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1. État de la question – bilan historiographique

1.4 Développement des institutions muséales

Le collectionnement tant privé que public est au nombre des pratiques culturelles qui connaissent un essor considérable à Montréal au XIXe siècle. L’ouvrage de l’historien Hervé

Gagnon, Divertir et instruire. Les musées de Montréal au XIXe siècle, dresse un portrait

détaillé de l’émergence des premiers musées montréalais accessibles au public au XIXe siècle,

dans le contexte bien précis de l’industrialisation, de l’urbanisation et du développement de la nation canadienne. En se basant sur l’analyse de la nature des institutions muséales ouvertes à la population et du contenu des collections, Hervé Gagnon définit le rôle général et la place de ces musées dans la société49. Les recherches menées par Gagnon permettent d’identifier trois

phases dans le développement des musées au XIXe siècle. Les années 1820 voient l’apparition

des premières collections dites publiques au Bas-Canada50. Dès février 1824, l’aubergiste

Thomas Delvecchio ouvre les portes du Museo Italiano51, logé au no4 Place du Vieux Marché

où, en s’inspirant de la muséologie-spectacle à l’américaine52, il expose « une très belle

Collection de choses rares et curieuses dont une très grande partie n’a jamais été vue dans ce

49 Hervé Gagnon, Divertir et instruire. Les musées du Montréal au XIXe siècle, Montréal, GGC Éditions, 1999,

241 pages.

50 Philippe Dubé et Raymond Montpetit, « Savoir et exotisme. Naissance de nos premiers musées », Cap-aux-

Diamants, 25 (printemps 1991), p. 10-13; Gagnon, op. cit., p. 2; Jean Trudel, « Essai sur le développement des

musées au Québec : entre les sciences et les arts », Musées, 14, 3 (septembre 1992), p. 6-12.

51 Hervé Gagnon, « Du cabinet de curiosités au musée scientifique. Le musée italien et la genèse des musées à Montréal dans la première moitié du XIXe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, 45, 3 (1992), p. 415-430; Jean Trudel, « The Origins of Museums in Lower Canada: Thomas Delvecchio’s Museo Italiano in Montreal and Pierre Chasseur’s Museum of Natural History in Quebec », dans Sheila D. Campbell, dir., The

Private Collector and the Public Institution, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 33-63.

52 La muséologie-spectacle à l’américaine s’incarne dans des institutions où se côtoient « les spécimens d’histoire naturelle, les portraits d’hommes célèbres, les figures de cire, les objets ethnologiques, les reliques historiques, les aberrations de la nature et les curiosités les plus diverses. » dans Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., p. 47-48. La figure de proue dans le domaine aux États-Unis est l’entrepreneur de spectacle Phineas Taylor Barnum qui met en place un empire du divertissement comprenant cirque, ménagerie et théâtre. Gagnon, Divertir

pays53 ». Les collections de la Natural History Society of Montreal sont accessibles au public à

partir de 182754. Alors que le Museo Italiano ferme ses portes en 1847, le Musée de la Natural

History Society demeure ouvert jusqu’en 192555. Au cours de la deuxième phase de

développement, qui couvre la période de 1840 à 1866, le choix et la variété des musées sont en constante augmentation. Selon les années, de trois à cinq institutions offrent leurs collections aux regards du public montréalais. Parmi les nouvelles initiatives, signalons les plus importantes par leur ambition : le Musée de la Commission géologique du Canada (1844- 1881)56, le Jardin botanique et zoologique Guilbault (1852-1859)57 ainsi que le Musée de

l’Institut canadien (1866-1882)58. Si, jusqu’en 1870, les musées sont très peu nombreux, les

Montréalais ont néanmoins accès à des expositions itinérantes de curiosités, d’art, d’histoire naturelle, d’histoire, de sciences et des produits de l’industrie, essentiellement d’origine

53 Michel Bibaud, « Cabinet de curiosités naturelles et artificielles On y voit réunis l’utile et l’agréable »,

Bibliothèque canadienne, I, 2 (juillet 1825), p. 53-55.

