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Considérations archéologiques, mythologiques, étymologiques et définitionnelles

1. Création et civilisation du désert

Le désert est un espace mal connu. Par sa puissance d'attraction sans doute unique, il reste un espace propice aux passions et aux fantasmes. Il favorise en cela des réécritures et des cheminements qui font percevoir les activités spatiales comme une grande aventure quasi onirique. L’inscription spatiale soutenant le projet premier de l’auteur, est généralement traversée par la superposition et l’entrelacement d’enjeux psychologiques, politiques et culturels, d’où la complexité des constructions et des représentations spatiales à travers la fiction. Ce qui justifie la nécessité de s’arrêter sur quelques considérations en rapport avec la mythologie du désert et qui s’y collent de manière étroite car elles expliquent la source de certaines représentations farfelues que les hommes se font parfois du désert, qu’ils méconnaissent dans la plupart des cas. Ce qui inspire la réflexion suivante à Patrick Dumoulin :

« En ce qui concerne les images, on peut dire que les mythes perdurent. Malgré les connaissances acquises sur la géographie du désert, malgré le tourisme, les problèmes d’environnement, de désertifications, les problèmes liés à la sédentarisation progressive de populations, et qui se posent aujourd’hui aux peuples du désert, ont été en quelques sortes occultés, relégués à l’arrière-plan et les clichés reprennent le dessus. A chacun son mythe, le Sahara est toujours un espace de beauté, de pureté, d’infini ; à chacun son voyage, d’exploration, de découverte, d’initiation ou de défi. Les quêtes restent les mêmes. Le mythe revêt des formes diverses, mais est pérenne, la fascination aussi »42 .

1. Création et civilisation du désert

Tous les peuples de la terre, à un certain stade de leur développement, ont eu des mythologies, élaborées ou rudimentaires, afin d’expliquer l’origine de ce qui peut

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paraître étrange. Selon Pierre Grimal :

« On est convenu d’appeler "mythe", au sens étroit, un récit se référant à un

ordre du monde antérieur à l’ordre actuel, et destiné, non pas à expliquer une particularité locale et limitée (c’est le rôle de la simple "légende étiologique"), mais une loi organique de la nature des choses »43.

Le mythe se veut essentiellement explicatif car il tend et aspire à proposer une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui le véhicule. Alors comment est appréhendée l’histoire du désert du Sahara ? Il est curieux de constater que dans l’imaginaire collectif, la simple évocation du désert déclenche aussitôt une véritable avalanche de mythes, de fantasmes souvent insolites, d’anecdotes fantaisistes et d'histoires étranges qui racontent la création et la civilisation du désert. L’une des sources les plus abondantes de la création mythique est l’ensemble des phénomènes naturels subis par l’homme et, malgré la diversité existant entre les mythologies des sociétés archaïques, on trouve de frappantes analogies en rapport avec la création du désert, qui s’expliquent généralement par des contacts de civilisations. La mythologie entourant son histoire est particulièrement captivante et expose, du moins en partie, le fait que le désert soit perçu comme l’espace des paradoxes.

1.1. Le désert mythifié

Avant d’être cette surface vaste, infinie, vide et hostile, telle que la définissent les dictionnaires, le désert se révèle d’abord, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, une étendue encombrée de toutes les aberrations, les lubies, les divagations et les fantasmes que l’imagination humaine est capable d’engendrer, surtout quand on n’a pas vraiment eu l’occasion de l’explorer autrement qu’en rêve et en imagination. La connaissance que les hommes ont généralement du désert se base en particulier sur des idées stéréotypées, erronées et sclérosées car elles sont

43 GRIMAL, Pierre, dans l’introduction de son Dictionnaire de la mythologie grecque et

plus ou moins éloignées de la réalité. Philippe Frey44, célèbre ethnologue a tenté de recenser dans l’un de ses ouvrages, à peu près toutes les idées reçues sur le désert et sur ses habitants parmi lesquelles nous relevons celles-ci :

- Les déserts ne connaissent ni l’irrigation ni l’agriculture. - Tous les nomades se nourrissent de dattes et de lait de chèvre. - Les nomades vont disparaître. Rien ne pousse dans le désert. - Il n’y a pas d’écosystème animal dans le désert.

