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Chapitre 5 : Discussion

5.1 Discussion des résultats en lien avec les trois objectifs de l’étude

5.1.2 Les déterminants du comportement

La réalisation de la phase B de l’étude a permis de répondre à l’objectif 2. Les résultats de cette phase nous ont permis d’identifier des variables psychosociales déterminantes de l’intention et du comportement d’audit de l’HDM des soignants par les patients. Tout d’abord, en ce qui a trait à l’intention, l’analyse univariée a démontré que l’attitude, la norme morale et la perception du contrôle comportemental étaient des variables modérément ou fortement corrélées avec l’intention d’effectuer le comportement. Seul le regret anticipé ne l’était pas, c’est- à-dire qu’il n’avait pas d’influence sur la motivation des patients à procéder à l’audit. Au contraire, plus l’attitude du patient envers le comportement était favorable; plus le patient percevait un devoir moral de réaliser le comportement et; plus il se sentait en contrôle du comportement, plus il était enclin à l’exécuter. Cependant, lors de l’analyse multivariée, nous avons constaté que l’attitude n’avait pas d’influence réelle sur l’intention, et que c’était plutôt la norme morale et la perception du contrôle comportemental qui avaient une influence, en expliquant 86 % de la variabilité de l’intention des patients de réaliser le comportement d’audit (p<0,001; R2=

86%). Ces résultats sont congruents avec les relations entre les variables psychosociales prédites par le Modèle intégrateur de Godin[164], c’est-à-dire que, selon le modèle, la norme morale et la perception du contrôle comportemental peuvent avoir une influence directe sur l’intention comportementale (déterminants directs). Par rapport à la relation entre l’intention et le comportement, une corrélation positive de magnitude modérée a été observée entre le score de l’intention et la fréquence du comportement d’audit. Par contre, contrairement à ce qui était attendu, cette corrélation n’a pas atteint un niveau statistiquement significatif (r=0,39; p=0.091).

Premièrement, nous émettons l’hypothèse que le petit échantillon (n=21) ait pu contribuer à ce manque de puissance statistique. En utiliant un échantillon plus grand, nous aurions probablement pu constater une corrélation significative entre l’intention et la fréquence du comportement d’audit, tel que le prédit le Modèle intégrateur de Godin[164], la Théorie du comportement planifié [164, 175] et d’autres théories sociales cognitives[164].

Deuxièmement, dans l’ensemble de l’étude, notons que des 39 patients formés pour réaliser l’audit, 32 ont effectué le comportement et un seul ne l’a pas fait. Parmi les cinq autres patients, quatre ont obtenu leur congé médical avant la fin de leur période d’audit de 24h et pour l’autre, ses données d’observation ont été perdues. Donc, nous n’avons pas d’information à savoir si ces cinq patients auraient réalisé ou non le comportement. Il

pourrait être conclu que l’intention a été capable de prédire la mise en œuvre du comportement, mais non la fréquence avec laquelle il a été réalisé.

Troisièmement, il est important de mentionner que selon plusieurs méta-analyses, l’intention permettrait d’expliquer qu’environ 31 % de la variance d’un comportement associé à la santé[164]. Cet écart est principalement expliqué par le fait que même si les individus sont motivés à réaliser un comportement, certains ne réussiront pas à le mettre à exécution, puisque d’autres facteurs, qui ne sont pas sous le contrôle volontaire de l’individu, entrent en ligne de compte et rendent l’exécution du comportement difficile, voire impossible[164]. Effectivement, nous avons constaté que même si les patients étaient motivés à réaliser l’audit de l’HDM des soignants tel que le démontre les analyses descriptives suite à l’administration du questionnaire 1 (intention moyenne à 4,6 sur 5), la fréquence du comportement était très variable d’un patient à l’autre. À la phase B de l’étude, lorsque nous avons questionné les patients concernant les barrières perçues à l’audit de l’HDM des soignants, des contraintes relatives à l’environnement physique ont été exprimées (ne pas voir dans le corridor ou l’entrée de la chambre, la présence de rideaux séparateurs fermés, les distributeurs de SHA non visibles par le patient dans la zone-patient, la noirceur en fin de journée ou même le fait de ne pas être dans la zone-patient). Des facteurs relatifs à l’exécution de l’HDM par les soignants ont aussi été exprimés (les soignants réalisent l’HDM au corridor ou portent des gants, va-et-vient rapides des soignants dans la chambre) et ont également rendu difficile — voire impossible — de réaliser le comportement d’audit par les patients. D’autres contraintes ont aussi été mentionnées comme le fait d’être couché dans le lit, ou encore que la mine du crayon était brisée. Ainsi, tous ces facteurs ont pu contribuer à causer un écart entre l’intention comportementale et la fréquence à laquelle le comportement a été effectué. Comme il s’agit d’une première étude à examiner ce comportement à l’aide d’un modèle théorique issu de la psychologie sociale, nos données font ressortir des éléments très importants à être considérés dans des études futures [164].

