites par « qui, que, où ». « Les relatives du type « c’est ce dont j’ai besoin », « c’est l’homme à qui je pense

» » ne sont pas souvent utilisées dans ce type de discours oral (Laparra, 2018, p. 128). L’usage de structures automatisées est cognitivement moins coûteux en attention. C’est pour cela qu’elles sont utilisées au détriment de structures demandant plus d’attention, afin de permettre à la conversation de se dérouler de manière la plus fluide possible et à l’orateur d’agir en termes de capacités d’action en même temps que son discours. Ainsi, il s’agit d’entrainer les réponses coûteuses en les pratiquant régulièrement afin de les automatiser et de les rendre plus facilement utilisables dans une situation de langage complexe. Cela amènera dans un premier temps plus d’hésitations chez les élèves car ils vont devoir différer leur réponse au profit de réflexions sur les bonnes formulations, mais l’énonciation de réponses légèrement différées est à encourager pour le développement de capacités langagières orales (Laparra, 2018).

Afin de développer encore un peu plus la dimension de conversation soutenue, nous pouvons travailler avec les élèves les « expressions à relativement haute fréquence [qui] sont

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caractérisées par le fait qu’elles comportent un terme abstrait qui est souvent un dérivé » (Laparra, 2018, p. 128). Par exemple, au lieu de dire « il (ne) sait pas jouer », dire « c’est un mauvais joueur ». De plus, la technique de la reformulation peut être utilisée par l’adulte pour faire apprendre des structures orales aux élèves. En effet, Laparra (2018) montre qu’un enseignant qui reformule les propos des élèves « il y avait x, à la place il y a y » en introduisant le terme de « remplacé », « remplacement » (p. 129) dans ses reformulations, cet enseignant amène les élèves à employer les termes de l’enseignant pour ainsi faire évoluer les structures orales. Dans l’apprentissage d’une langue, il existe plusieurs manières pour l’enseignant de corriger un élève dont l’énoncé oral est incorrect : la reformulation, la correction explicite et l’incitation dont voici un tableau récapitulatif (Kartchava, 2014).

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Ces différentes techniques linguistiques sont utilisées par les enseignants à des fréquences variables et pour des acquisitions de nouvelles structures de langage chez les élèves également diverses. Afin de stabiliser la connaissance de ces nouvelles formulations, Laparra recommande de faire mémoriser ces structures en les écrivant. Nous constatons donc que le langage oral n’est pas indépendant du langage écrit, et l’inverse est vrai également. Ils sont au service l’un de l’autre et l’enseignant doit selon nous utiliser ces deux codes du langage de manière complémentaire afin d’apprendre aux élèves à « produire des oraux et des écrits différents selon les exigences de la situation dans laquelle ces oraux et ces écrits sont engendrés » (Laparra, 2018, p. 131).

Les jeux de rôle peuvent être assimilés à un genre oral secondarisé. En effet, dans un jeu de rôle, les participants improvisent une saynète de la vie ordinaire. Dans notre cas, nous nous intéressons à un jeu de rôle inspiré d’une situation du quotidien dont la représentation à caractère fictionnel implique aussi des capacités argumentatives. En effet, du point de vue de la situation de communication, les acteurs doivent se représenter le contexte et s’adapter au rôle attribué. Du point de vue de l’organisation, ils doivent gérer une conversation avec des répliques en fonction de la saynète représentée. Enfin, du point de vue de la textualisation, ils doivent produire à l’oral des énoncés dans un dialogue. La perspective de travail sur l’oral prend en considération ces trois grandes dimensions et se situe dans une perspective proche de celle qui défend les pratiques et l’enseignement des genres à l’école. Il ne s’agit pas uniquement de pratiquer l’oral (le jeu de rôle) mais de reprendre les dimensions abordées comme un objet d’apprentissage.