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Évolution des approches économiques de santé

Les cadres dominants de la pensée économique en santé

Dans l’histoire des sciences économiques, l’économie de la santé est une discipline récente marquée fortement par la constante augmentation des besoins et dépenses en santé et la nécessité de maîtriser ces dernières. Il est cependant nécessaire de dépasser cette vision réductrice pour comprendre l’ensemble des mécanismes économiques jouant sur le système de santé ainsi que la définition même de la santé en tant qu’objet économique. Classique- ment, l’approche économique de la santé est abordée à partir de deux pers- pectives. Du point de vue macro-économique, la santé est appréhendée à partir des grands équilibres financiers et en termes d’économie politique, selon le principe d’allocation rationnelle des ressources rares. Aussi, la santé est également abordée du point de vue micro-économique par la théorie du capital humain de Becker. Elle suit la même analyse que celle du rôle du capital humain-éducation largement mis en évidence, partant du principe simple que les agents économiques, pour décider de poursuivre ou non leurs études, arbitrent entre la perte de revenus (salaire et frais de scolarisations) qu’ils subissent en poursuivant leurs études pendant une année supplémen- taire et le surcroît de salaire qu’ils pourront retirer une fois rentrés sur le marché de travail (Mincer, ). L’influence positive du capital humain du point de vue de sa composante « éducation » a largement été démontrée dans le processus de croissance à partir des théories de la croissance éco-

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nomique d’un point de vue macro-économique, où l’éducation est assimilée par analogie à un capital physique et toute accumulation supplémentaire des années d’études augmenterait l’efficacité productive et permettrait de soute- nir la croissance, selon les théories de la croissance. En revanche, le capital humain-santé — dans cette optique — a été très peu considéré et mesuré. Les études théoriques et empiriques sont nettement plus rares et plus dispersées. Le manque des données statistiques permettant de mesurer les différentes perceptions de l’état de santé explique cet état de fait.

Mais, elle reflète plus généralement l’intérêt disproportionné et tronqué qui a été porté sur les investissements éducatifs limités aux savoirs et savoir- faire, parce que la relation de ces derniers avec la croissance du revenu reste plus facile à mesurer. Pourtant, bon nombre de travaux montre que l’acti- vité économique de tout individu est substantiellement influencée par sa condition physique et mentale ; entre autres, la relation positive, entre la santé d’un individu et sa productivité est validée empiriquement. En effet, dans la mesure où une corrélation positive existe entre éducation et pro- ductivité (Rosenzweig, ) entre santé et productivité (omas et Strauss, ), et sachant que l’amélioration de l’état de santé renforce l’acquisition des connaissances et accroît les performances éducatives, alors les gains qui résulteraient de l’investissement dans la santé au sens de l’O.M.S. seraient cer- tainement démultipliés. Il en va ainsi déjà des travaux sur la santé mentale ou émotionnelle. Appliquée à la santé s’intéressant au bien-être cette défini- tion permet de dépasser le problème de la simple maîtrise et contention des dépenses de soins maladie pour poser celui plus large de la place de la santé, du bien-être et de ses compétences sous-jacentes, dans la société et permet par là aux champs de la santé et de l’éducation d’être rapprochés à partir des compétences psychosociales renvoyant aux savoir-être.

Dès lors, si on suppose l’existence d’un certain nombre de variables expli- catives qui déterminent la croissance économique et sur lesquels la santé pourrait agir, alors cette dernière influencerait également la productivité de manière indirecte à travers ces variables. Mais déjà, l’éducation définie dans son sens commun ou dans une acception non réduite aux savoirs scolaires mais renvoyant à l’ensemble des activités qui servent à l’épanouissement et au développement des personnes, incluant les compétences psychosociales, comportementales ou encore appelées émotionnelles, permet d’approcher de rapprocher éducation et santé pour une mesure élargie du capital humain incluant des dimensions de la santé considérées dans ce chapitre.

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... et leur évolution au regard du mal-être grandissant dans les sociétés occidentales

La montée du mal-être dans les sociétés occidentales, se manifestant par une montée de la violence sur autrui ou sur soi, ou encore par une augmen- tation des risques psycho-sociaux, préoccupent désormais les politiques et interroge les modèles sociétaux, politiques mais aussi économiques de santé et leurs efficacités. Il en va ainsi des réflexions et travaux menés sur l’écono- mie de la santé et du bien-être et l’économie du bonheur où la notion de santé est étendue et entendue dans le sens de l’O.M.S. () d’un « état complet de bien-être physique, mental et social et qui ne consiste pas seulement à une absence de maladie ou d’infirmité ». Provenant d’un tournant cognitiviste et comportemental en économie, l’approche de l’économie de la santé, éten- due à l’économie du bien-être et du bonheur dans une perspective eudémo- niste, a une visée positive de compréhension et d’interventions. En effet, au- delà du bien-être et du bonheur tel que définit par les hédonistes, dans l’ap- proche eudémoniste du bonheur, il s’agit également de réaliser le potentiel humain, de développer ses compétences, de se lancer des défis et d’essayer de les réussir, d’être en accord avec son propre soi, ses propres valeurs pour un développement équilibré, sain et épanouissant (Peterson et al.,  ; Shel- don et al., ). Le capital émotionnel s’inscrit dans ces courants de pensée eudémoniste de l’économie de l’éducation et de la santé au sens large et de la psychologie positive que nous développerons plus loin.

