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Paragraphe 1. Les magistrats

A. Le juge aux affaires familiales

1. La compétence territoriale

Il n’est pas rare, dans le contexte des violences au sein du couple, que la victime quitte le domicile conjugal ou commun en raison des violences. Il est important alors d’appréhender tous les enjeux de la compétence territoriale car les conséquences engendrées par une exception d’incompétence peuvent retarder la mise en place de la mesure de protection.

Dans le Code de procédure civile, il n’existe pas de règle spécifique s’agissant de la compétence territoriale du juge aux affaires familiales en matière d’ordonnance de protection. C’est donc l’article 1070 du Code de procédure civile qui, a priori, est censé guider la solution. Cet article est placé dans un chapitre intitulé « La procédure en matière familiale » qui comprend également les dispositions relatives à l’ordonnance de protection. L’article 1070 du

152 Lors des travaux parlementaires qui ont abouti à la loi du 9 juillet 2010, la compétence du juge délégué aux victimes avait été évoquée. Ce juge, dont les compétences sont régies par les articles D. 47-6-1 et suivants du Code de procédure pénale, a été institué par le décret n° 2007-1605 du 13 novembre 2007. Cf., MATTEOLI A., Le juge civil confronté aux violences au sein du couple : regard sur le juge aux affaires familiales et l’ordonnance de protection in BRETT R., DELMAS G., MICHEL A., WAGENER N., (dir.), Violence et droit, PUS, 2012, p. 148. 153 Articles 515-9, 515-11 et 515-12 du Code civil.

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Code de procédure civile énonce que « le juge aux affaires familiales territorialement

compétent est :

- le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;

- si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;

- dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure.

En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l'une ou l'autre.

Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l'époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs.

La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou, en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée ».

Lorsqu’il s’agit de déterminer la compétence territoriale en matière d’ordonnance de protection, on peut constater que les règles relatives aux demandes conjointes (alinéa 2) et celles portant sur des matières spécifiques telles que la pension alimentaire ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (alinéa 3) ne peuvent concerner la demande relative à l’ordonnance de protection. Cette dernière n’est certainement pas faite de manière conjointe et, bien qu’elle puisse porter sur une pension alimentaire ou une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, l’issue du litige dépendra également de la nécessité de prouver la vraisemblance des violences et le danger. Dès lors, c’est en se fondant sur le premier alinéa de l’article 1070 du Code de procédure civile que les magistrats déterminent s’ils sont territorialement compétents lors d’une demande d’ordonnance de protection.

Le premier alinéa de l’article 1070 comporte un triple critère hiérarchisé. Tout d’abord, il est question du lieu de la résidence de la famille. Ensuite, si les parents vivent séparément, le tribunal compétent est celui du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale ou celui du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité. Enfin, dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure est le juge compétent.

Le premier critère ne peut être retenu puisque, dans l’hypothèse étudiée, la personne qui se dit victime de violences au sein du couple quitte le lieu de la vie commune154. Il convient de se demander si, en présence d’enfants mineurs, elle peut se fonder sur le second alinéa de l’article 1070 du Code de procédure civile, en faisant valoir la compétence du lieu de sa nouvelle résidence, la résidence étant déterminée au jour de la demande.

154 Dans certains cas les deux membres du couple habitent toujours ensemble. Dans ces hypothèses, il n’y aura pas de problème de compétence territoriale.

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Pour apporter une réponse, deux questions doivent être posées. En effet, il faut vérifier si le changement de résidence est la conséquence d’une voie de fait ou d’une fraude et si la nouvelle résidence peut avoir les caractères d’une résidence habituelle.

La question de la compétence territoriale s’est posée devant les juges aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Mojan. En l’espèce, « Madame (…) réside à Mojan

depuis le (…) avec l’enfant L. (…). Elle s’y est installée sans en avoir informé préalablement son époux mais justifie son attitude par les violences verbales de son conjoint et un climat conjugal qui lui était devenu insupportable ». Cet élément, lié aux circonstances du départ, ne

semble toutefois pas important en l’espèce car « en tout état de cause l’enfant J (…) réside chez

son père à M. (…). Dans la mesure où un enfant vit avec le père et l’autre avec sa mère, c’est le juge aux affaires familiales du lieu où réside l’époux qui n’a pas pris l’initiative de la procédure qui est territorialement compétent à savoir en l’espèce le juge aux affaires familiales de Metz ». Ainsi, le juge aux affaires familiales de Mojan s’est déclaré incompétent dans une

ordonnance du 5 décembre 2011155.

Dans le même sens, la Cour de cassation, dans un arrêt du 2 février 1982156, précise que l’ensemble des enfants mineurs doit résider avec l’époux demandeur, pour pouvoir retenir la compétence du tribunal du lieu de résidence du parent avec lequel vivent les enfants mineurs.

Bien que cette situation ne se soit pas posée devant les magistrats de la chambre de la famille de Mojan, il y a lieu de se demander quelle aurait pu être la solution dans l’hypothèse où l’ensemble des enfants mineurs avait résidé avec le parent contraint de quitter le lieu de vie commune.

Dans un arrêt du 28 février 2013157, la Cour d’appel de Paris a admis le changement de résidence dans l’hypothèse où l’épouse victime de violences conjugales avait dû fuir le domicile conjugal avant de saisir le juge du lieu de sa nouvelle habitation. En l’espèce, retenant le caractère vraisemblable des violences alléguées par la partie demanderesse, les magistrats ont considéré que son départ avec les enfants du domicile conjugal ne pouvait raisonnablement être appréhendé comme une voie de fait ou une fraude. La Cour a également pris en considération les éléments prouvant que le nouveau lieu d’habitation pouvait être considéré comme la résidence habituelle de l’épouse et des enfants du couple. En effet, le jugement faisait mention de la production par Madame d’une demande de logement social et l’inscription de ses enfants à l’école de leur nouveau lieu d’habitation.

En conséquence, la Cour d’appel a considéré que la résidence de la famille, au sens de l'article 1070 du Code de procédure civile, était régulièrement établie dans le ressort territorial du tribunal de grande instance de la nouvelle habitation de la mère et des enfants, à la date du dépôt de la demande. Cette juridiction était donc compétente et l'exception d'incompétence soulevée par le mari fut rejetée.

155 Ordonnance du juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Mojan, 5 décembre 2011, R.G. : 11/05954.

156 Cour de cassation, 1e chambre civile, 2 février 1982, n° de pourvoi 80-16594, D. 1983, IR 37, note GROSLIERE J-CL.

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Ainsi, en l’absence de voie de fait et de fraude, ce qui pourrait être démontré par un départ provoqué par des violences, et en présence d’éléments prouvant la nouvelle résidence habituelle du parent et des enfants, le tribunal territorialement compétent pourra être celui du lieu de la nouvelle habitation.

Une question reste toutefois en suspens. Qu’en est-il de l’hypothèse où la personne qui se dit victime de violences quitte le domicile conjugal ou commun en raison de ces violences mais où le couple n’a pas d’enfant(s) commun (s) ? Peut-elle prétendre à la compétence du tribunal territorialement compétent de son nouveau lieu d’habitation ? Une lecture stricte de l’article 1070 du Code de procédure civile nous semble écarter cette possibilité. On applique ainsi le 3e critère de l’alinéa 1er de l’article 1070 du Code de procédure civile et il faudra donc retenir la compétence du juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure. Considérons à présent les modes de saisine du juge aux affaires familiales territorialement compétent.

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