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Développement du capital émotionnel et une approche de la psychologie positive

Le capital émotionnel s’inscrit dans les courants de pensée eudémoniste de l’économie du bien-être ou de l’économie du bonheur et de la psycholo- gie positive. Son développement peut être favorisé par des outils d’appren- tissage et thérapeutique de la psychologie positive (comme le Mindfulness, l’Acceptance and Commitment erapy...).

Le capital émotionnel : une approche holiste, macro, méso et micro de l’économie du bien-être

D’approches macro et méso, le capital émotionnel s’intéresse aussi à la dimension micro, particulièrement à la dotation des personnes en compé- tences émotionnelles, capital participant de leur résilience, de leur flexibi- lité, de leur capacité à s’adapter, à changer pour une meilleure qualité de vie : vers l’apprentissage du bonheur. Défini dans des travaux précédents, le capi- tal émotionnel (Gendron, ) est « l’ensemble des ressources — renvoyant

aux compétences émotionnelles — inhérentes à la personne, utiles au dévelop- pement personnel, professionnel et organisationnel... et participent à la cohé- sion sociale, au bien-être et à la réussite économique et sociale ». Ce concept,

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primé à l’Académie française en , prend naissance dans l’incomplétude de la mesure du « Capital humain » tel que proposé dans le modèle de Becker () et utilisé dans l’appréhension économique de l’investissement en santé. Il réfère à la notion de capital dans le sens communément admis en économie, à savoir on définit le capital de manière équivalente à un actif, à un patrimoine susceptible de procurer un revenu, un rendement, une richesse. De manière générale, il est une ressource dans laquelle on peut investir, qu’il est possible d’accumuler et qu’on peut utiliser pour engendrer un flux d’avantages dans le futur. Il relève du capital humain dans un sens large qui recouvre différents types d’investissement (e.g., éducation, santé, mobilité) et renvoie à de l’investissement en capital humain se définissant comme toute activité qui améliore la qualité, la productivité et la capacité productive de la main-d’œuvre.

Cependant, il se distingue du « capital humain » tel que mesuré par Becker () qui renvoie aux formes de capacités intellectuelles (savoirs) et techniques (savoir-faire) puisque le capital émotionnel renvoie au savoir- être et aux compétences qui en découlent, appelées compétences psycho- sociales, ou encore compétences émotionnelles selon le modèle de Gole- man et Cherniss (). Issues d’apprentissages précoces, formels ou infor- mels et se développant tout au long des expériences de vie, les compétences émotionnelles constitutives du capital émotionnel se distinguent des com- pétences et de la connaissance traditionnellement prises en compte dans le modèle de Becker. Elles demeurent encore aujourd’hui mal reconnues ou non considérées à leur juste valeur autant dans le domaine des ressources humaines que dans le champ de l’éducation ou de la formation du fait que leur production échappe à la mesure et en cela le concept et modèle du capi- tal émotionnel vient répondre à cette incomplétude pour considérer à part entière ces compétences. Nous référons entre autres aux compétences émo- tionnelles décrites dans le modèle d’intelligence émotionnelle de Goleman et Cherniss () déclinée en un ensemble de compétences émotionnelles personnelles et sociales. Les premières regroupent l’auto-évaluation (capa- cité à comprendre ses émotions, à reconnaître leur influence et à les utiliser pour guider les décisions : connaissance de soi, estime de soi et confiance en soi...) et l’autorégulation (maîtrise de ses émotions et impulsions et capacité à s’adapter à l’évolution des situations : contrôle de soi, authenticité, diligence, adaptabilité, initiative...). Les secondes englobent la gestion des relations (capacité à inspirer et à influencer les autres tout en favorisant leur dévelop- pement et à gérer les conflits : savoir communiquer, savoir aider les autres