- Tempêtes de sable, mirages, sables mouvants, scorpions et serpents : tout est mortel dans le désert.

- Il n’y a pas eu de civilisation du désert.

La préoccupation essentielle d’Alain Frey est de démystifier l’image approximative que la plupart des hommes se font du désert. Cette méconnaissance du désert n’est pas propre à notre époque et Ernest Renan historien des religions, relève dans l’ouvrage consacré à la vie de Jésus que :

« Le désert était, dans les croyances populaires, la demeure des démons. Au

monde, peu de régions plus désolées, plus abandonnées de Dieu, plus fermées à la vie que la pente rocailleuse qui forme le bord occidental de la mer Morte »45.

Aussi, se proposer de cerner les différentes représentations du désert relève tout simplement du défi car le désert est un espace curieusement appréhendé, comme nous avons pu le constater tout au long de ce travail. Sous le règne de l’Empereur Hadrien, par exemple, l’Afrique du Nord devenue alors romaine, le désert est resté une zone non soumise par Rome parce que, nous dit Pline « détachée du reste du

monde, (…) vouée à la solitude par les excès de la Nature »46.

Les Romains, rebutés par son climat torride, étaient persuadés que seules des créatures hors normes pouvaient endurer pareilles températures. Dans un article

44 FREY, Philippe, Le Désert, Editions Le Cavalier Bleu, 2006.

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RENAN, Ernest, (1823-1892), Vie de Jésus, VI, OE, t. IV, p. 156. Philologue français et historien des religions. Cet ouvrage connut, lors de sa sortie, un immense retentissement en Europe, suscita d’innombrables controverses et contribua de façon décisive à fonder une exégèse laïque en France. (Microsoft Encarta 2007).

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intitulé "Le désert, un immense révélateur", Amina-Azza Bekkat note que ce même Pline en décrivant les terres du désert, « se laissait aller à des descriptions

particulièrement extravagantes de troncs sans tête, de pieds en lanières, de corps incohérents représentant une nature illisible à la logique romaine »47.

Pline, qui n’y voyait que des étendues de serpents et de sables48, a semble-t-il, largement contribué à l’altération de l’image du désert auprès des Romains. Plutarque, quant à lui, insiste surtout sur la chaleur étouffante, insupportable, faisant selon lui « sortir toutes choses hors de leur nature »49, images sorties de quelque enfer d’ici-bas. Aussi il est pratiquement impossible d’imaginer une quelconque possibilité d’y vivre.

1.2. De la cosmogonie du désert

Longtemps et d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui, on accepte encore l’idée que le désert est le résultat d’une mer qui s’est desséchée à travers l’histoire. Mais selon des recherches récentes50, et comme en témoignent les peintures rupestres du Tassili des Ajjer51, cette hypothèse vieille de 2000 ans selon laquelle la désertification aurait été brutale est remise en question. Le Sahara serait devenu le plus grand désert chaud de la planète il y a environ 2.700 ans, après un très lent changement. Il aurait été, il y a 6000 ans, une région habitée, très verdoyante, couverte d'arbres, de savanes et comptant de nombreux lacs, comme l’explique Stefan Kröpelin52 :

« Le Sahara est devenu un désert il y a environ 5 500 ans et ce en quelques

siècles, marquant la fin de la période humide africaine, quand des pluies

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AZZA-BEKKAT, Amina, « Le désert, un immense révélateur », article paru dans journal El Watan du 27-09-2007.

48 Cité par Alain Cuillère dans son avant-propos, sus cité.

49 Ibid.

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Cette étude a été publiée dans la revue américaine Science datée du 9 mai 2008.

51 Les peintures rupestres prouvent que le désert a connu des périodes humides où la faune et la flore étaient celles de la savane.