54 Celles-ci se divisent en quatre départements que sont la zoologie, la botanique, la minéralogie et les miscellanées. Stanley Brice Frost, « Science Education in the Nineteenth. The Natural History Society of Montreal, 1827-1925 », McGill Journal of Education, 17,1 (hiver 1982), p. 31-43; Gagnon, Divertir et

instruire…, op. cit., p. 109-115; Hervé Gagnon, « The Natural History Society of Montreal's Museum and the

Socio-Economic Significance of Museums in 19th-Century Canada », Scientia Canadensis: Canadian Journal of

the History of Science, Technology and Medicine / Scientia Canadensis : revue canadienne d'histoire des sciences, des techniques et de la médecine, 18, 2, 47 (1994), p. 103-135.

55 Une partie des collections est alors acquise par le Musée Redpath, dont les populaires momies égyptiennes. Deux autres projets envisagés dans les années 1820 ne voient jamais le jour. Il s’agit du projet de musée d’histoire naturelle et de curiosités de la Montreal Library (1822) (Hervé Gagnon, « Le projet avorté de musée d’histoire naturelle de la Montreal Library (1822-1827). Notes de recherche sur l’histoire des premiers musées au Québec », Cahiers d’histoire, 12, 2 (été 1992), p. 76-88) ainsi que du projet de musée industriel du Mechanic’s Institute (1828) (Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., p. 4.).

56 Raymond Duchesne et Paul Carle, « L’ordre des choses : cabinets et musées d’histoire naturelle au Québec (1824-1900) », Revue d’histoire de l’Amérique française, 44 (été 1990), p. 13-14; Christy Vodden, Pierre par

pierre. Les 150 premières années de la Commission géologique du Canada, Ottawa, ministère des

Approvisionnements et Services Canada, 1992, 58 pages; Morris Zaslow, Reading the Rocks. The Story of the

Geological Commission of Canada (1842-1972), Toronto, Macmillan, 1975, 599 pages.

57 Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., p. 54-66; Raymond Montpetit, « Culture et exotisme : les panoramas itinérants et le Jardin Guilbault à Montréal au XIXe siècle », Loisirs et Société, 6, 1 (printemps 1983), p. 71-104. 58 Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., p. 163-168.

étrangère59. Ces expositions annoncent, selon Gagnon, les musées de la seconde moitié du

XIXe siècle. En effet, les musées créés au cours de cette deuxième période incarnent l’un ou

l’autre des deux types de muséologie qui évoluent et se développent parallèlement à Montréal, c’est-à-dire une muséologie de divertissement et une muséologie à vocation savante. De nature commerciale, les musées de divertissement présentent des collections au contenu rare, exotique ou exceptionnel avec la volonté première d’amuser et de divertir. Les musées savants sont, quant à eux, fondés par des sociétés savantes et exposent des collections de sciences naturelles, d’art ou d’histoire dans le but premier de partager des connaissances60. Le travail

des collectionneurs privés pour la fondation de ces derniers musées est considérable. Comme il sera donné de le voir au cours de la thèse, non seulement ils participent à leur création, mais ils enrichissent les collections muséales par leur donation. En dépit de la création de l’Art Gallery par l’Art Association of Montreal61 en 1879 et du Musée Redpath62 sur le Campus de

l’Université McGill en 1882, les années 1870 et 1880 connaissent un ralentissement considérable dans le développement du monde muséal. Si bien que, pour Gagnon, la troisième phase de développement se situe plus tardivement, entre 1889 et 1899, avec la création de la

59 Entre 1811 et 1850, 80 % des expositions proviennent de l’extérieur du Bas-Canada : États-Unis (42,3 %), Angleterre (15,4 %), France (7,7 %), autres pays européens (15,4 %). Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., p. 13.