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dans leur développement, gérer des conflits, initier le changement, travailler en équipe...) et sous le terme « conscience sociale », la capacité à détecter et à comprendre les émotions d’autrui et à y réagir (empathie, être au service des autres...). Ces compétences psychosociales font partie des compétences de base utiles au développement sain et équilibré des personnes dont les retom- bées à la fois sur les performances au travail scolaire et professionnel et sur la santé font l’objet de nombreux articles scientifiques ; cependant elles restent encore non prises en compte dans les modèles traditionnels d’économie du capital humain et c’est en cela que le concept de capital émotionnel entend de manière heuristique participer à leur visibilité et à leur évaluation (une première tentative d’évaluation de l’impact des ces compétences du point de vue de la santé peut être rapprochée des travaux sur les compétences sociales et psychosociales qu’évoque Heckman (), prix Nobel en économie, dans son article « Invest in Very Young »).

Le développement du capital émotionnel via l’apprentissage et une approche thérapeutique de la psychologie positive

Partant de l’impact du capital émotionnel sur la performance, le bien-être, le bonheur et plus généralement sur la qualité de vie, comment peut-on le développer ? L’apprentissage et la thérapie de l’acceptation et de l’engagement (ACT) en est un outil possible et intéressant. Ce modèle thérapeutique a été développé entre autres, par, Steve Hayes de l’université du Nevada et Kelly Wilson, de l’université du Mississipi aux États-Unis et de Russ Harris en Aus- tralie. Issu d’une réflexion et d’une recherche scientifique, ce courant, fait partie des thérapies cognitives et comportementales. L’outil ACT s’inscrit dans ces objectifs dans la mesure où il s’adresse à la fois à des personnes en souffrance, en épuisement professionnel mais également à titre préventif, à toutes les personnes, en vue de développer leur capital émotionnel et de définir leurs propres valeurs pour une meilleure qualité de vie ; il peut être développé dans les programmes scolaires en prévention ou dans des inter- ventions cliniques auprès de personne en souffrance. Cet outil forme et par- ticipe au développement du capital émotionnel des personnes, capital qui a des retombées à la fois sur la personne, sur son entourage, au niveau sociétal, social et dans les organisations. Sa démarche s’inscrit dans l’approche de la psychologie positive et du bien-être psychologique ou eudémonique.

En effet, la psychologie positive est une école de pensée qui renvoie aux thèmes de la psychologie humaniste et à une spécialité de la psychologie

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orientée vers le développement personnel et le changement social. Ce cou- rant de la psychologie considère qu’à côté des multiples problèmes et dys- fonctionnements individuels et collectifs s’exprime et se développe toute une vie riche de sens et de potentialités. S’intéressant à ce qui arrime l’individu à sa vie et au monde, ce courant questionne notamment le sens de la vie ou le système de croyances, la philosophie morale en soulignant l’intérêt de l’engagement, ou de l’activité. Précisément, s’intéressant autant aux dimen- sions intra-personnelle, interpersonnelle que sociale, la psychologie posi- tive de Seligman étudie les conditions et processus qui contribuent au bien- être, à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des personnes, des groupes et des institutions. Lecomte propose plusieurs critères pour favori- ser ce bien-être psychologique ou eudémonique (Deci et Ryan, ). Ce bien-être objectif se différencie du bien-être subjectif ou hédonique ; ce der- nier est centré sur l’évaluation subjective de sa vie i.e. degré de satisfaction et le fonctionnement émotionnel (présence d’émotions positives et faible pré- sence d’affects négatifs) à la différence du bonheur eudémonique qui s’inté- resse à l’acceptation de soi, la croissance personnelle, l’autonomie, les rela- tions positives avec autrui, la maîtrise sur son environnement et le sens à la vie ou épanouissement personnel. Aussi, ce bonheur renvoie et nécessite un certain nombre de compétences de base renvoyant au savoir-être qu’il importe d’intégrer dans la mesure du capital humain revisité, réunissant les apports des travaux en santé, en psychologie et en éducation, dont le capital émotionnel en est une tentative conceptuelle économique de sa visualisation pour autoriser sa prise en compte et sa mesure. Le bonheur peut s’apprendre. Il suppose un capital émotionnel ad hoc et sa prise en compte en termes de politiques éducatives et de santé pour œuvrer à une économie du bonheur au sens eudémoniste.