Même si l’âge n’a pas été identifié comme facteur lié au comportement, le niveau de scolarité, lui, a été identifié comme un déterminant de la fréquence du comportement. En effet, le niveau de scolarité a expliqué 50 % de la variabilité de la fréquence du comportement (p= 0.002 ; R2= 50 %), c’est-à-dire que plus le niveau de scolarité

des patients était élevé, plus ils ont réalisé un nombre important d’observations d’HDM. Ce résultat est congruent avec la littérature. En effet, dans le Modèle intégrateur de Godin, le niveau de scolarité a été identifié comme étant une variable externe (faisant partie des variables personnelles) ayant la capacité d’exercer une influence sur les cognitions, qui elles, prédisent le comportement[164].

comportementale (en valorisant la norme morale et en renforçant la perception du contrôle comportemental) et 2) qu’elles soient plus efficaces pour augmenter la fréquence du comportement d’audit chez les patients (en adaptant les interventions pour les patients détenant un plus faible niveau de scolarité, puisqu’ils semblent avoir davantage de difficulté à exécuter le comportement d’audit). Par exemple, la formation théorique et pratique, ainsi que les fiches d’observations de l’HDM destinés aux patients pourraient être adaptées en fonction du niveau de scolarité des patients. De plus, même si dans la présente étude pilote l’intention comportementale n’a pas été identifiée de façon statistiquement significative comme un déterminant du comportement d’audit, les futures interventions auprès des patients-auditeurs pourraient miser sur l’activation des intentions pour favoriser la fréquence du comportement chez les patients. Enfin, un autre apport intéressant de cette étude concerne le nouveau questionnaire mesurant les variables psychosociales déterminantes du comportement d’audit de l’HDM des soignants par les patients, spécialement développé et validé pour répondre à l’objectif 2. Concrètement, ce questionnaire pourrait servir de modèle pour utilisation dans les futures études similaires ou pourrait être adapté aux besoins selon le contexte et la population cible.

5.1.3 Le vécu de l’expérience des patients-auditeurs

La réalisation de la phase B de l’étude a également permis de répondre à l’objectif 3. Les résultats de cette phase suggèrent que globalement, les patients ont vécu une expérience très positive de leur participation à l’audit de l’HDM des soignants. En fait, dans l’ensemble de l’étude, 94 % des patients ont rapporté avoir vécu une expérience générale positive à titre de patient-observateur. Les résultats plus spécifiques relatifs au vécu de l’expérience des patients-auditeurs, issus de la phase B de l’étude, vont dans le même sens. Entre autres, la grande majorité des patients ont trouvé l’audit facile à réaliser. Certains ont même pu identifier des facteurs facilitants et des barrières à l’observation de l’HDM des soignants. Notons que les barrières les plus souvent exprimées par les patients-observateurs, soit près de 50 % des réponses mentionnées, sont le fait de ne pas voir dans le corridor ou ne pas voir l’entrée de la chambre. De plus, la grande majorité des patients se sont senti à l’aise d’évaluer les soignants. Ce constat est congruent avec les études de Kim et ses collaborateurs[158] et de Davis et collaborateurs[108] qui ont découvert que les méthodes indirectes de rétroaction des pratiques d’HDM par les patients (comme l’utilisation d’aides visuelles, de cartes et de fiches d’évaluations de l’HDM) sont davantage préférées par les patients que les méthodes de rétroaction verbale directe aux soignants. Fait intéressant, même si la presque totalité des patients (95 %) ont observé au moins une pratique d’HDM non conforme par l’un de leurs soignants, une grande majorité (85 %) des patients ont affirmé que leur participation n’avait pas modifié leur impression de la qualité des soins reçus ou qu’ils percevaient maintenant que les soins étaient de meilleure qualité comparativement à avant le début de l’étude. Tel que décrit également dans les travaux du Joint Commission[28], il est possible que les patients dans la présente étude, même s’ils ont observé