Vers des modèles d’approche interdisciplinaire

L’évaluation de l’inefficacité des programmes d’interventions en matière de prévention des conduites à risque menés à l’étranger ou encore la montée en puissance du mal-être chez les jeunes, comme chez les travailleurs et leurs manifestations violentes sur soi et/ou sur les autres (agressivités, incivilités, suicides...) ont amené à reconsidérer la place de l’humain dans les formations comme dans le management et donc à réfléchir à de nouveaux modes d’ap- proches théoriques et pratiques d’interventions et à une réflexion plus élar- gie sur nos modèles sociétaux et économiques : pour et vers une meilleure qualité de vie et une économie du bonheur. Aussi, un ensemble de travaux manifeste cette tendance du point de vue des compétences nécessaires à la personne pour son développement équilibré pour autoriser un mieux vivre ensemble. Il s’agit de l’ensemble des compétences émotionnelles qui consti-

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tue le capital émotionnel de la personne qui importe pour et dans le dévelop- pement personnel, professionnel et organisationnel. Selon Gendron (), aux savoir et savoir-faire, il importe de considérer et d’ajouter le savoir-être pour « être compétent » (dans sa vie) et permettre un développement équili- bré et harmonieux. Les travaux sur le capital émotionnel et le développement des compétences émotionnelles qui y sont associées rendent compte de cette prise en considération et le retour de la place de la formation de l’humain dans l’éducation. D’un point de vue théorique, cette approche s’inscrit dans les nouvelles approches de l’économie de la santé et du bien-être, étendue à celle du bonheur, particulièrement celle de l’eudémonie.

D’approche interdisciplinaire, le capital émotionnel articulant économie, sociologie, psychologie discute les critères utilisés pour définir et mesurer l’économie du bonheur qui ne se confond pas avec l’économie du bien-être « subjectif » ou hédoniste mais renvoie à la définition d’un bien-être objec- tif au sens de la psychologie positive de Seligman. Aussi, d’un point de vue clinique, un certain nombre de programmes d’intervention et d’autres plus ciblés sur la santé et le traitement et la prévention des conduites à risque, tel que le traitement non médicamenteux de l’anxiété de perfor- mance, la gestion du stress... commence à se développer en France dans cette approche pluridisciplinaire. Il en va ainsi des programmes d’intervention à l’articulation de la santé et de l’éducation, tels que l’éducation à la pleine conscience (« Mindfulness » en anglais), ou encore les thérapies de l’accep- tation et l’engagement (« ACT » Acceptance and Commitment erapy, en anglais — ACT)... qui participent au développement des compétences émo- tionnelles, démarches s’inscrivant dans l’approche de la psychologie positive de Seligman () et du bien-être psychologique ou eudémonique. Enfin, si ces approches interdisciplinaires amènent à repenser les modèles d’évalua- tion de l’efficacité des interventions en santé à l’aune de nouveaux outils com- binant des indicateurs objectifs et subjectifs et des données quantitatives et qualitatives, elles sont surtout une avancée pour questionner les paradigmes économiques en place sous-tendant les modèles d’évaluation.

Approche eudémoniste de l’économie du bien-être

et capital émotionnel

Les recherches sur le bonheur en psychologie et en économie au sujet du bonheur ouvrent des espaces d’interrogation et d’actions nouvelles. Si

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l’approche hédoniste de l’économie domine la recherche sur le bien-être, un courant alternatif s’interroge actuellement davantage sur la vraie significa- tion de l’être humain, et sur les facteurs qui favorisent le bien-être. Il en va ainsi de l’approche eudémoniste de l’économie du bonheur et du capital émotionnel qui s’y rattache.