52 KRÖPELIN, Stefan, géologue de l'Institut d'archéologie préhistorique de l'Université de Cologne en Allemagne et principal auteur de l'étude.

saisonnières comme des moussons s'abattaient régulièrement sur la région »53.

La plus grande partie des indices physiques témoignant de l'évolution de la géographie du Sahara ont été perdus. Mais l’étude des couches de sédiments prélevés au fond de l'un des plus grands lacs sahariens, a permis de reconstituer l'histoire du désert du Sahara grâce aux tests géochimiques et biologiques comme les pollens provenant notamment des arbres et des plantes se trouvant tout autour, avant que le désert ne s'installe. Les chercheurs ont conclu à un assèchement progressif du climat, dû à une évolution des pluies de mousson, elles-mêmes dues à un bouleversement dans l'activité du soleil, ayant provoqué l'arrivée d'une grande quantité de poussière de sable dans le Sahara. Ensuite l'abondante végétation tropicale initiale s'est progressivement réduite jusqu’à finalement l'installation du désert. Quant aux sites de peintures rupestres du Tassili, ils constituent un formidable témoignage de la vie au Sahara avant sa désertification. La région était alors luxuriante et les peintures rupestres sont des témoignages essentiels afin de comprendre l'histoire du peuplement du désert. On y voit des animaux - éléphants, girafes, hippopotames… - qui ont depuis longtemps fui le désert, ainsi que des scènes de la vie quotidienne, comme ces bœufs montés par des hommes.

1.3. L’âge d’or du commerce saharien et l’arrivée des

Européens

Longtemps, le désert du Sahara a été traversé par d’importantes routes commerciales où les traversées se faisaient alors avec les charrettes tirées par des bœufs. L’introduction du dromadaire par les Carthaginois lui accorde un nouvel élan. En effet, après le VIIIe siècle, il devint d’une importance majeure54 et le commerce sera particulièrement actif55. C’est une époque florissante où de nombreuses routes traversaient le désert, reliant les royaumes et les empires

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KRÖPELIN, Stefan, Sciences, 9 mai 2008.

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Avec la montée en puissance du monde musulman, notamment entre les XIIIe et XVIe siècles.

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L’or et les esclaves en provenance du Sud étaient échangés contre du sel (extrait des mines du Sahara), des cauris (coquillages servant de monnaie principale) et des armes venant du nord. On transportait également des articles de luxe tels que des tissus précieux, du poivre, de l’ivoire ou encore des plumes d’autruches, qui étaient alors acheminés vers les ports du nord pour être ensuite exportés vers l’Europe.

africains. Mais l’arrivée des Européens en Afrique appauvrit considérablement le commerce saharien jusqu’à le faire disparaître au XIXe siècle, période à laquelle commence vraiment l’exploration du désert avec des noms célèbres tels que le Britannique Hugh Clapperton, René Caillié, Heinrich Barth et Charles de Foucauld. Après la Seconde Guerre mondiale, la découverte dans le sud de l’Algérie d’importants gisements d’hydrocarbures finit par lui conférer une importance sans égale.

1.4. Géographie du désert

La population du Sahara regroupe environ 1,5 à 2 millions de personnes, essentiellement des nomades islamisés, Maures et Touareg. Ces derniers, plus nombreux, sont regroupés dans les régions montagneuses du Hoggar, du Tassili des Ajjer et de l’Aïr. Mais les principaux points de peuplement du désert restent les oasis où l’eau est présente dans le sous-sol, telles que Ghardaïa, Tamanrasset, les oasis du Souf en Algérie56. Le climat du Sahara, chaud, ensoleillé et aride, est caractéristique de celui d’un désert chaud où les températures diurnes sont très élevées, et peuvent dépasser les 50 °C, et l’amplitude thermique entre le jour et la nuit est souvent supérieure à 35 ou 40 °C. Toutefois, il peut geler en hiver. Le climat du désert est l’un des plus difficiles à supporter sur la planète.

2. De quelques considérations étymologiques ou la fortune d’un