engagement de l’établissement de soins à promouvoir les bonnes pratiques d’HDM des soignants. De plus, même si la presque totalité des patients ont observé au moins une pratique d’HDM non conforme, la totalité des patients ont affirmé que leur participation n’avait pas modifié leur relation avec leur soignant ou ont affirmé que leur relation avec eux était meilleure qu’avant le début de l’étude. Cependant, bien que la majorité des patients n’étaient pas anxieux d’avoir observé un manquement à la pratique, une proportion des patients se sont dit tout de même un peu anxieux ou moyennement anxieux et ce, malgré le fait qu’il leur avait été mentionné au cours de la formation pratique qu’une HDM non visualisée par le patient n’était pas nécessairement synonyme de mauvaise pratique (puisque l’HDM du soignant au moment 1 a pu être réalisée au corridor, hors de la vue du patient). Cela indique qu’il est important, dans les recherches futures, de poursuivre l’investigation de cet aspect du vécu de l’expérience des patients-auditeurs de l’HDM, afin de mieux documenter cette tendance et pour s’assurer que la participation de patients-observateurs n’entraîne pas d’impacts négatifs sur les patients. Malgré tout, 90 % des patients ont mentionné qu’ils accepteraient de participer à nouveau à ce type d’étude lors d’une prochaine hospitalisation. Les résultats suggérant que les patients-observateurs de l’HDM ont vécu une expérience globale très positive suite à leur participation, fait contraste avec certaines hypothèses d’auteurs émises antérieurement, étant que l’observation pourrait entraîner un impact négatif sur la relation patient- soignant[3, 108, 110-112] ou que les patients pourraient ne pas se sentir à l’aise dans leur rôle d’observateur[3]. Enfin, le fait qu’une forte proportion des patients ayant vécu une expérience générale positive aient mentionné avoir apprécié l’expérience ou qu’ils considéraient important de faire participer les patients pour améliorer l’HDM et améliorer la sécurité des patients, nous indique qu’une certaine catégorie de patients hospitalisés semblent prêts à assumer un rôle élargi dans leurs soins de santé, un rôle de patient-partenaire[115, 116, 140, 141]. Il est difficile de comparer le vécu de l’expérience des patients-observateurs de l’HDM des soignants dans notre étude avec le vécu des patients-observateurs antérieurement décrit dans la littérature, puisqu’aucune étude antérieure, à notre connaissance, a systématiquement mesuré cet aspect auprès d’une clientèle de patients hospitalisés à l’aide d’un outil de mesure fidèle et valide spécifiquement conçu à cet effet [113, 143, 161-163]. Il est tout de même intéressant de souligner que dans les études de Bittle et Lamarche[162] et de Le-Abuyen et ses collaborateurs[163], dans lesquelles les patients qui se présentaient en clinique externe étaient invités à observer l’HDM de leur soignant lors de leur consultation, les commentaires des patients inscrits volontairement sur les cartes d’observation semblaient révéler que les patients avaient apprécié leur participation[162, 163] et avaient bien apprécié leur rôle d’observateur[162]. Cependant, il pourrait y avoir un biais de réponse dans cette étude, c’est-à-dire qu’il est possible que les patients n’ayant pas apprécié leur expérience n’aient tout simplement pas remis leur carton d’observation avant de quitter la clinique. Par contre, dans notre étude, nous avons exploré le vécu de l’expérience de tous les patents-auditeurs, ce qui limite la possibilité d’un tel biais.

Les principaux apports de ces résultats sont les suivants. D’abord, le fait de savoir qu’une grande majorité des patients-auditeurs de l’HDM des soignants en retirent une expérience positive — information jusque-là inconnue — nous indique que l’impact négatif d’une telle participation chez les patients semble négligeable et donc que cette approche vaut la peine d’être davantage explorée. Cependant, même si une très faible minorité des patients ont mentionné avoir vécu une expérience négative suite à leur participation, il ne faut pas négliger ces expériences. Il sera important de poursuivre l’investigation du vécu de l’expérience des patients- observateurs dans les futures recherches, entre autres au regard à l’anxiété vécue suite à l’observation de pratiques d’HDM non conformes. Ensuite, il est intéressant de constater dans ces résultats qu’une proportion importante de patients hospitalisés semblent prêts à assumer un rôle élargi dans leurs soins de santé, un rôle de patient-partenaire[115, 116, 140, 141] dans l’observation des pratiques d’HDM des soignants, et ce, dans un contexte de soins de courte durée. Cette information n’était également pas connue antérieurement. Finalement, le nouveau questionnaire mesurant le vécu de l’expérience des patients-auditeurs de l’HDM, spécialement développé et validé pour les fins de l’objectif 3 de l’étude, pourra servir de modèle pour les futures études similaires ou pourra être adapté aux besoins selon le contexte et la population cible.