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1. État de la question – bilan historiographique

1.5 Le collectionnement privé à Montréal

La période comprise entre 1870 et 1920 est qualifiée d’âge d’or du collectionnement par l’historien de l’art Laurier Lacroix en raison, d’une part, de la multiplication des musées qui ouvrent leurs portes au public, mais également pour rendre compte de l’existence de nombreuses collections privées65. Force est portant de constater que, si les musées ont fait

l’objet de plusieurs études, le collectionnement privé a reçu beaucoup moins d’attention. Lorsque les collectionneurs apparaissent, c’est pour souligner le rôle considérable qu’ils ont joué dans la fondation et le développement de musées66. Et il est exact de dire qu’ils ont non

seulement mis sur pied des musées mais ont aussi contribué, par leur donation, à alimenter les collections muséales. Mais cette subordination de l’étude de l’activité des collectionneurs à celle de la création des musées en donne une compréhension partielle et limitée, car la pratique de collectionnement individuelle est un phénomène complexe et autonomisé, comme cette thèse le montrera. Le collectionnement privé devance la fondation des musées et a continué de connaître après leur avènement un développement propre, quoique les deux phénomènes s’alimentent en partie comme nous le verrons aussi.

65 Laurier Lacroix, Les collections muséales au Québec, Site de la Société des musées québécois, En ligne, http://www.smq.qc.ca (Page consultée le 4 mars 2013)

66 On pense notamment à l’activité dans ce sens déployée par les membres de la Société d’archéologie et de numismatique de Montréal, de la Natural History Society of Montreal ou encore de l’Art Association.

Dès les tout débuts de l’exploration de l’Amérique, les singularités du Nouveau Monde attirent l’intérêt des collectionneurs européens. Au XVIIe et au XVIIIe siècles, des artefacts

amérindiens ainsi que des spécimens de sciences botaniques, zoologiques et minéralogiques nourrissent les collections métropolitaines, en France, d’abord, puis en Angleterre. Ils intégreront les cabinets à titre de raretés ou de curiosités exotiques. C’est le cas notamment de la peau de castor, de la feuille de tabac et de l’épi de maïs, qui se côtoieront dans les cabinets de curiosités avant de devenir des objets utilitaires ou de consommation courante67. Peu à peu,

des collections sont également constituées en Amérique même. En effet, quelques membres de l’élite coloniale forment et conservent des collections sur le territoire. La plupart concernent l’histoire naturelle, mais certaines comprennent des œuvres d’art qui ornent des intérieurs domestiques68.

Au XIXe siècle, la popularité du collectionnement privé croît considérablement, comme en

témoigne la croissance du nombre de membres des sociétés savantes. Certes, tous ces sociétaires ne sont pas collectionneurs, mais quelques études réalisées sur les sociétés savantes, ou sur les collectionneurs privés, montrent que leur présence était assez importante et leur activité assez soutenue pour qu’il soit possible d’affirmer que nous sommes en présence

67 Ibid.; Claire Marcil, « Les sciences naturelles au Québec : la persistance d’un engouement », Revue d’histoire

de la culture matérielle, 39 (printemps 1994), p. 50.

68 Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec. De la Nouvelle-France

à nos jours, Montréal, Boréal, 2008, p. 41-73; Laurier Lacroix, Les collections muséales au Québec, Site de la

Société des musées québécois, En ligne, http://www.smq.qc.ca (Page consultée le 4 mars 2013); Marcil, op. cit., p. 50; Pierre-Olivier Ouellet, « Circulation, usages et fonctions des objets d'art par les civils et les militaires en Nouvelle-France », thèse (histoire de l’art), Rennes 2, 2013; Pierre-Olivier Ouellet, « Nature des œuvres d'art dans les intérieurs domestiques en Nouvelle-France : étude quantitative et statistique », Revue de Bibliothèque et

d’un phénomène socioculturel. Parmi les ouvrages69 qui ont permis de considérer le

collectionnement privé à Montréal au XIXe siècle en tant qu’objet d’étude, soulignons d’abord

