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Détecter, évaluer, sélectionner et accompagner jusqu’à la restitution du TGD : Les 5 phases de la prise en charge des Femmes en Très Grand Danger

Ces précisions posées, sans doute n’est-il pas inutile de présenter maintenant plus en détail le fonctionnement concret du dispositif au travers des cinq séquences qui le composent : détection et saisine des bénéficiaires potentielles (A), évaluation des demandes de TGD (B), attribution d’un téléphone (C), suivi et retrait du téléphone (D).

A. Phase 1 : Détection et saisine

La première étape de mise en œuvre des TGD consiste à identifier les femmes qui pourraient avoir besoin et/ou envie de bénéficier de ce dispositif. Les membres du Comité de pilotage de la Marthe appellent ce premier moment la « phase de détection et de saisine ». Elle consiste à « identifier avant, pendant ou après un dépôt de plainte, les femmes qui sont exposées

à un grand danger et saisir le Procureur ou les associations chargées de son évaluation »357. En théorie, cette phase concerne « l’ensemble des professionnels qui s’occupent des femmes

victimes de violences », que leurs institutions d’appartenance soient ou non représentées au sein

du comité départemental de pilotage du dispositif. Dans la pratique, les femmes qui sont évaluées par les deux associations d’aide aux victimes, l’Association d’Entraide aux Habitants (AEH) et l’association Accès aux Droits des Quartiers (ADDQ), ont le plus souvent été identifiées par l’un ou l’autre des membres du Comité de pilotage. En effet, comme nous avons pu nous en rendre compte au cours de l’enquête, les professionnels en charge de ce dispositif ont fait le choix de relativement peu communiquer sur celui-ci. Il a certes été ponctuellement médiatisé, que ce soit au niveau national ou au niveau local. Néanmoins, pour le moment, il n’existe à notre connaissance aucune plaquette visant à présenter, sur un mode routinisé, ce dispositif à l’ensemble des professionnels du département susceptible de se trouver en position d’identifier des « femmes en très grand danger ». Il est bien sûr arrivé que certaines assistantes sociales de secteur contactent l’un ou l’autre des travailleurs sociaux siégeant au sein du Comité de pilotage (assistantes sociales intervenant auprès de la gendarmerie et de la police, salariées

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des associations d’aide aux victimes ou de défense des droits des femmes, etc.) pour leur parler d’une situation qui leur semble pouvoir nécessiter un téléphone portable d’alerte. Mais les assistantes sociales de secteur informées de l’existence du TGD l’avaient été par les médias, découvrant le dispositif à l’occasion de reportages et d’articles évoquant l’expérimentation dans la Marthe (comme par exemple au moment du procès du mari de Sylvie, arrêté grâce au TGD). Leur employeur commun, le Conseil Général 67, alors même que celui-ci est représenté au sein du Comité de pilotage (en tant que financeur, mais aussi en tant qu’employeur de certains de ses membres) n’a par contre pour le moment entrepris aucune mesure de communication interne pour informer ses travailleurs sociaux de l’existence de ce dispositif. En effet, si en théorie chaque structure membre du Comité de pilotage est libre de communiquer sur le TGD, en pratique néanmoins, il existe un assez fort consensus au sein de celui-ci quant à l’idée que faire la promotion de ce dispositif reviendrait à prendre le risque de se retrouver rapidement confronté à un afflux de demandes dont la majorité auraient toutes les chances de concerner des situations très éloignées de celles que le TGD est, selon eux, censé prendre en charge :

« On n’a pas fait de plaquette de présentation du dispositif. Le risque c’était que ça fasse appel d’air et que l’on se retrouve avec tout et n’importe quoi comme situations. Le filtre c’est les membres du CoPil qui connaissent bien le dispositif. S’ils sont contactés par un travailleur social ou autres, ils peuvent faire un premier tri dans les situations qui leur remontent et n’orienter pour une évaluation que si ça leur semble pouvoir relever d’un téléphone d’alerte ».

Chargée de mission départementale aux Droits des Femmes et à l’Egalité, discussion informelle (reconstituée à partir des notes prises dans le Journal de Terrain), 11 septembre 2014.