Économie du bien-être et eudémonie

Les théories hédonistes de la psychologie et l’économie du bien-être au sens de Kaheman visent le plaisir, les récompenses et le rendement comme si tels étaient les moteurs premiers de l’activité humaine. Dans cette approche, le bien-être est décrit comme un plaisir, une satisfaction ou un bonheur sub- jectif et la recherche du plaisir est considérée comme le principe qui motive l’activité humaine. Il est associé au bien-être émotionnel pouvant être défini comme la prévalence d’émotions jugées chez la personne agréables par rap- port aux émotions désagréables et accompagné d’un sentiment de satisfac- tion. Cependant, cette approche laisse de côté les questions concernant la signification de la vie, l’essence de la nature humaine et les buts plus profonds que le plaisir personnel. Si cette approche hédoniste constitue le courant de pensée qui domine la recherche sur le bien-être, il existe un courant alter- natif qui conçoit le bien-être comme plus complexe que le seul plaisir, qui s’interroge davantage sur la vraie signification de l’être humain, qui tente de chercher plus en profondeur et de trouver les facteurs contextuels et cultu- rels qui favorisent le bien-être : la psychologie positive et l’approche eudé- moniste de l’économie du bonheur. Le développement du capital émotion- nel s’inscrit dans ce nouveau courant de pensée eudémoniste de l’économie du bonheur et de la psychologie positive. Il renvoie au concept de bien-être dans une approche eudémonique qualifié de bien-être psychologique ren- voyant au fait de vivre en concordance avec soi-même et ses valeurs, à la réalisation de son plein potentiel, son besoin d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale (Waterman,  ; Deci et Ryan, ).

Dans cette mouvance, on peut inscrire l’ouvrage Le Prix du bonheur :

Leçons d’une science nouvelle, de Layard, économiste à la London School

of Economics qui dénonce le fait que sa discipline assimile l’évolution du bonheur dans une société à celle du pouvoir d’achat. Selon cet auteur, « le bonheur devrait être l’objectif de toute politique publique, et le progrès du bonheur national mesuré et analysé aussi minutieusement que la croissance du P.N.B. ». Il affirme par ailleurs que l’économie « pourrait nous être d’une

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grande utilité si elle prenait en compte les découvertes de la psychologie moderne ». Mais déjà en , l’économiste Irving Fischer, dans son ouvrage sur la théorie de l’intérêt écrivait :

Income is a series of events (enjoyment income, real income, money income)... Enjoyment income or psychic income, [...] consisting of agreeable sensations and experiences [...] which constitute the most fundamental income for individual is a psychological entity and cannot be measured directly. (Part I, chapter I, Income and Capital)

En effet, les recherches sur le bonheur et la psychologie au sujet du bonheur ouvrent des espaces d’interrogation et d’actions nouvelles : « le sentiment

de bien-être ne dépend plus de la richesse, dès lors qu’un niveau de vie cor- rect est atteint mais de multiples autres facteurs, en particulier les relations humaines ». Layard () souligne comme d’autres chercheurs en psycho-

logie et management que l’amélioration de la performance économique ne se traduisait pas par l’augmentation du bien-être et montre que les mala- dies mentales sont une source majeure du mal-être dans nos sociétés. Ces recherches mettent en avant les sources de satisfaction durables : vie fami- liale, loisirs, liens d’amitié, et la satisfaction liée au travail. D’autres travaux ont suivi. Entre autres ceux de Wilkinson () qui s’intéressent aux inéga- lités sociales et soulignent les conséquences mortelles du déficit du bonheur qui montrent du point de vue du travail que le fait d’accomplir un travail stressant et peu respecté, ajouté au sentiment d’être incapable de contrôler sa vie, peut amener à « tuer » — littéralement.

Ces différents travaux interrogent le comportement de l’individu et la théorie du sujet. D’ailleurs, une théorie sur le sujet devrait comporter des composantes claires au point de vue comportemental, psychologique et phy- siologique, composantes qui pourraient servir à décrire le bien-être non sim- plement par l’absence de psychopathologie, mais plutôt par la présence de manifestations positives d’un bon fonctionnement. Selon lui, le bien-être est possible pour tous et implique des éléments aussi divers que manger, dormir, avoir des relations interpersonnelles, un certain contrôle sur sa vie, une existence satisfaisante et une bonne santé physique et mentale. Dans cette façon de penser, les processus susceptibles de conduire au bien-être consistent à créer de bonnes relations d’attachement, à acquérir des habi- letés appropriées à son âge dans le domaine de la cognition, des relations interpersonnelles et de l’adaptation de même qu’à vivre dans des milieux qui favorisent le bien-être et le sentiment d’une certaine maîtrise sur sa vie,

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nécessitant des compétences renvoyant au capital émotionnel. Cette concep- tion du bien-être renvoie à l’eudémonie qui recherche précisément ce qui est « fondamentalement bon » pour la nature humaine et les besoins psycholo- giques qui stimulent le développement de l’humain et dont la satisfaction procure l’éveil, la vitalité et la créativité.