le travail d’envergure réalisé par Janet M. Brooke sur un important corpus de collectionneurs d’art montréalais. Publié sous la forme d’un catalogue d’exposition, l’ouvrage de Brooke démontre l’importance des collectionneurs privés, non seulement comme fondateurs du Musée des beaux-arts de Montréal, mais également de ses collections, qu’ils ont contribué à enrichir par leurs dons70. À propos des collectionneurs d’œuvres d’art encore, il faut souligner le

mémoire d’Alena M. Buis qui présente une étude critique du connoisseurship à travers le collectionnement d’Edward Black Greenshields71. L’auteure explore la nature de

l’engagement de Greenshields vis-à-vis de l’École de La Haye – son collectionnement ainsi que la publication de deux ouvrages critiques sur le sujet – et montre l’influence qu’il a eue dans la réception du travail de ces artistes au Canada. À travers l’étude de la formation et du démantèlement de la collection de Lord Strathcona, Alexandria Pierce explore quant à elle les thèmes de l’impérialisme, des relations coloniales et du statut culturel72. Selon Pierce, la

collection d’œuvres d’art a aidé Strathcona à asseoir sa position parmi l’élite impériale au cours des années où il s’est impliqué dans l’Art Association de Montréal.

David Ross McCord a, pour sa part, fait l’objet de plus d’une étude. La personnalité du collectionneur, le fait qu’il soit à l’origine du Musée McCord et l’imposante documentation

69 L’étude de Nathalie Hamel « Collectionner les “monuments” du passé. La pratique antiquaire de Jacques Viger », Revue d’histoire de l’Amérique française, 59, 1-2 (été-automne 2005), p. 73-94.

70 Janet M. Brooke, Discerning Tastes: Montreal Collectors, 1880-1920, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1989, 254 pages.

71 Alena M. Buis, « Ut pictura poesis: Edward Black Greenshields' Collection of Hague School Paintings», mémoire (Art History), Université Concordia, 2008, 154 pages.

72 Alexandria Pierce, « Imperialist Intent - Colonial Response. The Art Collection and Cultural Milieu of Lord Strathcona in Nineteenth-Century Montreal», thèse (Art History and Communication Studies), Université McGill, 2002, 318 pages.

concernant sa pratique qu’il a laissée ne sont sûrement pas étrangers à l’intérêt que les chercheurs lui ont porté. Je me limiterai ici à présenter trois ouvrages. À la reprise de ses activités en 1992, le Musée McCord consacra une exposition au fondateur de l’institution, accompagnée d’un catalogue comportant des articles qui étudient les liens qui relient l’origine du musée et de ses collections à l’histoire de la famille McCord. On comprend comment les objets ont été acquis et transmis d’une génération à l’autre et les motivations qui ont présidé au projet de David Ross McCord73. L’histoire du Musée McCord, écrite quelques années plus

tard par l’historien Brian Young, a permis d’expliciter davantage le travail acharné du collectionneur dans la fondation de son musée, ainsi que de faire ressortir ses motivations74.

Plus récemment, Kathryn Nancy Harvey a exploré la relation entre le musée public, créé par McCord afin de promouvoir une vision collective du passé canadien, et sa pratique privée, caractérisée par les objets qu’il a collectionnés ainsi que par son désir de se souvenir et de s’inscrire dans la mémoire collective75.

Par ailleurs certaines biographies canadiennes ont mis de l’avant des aspects importants du collectionnement de leur sujet76. Soulignons celle de Louis-François-Georges Baby écrite par

Valérie E. Kirkman et Hervé Gagnon. Le juge Baby y est présenté comme un personnage bien de son temps, incarnant, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, un bourgeois canadien-français typique. Le chapitre trois de l’ouvrage, consacré à l’homme de culture qu’il était, présente son intérêt pour l’histoire, sa passion de collectionneur et son œuvre au sein de

73 Pamela Miller, dir., La famille McCord. Une vision passionnée, Montréal, Musée McCord d’histoire canadienne, 1992, 143 pages.

74 Young, op. cit.

75 Kathryn Nancy Harvey, « David Ross McCord (1844-1930): Imagining a Self, Imagining a Nation », thèse (histoire), Université McGill, 2006, 340 pages.

la Société d’Archéologie et de Numismatique de Montréal qui mena à la fondation du musée du Château Ramezay77.

77 Valerie E. Kirkman et Hervé Gagnon, Louis-François-George Baby. Un bourgeois canadien-français du XIXe