De ce que nous avons pu observer au cours de l’enquête, certains membres du Comité de pilotage sont, en outre, plus en position que d’autres de participer à l’identification des femmes susceptibles d’avoir besoin d’un téléphone d’alerte. En effet, dans la plupart des situations que nous avons suivies au cours de l’année 2014, celles-ci avaient toujours été repérées par l’un ou l’autre (voire plusieurs) des acteurs suivants :

- La Vice-procureure présidant le Comité de pilotage qui, à la tête du service « Mineurs et Famille » du parquet de Mojan, est au courant de toutes les affaires de violences conjugales portée à la connaissance des magistrats du TGI.

- Les juristes des associations AEH et ADDQ qui, via les permanences tenues au sein des Bureaux d’Aide aux Victimes (BAV) des tribunaux de Mojan, Pavine et Ausabe ont aussi connaissance des « affaires de violences conjugales » jugées dans le département. - Les assistantes sociales du Conseil Général intervenant au sein de la gendarmerie de la Marthe, qui annuellement sont susceptibles de rencontrer un assez grand nombre de victimes de violences conjugales dans le cadre des rendez-vous qu’elles réalisent avec les personnes impliquées dans les interventions des brigades de gendarmerie.

- L’assistante sociale et la psychologue intervenant au Point Accueil Victime358 (PAV) du commissariat central de Mojan, qui elles aussi sont potentiellement en contact avec

358 Le poste d’assistante sociale du PAV, créé en 2004, a abord été occupé par une assistante sociale salariée de l’association AVCMJ. La disparition de cette structure au début de l’année 2015 a entraîné le licenciement économique de cette salariée. Quelques mois plus tard, celle-ci a cependant été remplacée par une nouvelle

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un assez grand nombre de victimes de violence au sein du couple, puisque leur activité consiste à accompagner (socialement ou psychologiquement) un peu avant ou juste après le dépôt de plainte des personnes ayant fait valoir leur situation de « victime d’un délit pénal ».

- Les salariées de l’association Femmes Solidarité, qui, spécialisées dans le suivi des femmes victimes de violences, rencontrent-elles aussi un assez grand nombre de victimes de « violences conjugales »

- Les salariés des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) siégeant au sein du Comité de pilotage qui, du fait d’une spécialisation totale ou partielle dans l’hébergement de femmes et d’enfants victimes de violences intrafamiliales, sont aussi amenés à suivre et accompagner des femmes susceptibles d’avoir besoin d’un téléphone portable d’alerte.

- Les salariés de l’association Centre d’Information sur le Droit des Femmes et des Familles (CIDFF) qui, dans leur activité de conseil juridique, peuvent aussi être amenés à rencontrer des femmes ayant à souffrir des violences d’un (ex)conjoint, (ex)partenaire ou (ex)concubin.

De par leurs activités quotidiennes, tous ces acteurs se trouvent en effet potentiellement en position d’avoir rencontré ou évalué la situation, voire d’avoir accompagné sur un certain temps des femmes expérimentant une situation susceptible de justifier de l’obtention d’un téléphone portable d’alerte. Néanmoins, tous ne rencontrent pas nécessairement ces femmes au même moment de leur parcours judiciaire. Par exemple, de par le type d’action qu’ils mènent, les salariés de structures comme le CIDFF, Femmes Solidarité ou encore les salariés des CHRS sont sans doute plus souvent que d’autres amenés à rencontrer des femmes dont les violences vécues au sein du couple n’ont encore jamais fait l’objet d’une information judiciaire auprès des forces de l’ordre (mains courantes, plainte, procès, etc.). Les femmes identifiées par les assistantes sociales intervenant au sein de la gendarmerie et du BAV, du fait même de la définition de leurs postes, ont quant à elle toutes les chances d’être des femmes déjà « connues des services de police et/ou de gendarmerie », du fait d’un dépôt de plainte ou d’une intervention au domicile du couple ou de la femme. De la même manière, s’il arrive aux salariés des associations d’aide aux victimes de rencontrer des femmes n’ayant pas encore porté plainte (lorsque celles-ci prennent contact en amont d’un dépôt de plainte), les femmes qu’ils rencontrent ont tout de même d’assez grandes chances d’être des femmes dont le statut de « victime d’un délit pénal » a déjà été au moins partiellement reconnu par la police (enquête en cours, arrestation du mis en cause, garde à vue, etc. ) et la justice (incarcération préventive, mise sous contrôle judiciaire, date d’audience fixée, condamnation prononcée, etc.).