60 Gagnon, Divertir et instruire…, op. cit., 294 pages.

61 L’Art Gallery est aujourd’hui connue sous le nom de Musée des beaux-arts de Montréal. Pour des études sur son histoire, voir Jean Trudel, « L’Art Association of Montreal. Les années d’incertitude : 1863-1877 (Première partie) », Journal of Canadian Art History/Annales d’histoire de l’art canadien », 29 (2008), p. 116-145; Jean Trudel, « L’Art Association of Montreal. Les années d’incertitude : 1863-1877 (Deuxième partie) », Journal of

Canadian Art History/Annales d’histoire de l’art canadien », 30 (2009), p. 92-113; Jean Trudel, « Aux origines

du Musée des beaux-arts de Montréal. La fondation de l’Art Association of Montreal en 1860 », Journal of

Canadian Art History/Annales d’histoire de l’art canadien, 15, 1 (1992), p. 31-60; Jean Trudel, « Le Musée des

beaux-arts de Montréal : une élite et son musée », Cap-aux-diamants, 25 (printemps 1991), p. 22-25.

62 Sur la fondation et le développement du Musée Redpath, voir Suzan D. Bronson, The Design of the Redpath

Museum art McGill University: The Genesis, Expression and Evolution of an Idea about Natural History, thèse

(aménagement), Université de Montréal, 1992, 2 vol.; Susan Sheets-Pyenson, « Stones and bones and skeletons. The Origins and Early Development of the Peter Redpath Museum (1882-1912) », McGill Journal of Education, 17, 1 (hiver 1982), p. 489-562;

ménagerie au Parc Sohmer, de la fondation de l’Eden Musée and Wonderland (1891-1940), du Gaiety Theatre and Museum (1891-1892), du Musée Lasalle (1892-1894) et, enfin, en 1895, du Musée du Château Ramezay63, une institution encore en activité de nos jours.

Un certain nombre d’études sur les musées64 révèlent la variété des initiatives muséales

offertes au public montréalais. Les musées, à vocation savante ou inscrits dans une logique de divertissement, proposeront des contenus variés liés aux mondes de l’art, de l’histoire, de l’histoire naturelle, de la science, de l’industrie ou encore de la curiosité. Par ailleurs, ces travaux démontrent le rôle fondamental joué par les collectionneurs privés dans l’érection des premiers musées au Québec. En effet, l’implication de l’État étant exceptionnelle avant le XXe

siècle dans le monde muséal, les institutions sont d’abord et avant tout le fruit d’individus ou de sociétés savantes regroupant de nombreux collectionneurs. Au terme de ce survol des études réalisées sur les pratiques culturelles à Montréal, on constate que l’historiographie insiste particulièrement sur les pratiques culturelles publiques, comme la fréquentation des parcs, des théâtres et des musées. Ma thèse s’en démarque en ce qu’elle traque une pratique individuelle.

63 Hervé Gagnon, « Divertissement et patriotisme : La genèse des musées d’histoire à Montréal au XIXe siècle »,

Revue d'histoire de l'Amérique française, 48, 3 (1995), p. 317-349; Victor Morin, « Les Ramezay et leur

Château », Cahiers des Dix, 3 (1938), p. 9-72.

64 Outre les titres mentionnés précédemment, nous pensons à Paul Carle, Pascale Gagnon et Michèle Metzener, « Florian Crête, c.s.v., et le Musée éducatif de l’Institut des sourds-muets (1882-1970) : vers une nouvelle muséologie scientifique », Scientia Canadensis: Canadian Journal of the History of Science, Technology and

Medicine / Scientia Canadensis : revue canadienne d'histoire des sciences, des techniques et de la médecine, 16,

1 (1992), p. 60-75; Victoria Dickenson, « L’histoire des musées nationaux depuis leur fondation jusqu’à aujourd’hui », Muse, 10, 2-3 (été/automne 1992), p. 64-71; Duchesne et Carle, op. cit., p. 3-30; Claude Armand Piché, La matière du passé : Genèse, discours et professionnalisation des musées d’histoire du Québec, Québec, Septentrion, 2012, 410 pages Susan Sheets-Pyenson, Cathedrals of Science. The Development of Colonial

Natural History Museums during the Late Nineteenth Century, Kingston et Montréal, McGill-Queens University

Press, 1988, 144 pages; Brian Young, Le McCord. L’histoire d’un musée universitaire, 1921-1996, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 2001, 288 pages.