Conclusion

La montée de la souffrance, des dépressions ou encore des suicides dans les sociétés occidentales n’est pas sans questionner les politiques de santé. Mais elle interpelle plus largement les modèles économiques sociétaux dans leur capacité à épanouir l’humain ou encore à permettre le bien-être, et égale- ment, les modèles d’évaluation qui en découlent. En cela, la question de l’éva- luation en santé, du point de vue de l’efficacité de ses interventions, quelles soient de nature médicamenteuse ou non, ne peut pas faire l’économie de

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la réflexion du « Que mesure-t-on ? Pour qui ? Et pourquoi faire ? » et au regard de quelles perspectives ? La santé physique, la santé mentale, le bien- être émotionnel, le bien-être psychologique, le bonheur... ; ce dernier étant censé être la finalité de la croissance économique.

Le rapport Stiglitz et al. (), sur la mesure de la performance écono- mique et du progrès social constitue en cela, une avancée dans la réflexion, entre autres, sur la santé du point de vue du bien-être en proposant une vue d’ensemble du bien-être nécessitant de sortir de l’approche monétaire des comptes nationaux et d’explorer les aspects plus qualitatifs de la qua- lité de vie. Cependant, dans l’évaluation de son efficacité, il rend compte d’une approche du bien-être réduite à sa version hédoniste, le plaisir, ou le bien-être émotionnel. D’autres approches alternatives et complémentaires ouvrant sur une vision eudémonique du bien-être, élargie au bien psycholo- gique, existent et sont soumises aux mêmes préoccupations de la mesure et de leur évaluation. Il en va ainsi des nouvelles approches interdisciplinaires de la santé et l’évaluation de l’efficacité de leurs interventions, entre autres, dans l’approche de l’économie du bien-être dans sa version eudémonique, approchée par le capital humain revisité par le capital émotionnel. Elles sup- posent de nouveaux outils et des protocoles de recherche et de vérification de la preuve singuliers, particuliers et lourds, et souvent difficiles à mettre en œuvre.

Cependant, ces limites et difficultés ne doivent pas être la raison d’un déni ou rejet scientifique des résultats de tels travaux. Bien au contraire, ces dif- ficultés doivent être une occasion pour la science et les sciences humaines et sociales et aux politiques d’une réflexion sur la construction des objets d’études et des moyens mis à disposition pour œuvrer à leur investigation scientifique. Prises entre la complexité des évolutions sanitaires, les apports de disciplines jusqu’alors peu mobilisées ou nouvelles et l’incitation à une « interdisciplinarité », les sciences humaines et sociales dans le champ de la santé, soutenues par le politique peuvent y voir leurs démarches se trans- former. Pour cela, la Science et entre autres, les sciences médicales et les sciences humaines et sociales doivent s’engager dans un exercice de réflexi- vité sur les conditions et les modalités de construction de ses objets qui, loin d’être conçue comme un enfermement disciplinaire, est tout au contraire le préalable pour une rénovation des sciences abordant la question de la santé. Dès l’instant où elles s’interrogent sur la demande (médicale, sociale ou poli- tique), sur les concepts mobilisés par la santé publique et les acteurs du déve- loppement sanitaire, sur la collaboration avec les autres disciplines et sur

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leurs propres méthodes de recherche, les sciences touchant au champ de la santé doivent se doter et se voir dotées de moyens d’aborder de façon origi- nale, aussi bien des objets nouveaux que des objets plus traditionnels « revisi- tés ». Singularité de la démarche qui associe retour sur soi, travail aux marges des autres disciplines, apprentissage de nouveaux protocoles de recherche, de nouveaux outils mais également et surtout, parce que la santé implique le politique, elle doit s’accompagner d’une réflexion sur les paradigmes qui sous-tendent les modèles d’évaluation de son efficacité.

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Points de vue de juristes