Cette situation conduit fréquemment les différents acteurs de la phase d’identification à travailler conjointement. Cela est particulièrement vrai dans les situations où la femme suivie, bien que considérée comme étant potentiellement « en très grand danger », ne répond pas initialement (ou seulement partiellement) aux critères d’attribution d’un téléphone d’alerte. Par exemple, l’association Femmes Solidarité ne fait pas de la séparation d’avec le conjoint violent

assistante sociale, cette fois-ci conjointement embauchée et salariée par l’AEH et l’ADDQ. Le poste de psychologue est un poste interne à la police nationale.

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un critère de suivi. Cette structure accompagne donc de nombreuses femmes vivant encore en couple avec un conjoint violent. Toutes celles qui quittent leur mari n’ont pas besoin d’un téléphone portable d’alerte. Mais si au moment où une femme quitte son conjoint, les salariées en charge de son suivi considèrent la situation comme particulièrement dangereuse (compte tenu des réactions passées et/ou immédiates de ce dernier), celles-ci peuvent faire le choix de lui parler du TGD. Cependant, si cette dernière n’a jamais porté plainte et qu’elle ne peut faire valoir une interdiction d’entrée en contact (IEC), elle devra, pour pouvoir espérer en bénéficier, entreprendre toutes une série de démarches visant à faire reconnaitre la situation de danger par les acteurs judiciaires. Commence alors un parcours judiciaire dont les étapes, si la séparation s’accompagne de violence ou de menaces graves, peuvent s’enchaîner très vite. Or, les salariées de Femmes Solidarité y seront amenées à travailler avec les assistances sociales de la gendarmerie ou du PAV, qui elles-mêmes sont en contact avec les policiers suivant l’affaire. Elles seront aussi amenées à échanger avec les associations d’aide aux victimes, qu’il s’agisse de voir avec elles le meilleur moyen d’obtenir une IEC pour cette femme ou qu’elles leur demandent, en cas d’extrême urgence, l’évaluation immédiate de la situation afin que tout puisse aller très vite une fois le cadre juridique posé. Très rarement, il peut même arriver que devant la gravité des faits dénoncés par cette femme, il soit décidé d’alerter immédiatement le procureur pour lui demander que soit attribué un téléphone en l’absence d’interdiction d’entrée en contact. Dans le jargon du Comité de pilotage, on parle alors d’une « attribution hors cadre ». A l’inverse, il peut aussi arriver que ce soit la Vice-procureure qui, à l’occasion d’une affaire suivie par la section « Mineur et Famille », détecte une situation méritant l’attribution d’un téléphone et décide d’alerter partie ou totalité des différents acteurs précités pour s’assurer qu’ils rencontrent la femme en question afin d’évaluer sa situation (juridique, sociale, psychologique) et de voir si elle pourrait effectivement s’inscrire dans ce dispositif.

B. Phase 2 : Evaluation des saisines

La seconde phase de mise en œuvre de ce dispositif correspond à ce que les membres du Comité de pilotage appellent « l’évaluation ». Selon la fiche du dispositif, elle vise à « faire

une évaluation de la situation de fragilité de la victime sur le plan personnel, familial, économique, professionnel, et de la dangerosité éventuelle du conjoint au vue de ses antécédents judiciaires et psychiatriques et de sa situation sociale »359. Très concrètement, cette deuxième étape se décompose en deux, voire trois temps distincts : un temps de rencontre avec les femmes identifiées comme de possibles bénéficiaires du dispositif ; un temps de mise en forme des informations collectées via la rédaction d’une « fiche d’évaluation » relativement standardisée et entre les deux, souvent, un temps de contact avec les partenaires du Comité de pilotage pour voir si ces derniers disposent d’éléments susceptibles de venir compléter les informations fournies par les femmes au moment de l’évaluation.

Au sein du Comité de pilotage de la Marthe, cette deuxième phase mobilise principalement les deux associations gestionnaires du Bureau d’Aide aux Victimes : l’Association Entraide aux Habitants (AEH) et l’association Accès aux Droits Dans les Quartiers (ADDQ). Durant les premiers temps de l’expérimentation, les entretiens visant à

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