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Approches du désert du Sahara ou le désert au pluriel

1. Le désert des Touareg

Si Alain Cuillère a relevé que le désert est souvent représenté comme le lieu de tous les trafics et les Touareg comme de violents guerriers. Hélène Claudot-Hawad128 rappelle quant à elle, scandalisée, dans l’introduction d’un ouvrage collectif consacré à la politique dans l’histoire touarègue, que ces derniers sont également présentés comme un « agrégat de tribus isolées (…) sans conscience

d’une quelconque appartenance commune »129. Les Touareg, principaux habitants

du grand Sud, se sont trouvés arbitrairement dispersés sur cinq pays du continent africain, délimités par des frontières fixées par les États modernes. Ainsi leurs pratiques nomades, remises en cause, s’en trouvent profondément modifiées car leur droit territorial "mobile" n’est plus reconnu. Quoi de plus aberrant pour un peuple libre sans frontières et qui se singularise fondamentalement par le déplacement perpétuel, concevant « le monde comme un corps non pas statique,

mais tout en mouvement »130 ajoute Gilles Fumey dans un article intitule "Le désert

comme apprentissage de l’horizon". Non content de les spolier de ce qui fait le

fondement même de leur culture, les États poussent l’injustice jusqu’à les déposséder d’une appartenance commune. Les récents troubles au Mali, entre autres pays africains, sont en partie causés par cette aberration politique des frontières héritées de la colonisation.

Aussi le désert dans la littérature touarègue, ne peut-il être qu’étroitement lié au voyage et au nomadisme, une manière spécifique à ce peuple de concevoir le monde. Une perspective, une utopie hautement moderne où les êtres, les choses et tous les éléments sont perçus en mouvement. Comment peut-il en être autrement

128 Hélène Claudot-Hawad est une anthropologue du monde arabo-musulman, dans l’introduction d’un collectif consacré à la politique dans l’histoire touarègue,

129 CLAUDOT-HAWAD, Hélène (dir.), La politique dans l’histoire touarègue, CNRS-Université d’Aix- Marseille, Institut de recherches sur le monde arabe et musulman, « Les Cahiers de l’IREMAM, 4 »,1993.

130

FUMEY, Gilles, Le désert comme apprentissage de l’horizon, http://www.cafegeo.net/article.php3?id_ article=838.

pour ce peuple d’abord nomade, surtout si l’on se réfère aux propos de Gilles Fumey qui souligne encore que le nomadisme est :

« Une pensée, une démarche intellectuelle, une compréhension particulière

du monde. Dans cette vision, tous les éléments, les êtres, les choses, les moindres particules sont perçus en mouvement, engagés dans un itinéraire cyclique rythmé par des étapes successives où se croisent des itinéraires variés. Franchir une étape, c’est se montrer capable de résoudre la contradiction entre ce qui est soi et qui n’est pas soi, opposition qui se manifeste sous des formes variées : l’identité et l’altérité, le connu, la maison et le désert, la culture et la nature, le féminin et le masculin...Le but n’est pas d’éradiquer l’autre, mais d’engager le dialogue avec lui pour transformer un ennemi potentiel en partenaire »131.

En ce sens, on ne peut que l’approuver quand il déclare que « l’utopie nomade est

moderne »132.

1.1. Lieu de quête, d’affirmation de soi et de spiritualité

Le mythe touareg est étroitement lié à celui du désert tout entier qui apparaît souvent comme un lieu de quête, d’affirmation de soi et de spiritualité, et les Touareg sont supposés incarner tout cela133. Comme nous l’avons vu précédemment, ils recourent au mot tamachek tinariwen pour désigner les déserts et le mot Ténéré pour le désert à proprement parler et signifiant "ce qui n’existe pas". Un proverbe touareg dit à propos du désert :

« Dieu a créé un pays plein d’eau pour que les hommes puissent vivre et un

pays sans eau pour que les hommes aient soif.

Il a créé un désert : un pays avec et sans eau pour que les hommes trouvent leur âme ».

Le proverbe, à l’instar du conte considéré d’ailleurs comme son illustration, permet de mettre en évidence des leçons tirées de la sagesse antique et relève essentiellement de la tentation de définir la place de l’homme, sa conduite morale et sociale ainsi que le sens de son existence, en s’appuyant sur les traditions et les

131

FUMEY, Gilles (cité par), Le désert comme de l’horizon Fumey,

http://www.cafegeo.net/article.php3?id_article=83

132 Ibid.

133

expériences des ancêtres dans un milieu donné, à une époque donnée. Pour les poètes et écrivains touareg, le désert espace infernal, dangereux, sauvage, est à la fois un lieu à traverser seulement mais aussi un refuge lorsque la société est en crise, comme nous pouvons le voir illustré dans la poésie de Mahmoudan Hawad134, dont voici un extrait :

« Fatras et hardes de syllabes que le vent déchiquette

sur l'omoplate décharnée du désert

longtemps

la voix dévale les abîmes du silence

pour éveiller l'écho et l'astre filant

galope dans les voiles ténèbres pour apporter la flamme aux veillées nocturnes du vide Aucune nouvelle jusqu'à présent Rien Seulement Rien chevauchant la cigale efflanquée de l’absence

Pourquoi tant de sanglots et de larmes versées sur le sable

puisque l’arbre continue d’aspirer

l’azur»135

.

134HAWAD, Mahmoudan, célèbre écrivain, poète et peintre targui né en 1950, originaire de l'Aïr, massif montagneux du Sahara central. Dans son œuvre foisonnante, s'entrecroisent divers genres littéraires - poésie, geste épique, conte philosophique, théâtre - mettant en scène des mondes "infiniment en marche" qui se rencontrent, se métamorphosent, se recomposent pour continuer leur route. Le drame et la résistance du peuple touareg ou de tout peuple menacé d'extermination, émaillent l'univers de fiction de Hawad. Seule une partie de ses textes (qu’il écrit dans sa langue, la tamajaght, et note en tifinagh, écriture des Touareg), a été publiée en traduction. Parallèlement à son œuvre littéraire, Hawad mène un travail pictural qui relève de la même démarche : la "furigraphie", prolongeant sa philosophie de l'espace et de "l'égarement". Hawad a exposé dans diverses villes de plusieurs continents, notamment à Paris, Toulouse, Lyon, Bruxelles, Utrecht, Brême, Casablanca, Trieste, New York, Rotterdam, Medellin...

135Rivages d'échanges, Rivages de solidarité. Poésie Hawad et désert perspectives croisées. Traduction du

En authentique héritier de la culture nomade, Hawad nous livre dans ces vers une expérience et une vision du monde uniques, bâties sur des notions qui traduisent essentiellement le mouvement, la mobilité, l’itinérance des choses et des terres autour de points fixes que représentent, dans leurs extensions métaphoriques, l’eau et l’abri.

Parmi les thèmes fondateurs de la poésie touarègue136 liés fondamentalement à l’espace du désert, se retrouve celui de la "soif", quête philosophique qui anime les voyageurs cosmiques137. A la recherche de l'eau, l'assoiffé sort des chemins tracés, pénètre dans le désert, perd son orientation, s'égare, divague, pour être enfin prêt à inventer sa propre route. En outre, Hawad s’intéresse aux événements tragiques propres à l'histoire touarègue contemporaine qu’il n’hésite pas à évoquer dans la fiction, attisée par la déchirure du peuple et du monde nomades opprimés : l'expulsion brutale hors des frontières de l'Algérie, la débâcle des nomades cernés par la sécheresse en 1984, les massacres de civils touaregs perpétrés depuis 1990 au Niger et au Mali et la naissance d'une rébellion armée138.