L’eudémonie, (du grec eudaimonia, le bon état d’esprit) pose comme principe que le bonheur, en tant que réalisation de soi est le but de la vie humaine et que la raison y concourt. Cette définition s’inspire d’Aristote, Épicure, Montaigne et Spinoza, doctrine qui rejoint l’approche actuelle de la psychologie positive. Pour Aristote, le bonheur est un principe, il est donc légitime, et c’est pour l’atteindre que nous accomplissons tous les autres actes. Dans la poursuite du bonheur, en effet, les efforts d’un individu ne visent pas et n’atteignent pas nécessairement la réalisation de soi, ou du soi seul. Ryff et Singer () soutiennent, eux aussi, une définition du bien-être qui dépasse les concepts de bonheur et d’hédonisme et qui va aussi dans le sens de l’eu- démonie. Ils définissent le bien-être à l’aide de six dimensions principales renvoyant entre autres à Rogers, Jung, Maslow : un certain contrôle de son milieu, des relations positives, l’autonomie, la croissance personnelle, l’ac- ceptation de soi et le sens à la vie. C’est selon la définition qu’elles donnent au bien-être et selon l’idée qu’elles se font de la réalisation optimale de l’être humain que diffèrent principalement les perspectives sur le sujet et en consé- quence et entre autres, de son management et son éducation et de son trai- tement en termes de politiques de santé et d’interventions. L’issue du débat entre ces deux orientations (hédonique et eudémonisme) en économie est d’une importance primordiale pour la psychologie, le management, les poli- tiques de santé et plus largement pour une conception de la société et de son modèle économique et sociétal.

Capital émotionnel et eudémonisme

Le capital émotionnel s’appuie sur cette conception du bonheur au sens de l’eudémonie. Il part d’une conception et approche élargie de l’économie et rejoint la critique adressée par Sen () qui reprochait aux économistes utilitaristes de s’éloigner à la fois d’un ancrage psychologique et de la réa- lité des débats politiques. Cette conception de l’économie du bonheur s’ap- puie sur les résultats de la psychologie et des sciences cognitives. D’approche interdisciplinaire, le capital émotionnel articulant économie, sociologie, psy- chologie discute les critères utilisés pour définir et mesurer l’économie du

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bonheur qui ne se confond pas avec l’économie du bien-être « subjectif » et qui se distingue de la définition d’un bien-être objectif au sens de la psy- chologie positive de Seligman. En effet, l’essoufflement présumé de l’écono- mie du bien-être s’expliquerait en partie par les choix épistémologiques de la discipline, qui ont limité la portée opérationnelle et normative du concept d’utilité.

L’économie utilitariste classique en se contentant d’étudier les préférences révélées, et adoptant le principe d’utilité ordinale a conduit les économistes à retenir le critère de Pareto : l’optimum est atteint dès qu’on ne peut augmenter

le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre. Ce qui comme cri-

tère favorise le statu quo et limite le nombre de cas où l’économiste peut pro- poser des interventions et recommandations politiques en terme de redis- tribution. Pour permettre et œuvrer à une économie du bonheur au sens de l’eudémonisme, le capital émotionnel soutient et amène à suggérer des politiques et des actions et interventions en santé au sens de Layard (), pour « changer la nature humaine » et, dans une formulation plus écono- mique, pour « changer la fonction d’utilité elle-même » ; ceci comme le sug- gère Layard () par le développement de jeux coopératifs et par l’éduca- tion. C’est le parti pris du modèle du capital émotionnel du point de vue de l’éducation, modèle qui redéfinit, pour une économie du bonheur, la fonc- tion d’utilité par une fonction de satisfaction « revisitée » intégrant l’Autre — la satisfaction de l’individu étant une fonction de « Son bonheur et celui d’Autrui » (nos bonheurs — contrairement aux plaisirs — n’étant pas indé- pendants). Cette fonction revisitée s’appuie sur le principe éthique téléolo- gique (du grec, « teleos » renvoyant à la finalité ou au but) des décisions col- lectives : un eudémonisme social (Gendron, ) qui se distingue du prin- cipe éthique déontologique — du grec « déon » : ce qui convient de faire ou ne pas faire —, principe qui prévaut dans les modèles de l’économie tradi- tionnelle. Nous ne développerons pas ce point ici, pour nous focaliser sur la partie « actions » « éducation à la santé » montrant en quoi, la conception de l’économie de la santé et a fortiori de l’économie du bonheur impacte les comportements et mode d’actions et de management dans la sphère écono- mique et interpelle la santé et l’éducation pour un apprentissage du bonheur. Il en va ainsi du management des ressources humaines et de l’éducation en général et du soutien en termes de politique de santé et d’éducation.

En effet, à l’analyse de deux différentes perspectives (hédonisme ou eudé-