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Sahara de Paul Bowles, l’anticonformiste

3. Le désert dans La Femme adultère d’Albert Camus (1913- (1913-1960) (1913-1960)

3.2. Le désert, lieu dépourvu de poésie

Chez Camus on doit distinguer deux sortes de déserts. D’abord le désert dans le sens habituel et commun du terme, que récuse Albert Camus car selon lui « Le

désert lui-même a pris un sens, on l’a surchargé de poésie. Pour toutes les douleurs du monde, c’est un lieu consacré »268. Le désert réel, celui qui attire Camus, c’est un

268

lieu dépourvu de poésie, non pas le lieu où l’on va pour fuir le monde, mais un « lieu sans âme où le ciel est seul roi »269.

Si la ville est une occurrence dans l’œuvre d’Albert Camus notamment la ville côtière, comme Alger dans L’Etranger et Oran dans La Peste, l’invocation du désert comme espace romanesque reste une exception, essentiellement dans La

femme adultère et à un degré moindre dans Noces (1936) où Camus célèbre les

noces de l’homme avec la nature. C’est dans son deuxième essai, Le vent à Djémila, qu’il évoque fort brièvement le désert et où Djémila est présentée comme le désert des hauts plateaux du Constantinois. Si Tipasa permet de ressentir la plénitude dans l’abandon aux éléments270, Djémila procure au contraire une sensation de dépouillement similaire à celle que l’on peut ressentir dans le désert, de dessèchement du corps fouetté par un vent violent car le soleil à Djémila dessèche, brûle et dévaste les corps comme dans le vrai désert. Mais c’est dans La Femme

adultère, que Camus, homme de la Méditerranée, choisit de situer son récit à

l’intérieur du pays, dans le désert précisément où il met en scène l’expérience de l’isolement face à la découverte de l’infini. C’est sans doute le seul texte de Camus où cet espace est aussi présent aussi prégnant car personnifié. C’est en effet avec le désert que Jeanine va tromper en imagination son mari Marcel.

3.2.1. « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première

pierre »

La Femme adultère est la première des six nouvelle publiées dans le recueil et

dont le titre est constitué par deux éléments antagonistes : L’Exil et le Royaume, paru en 1957. Si on examine le titre, on ne manque pas de faire l’analogie avec la femme adultère évoquée dans la Bible.

Au temps du Christ, une femme ayant commis un adultère est sur le point d’être lapidée comme le veut alors la tradition. La communauté avait l'habitude, depuis

269 CAMUS, Albert, Noces, « Le Désert », p.138.

270

l’apparition des tablettes de Moïse271, d'appliquer la sanction prévue par la Loi, pour « arracher le mal du milieu de soi »272. Elle enlevait ce mal en lapidant la personne accusée. Au procès de cette femme, on intima à Jésus l’ordre de dire s’il est d’accord ou non avec la loi de Moïse et il répond alors : « Que celui d’entre vous

qui est sans péché lui jette la première pierre »273. Le procès s'est tout à coup déplacé et les accusateurs deviennent les accusés. Le titre de cette nouvelle a été certainement inspiré à l’auteur par cette histoire.

3.2.2. L’absurdité d’une existence

Dans cette nouvelle, il s’agit d’une femme nommée Janine qui accompagne son mari, Marcel, vendeur de tissus dans une tournée des petites villes de l’intérieur du pays.

Ils font le voyage à travers le désert en Algérie un matin d’hiver, dans un autocar brinquebalant aux glaces relevées en raison d’une tempête de sable. Une «

mouche maigre » agace Janine, et les Arabes qui entourent ce couple de Français

isolé font mine de dormir dans leur burnous.

Marcel doit vendre sa marchandise dans une oasis du désert algérien. Jamais il ne se sépare de sa mallette d’échantillons. C’est lui qui a convaincu sa femme de l’accompagner. Celle-ci a accepté sans joie, ni enthousiasme, comme elle a accepté des années auparavant, à la fin de ses études, d’épouser ce camarade, étudiant en droit qui l’aimait mais qu’elle n’aimait pas. Ce qu’elle aimait par-dessus tout était seulement de se sentir aimée. Elle ne reste avec lui que par crainte de la solitude : ils n’ont pas d’enfant et elle est sans passion, sans avenir.

Arrivés à destination, elle se retrouve dans un monde hostile et indifférent, à l’image même de son époux préoccupé uniquement par sa malle et son commerce. Dans l’oasis, la beauté de l’endroit la frappe autant que l’indifférence et l’hostilité des habitants. Son mari fait ses affaires. Elle se sent seule et isolée dans un monde

271 Décret des dix commandements, « tu ne commettras point d’adultère ».

272

La Bible, Dt 22,20-22.

273

aussi absurde que l’est à ses yeux son propre mariage ! Face à elle-même, elle réalise dans l’espace désertique combien sa vie est aberrante. Son système de valeurs est ébranlé, elle sombre dans une profonde crise existentielle : Comment appréhender alors l’absurdité de son existence ? L’absurdité de son mariage ? Doit-elle quitter son mari ? Doit-Doit-elle rester avec lui ? Quel choix doit-Doit-elle faire ? Mais quel choix peut-elle faire ?

Pendant le voyage, elle a été sensible aux regards des hommes, celui, mince et acéré d’un militaire français en uniforme qui ne cesse de la fixer, mais surtout celui de l’Arabe, maigre et vigoureux, aux mains gantées, « qui semblait regarder

au-delà de leur groupe », ce qui la mettait mal à l’aise et lui donnait envie de repartir.

A cinq heures de l’après-midi enfin, Janine et Marcel montèrent au sommet du fort pour voir le désert. C’est là, à ce moment précis, alors que Marcel grelottait et voulait redescendre, que sa femme, en contemplant l’horizon, éprouva un instant de bonheur absolu, d’une fulgurance éblouissante :

« Là-bas, plus au sud encore, à cet endroit où le ciel et la terre se

rejoignaient dans une ligne pure, là-bas, lui semblait-il soudain, quelque chose l’attendait qu’elle avait ignoré jusqu’à ce jour et qui pourtant n’avait cessé de lui manquer »274.

« Il lui sembla que le cours du monde venait alors de s’arrêter et que personne, à partir de cet instant, ne vieillirait plus ni ne mourrait. En tous lieux, désormais, la vie était suspendue, sauf dans son cœur où, au même moment, quelqu’un pleurait de peine et d’émerveillement »275.

Après cet instant d’exaltation, la tristesse l’envahit à nouveau ainsi que la peur de mourir qui la faisait se rapprocher de son mari, la nuit venue. Mais cette fois, « elle

tendit l’oreille à un appel qui lui sembla tout proche ». Elle se leva doucement et « se jeta dans la nuit » pour courir à nouveau jusqu’au fort :

« Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s’éteignaient parmi les

pierres du désert, et à chaque fois Janine s’ouvrait un peu plus à la nuit …. En même temps, il lui semblait retrouver ses racines, la sève montait à nouveau dans son corps qui ne tremblait plus. Pressée de tout son ventre

274

CAMUS, Albert, L’Exil et le Royaume, « La Femme adultère ».

275

contre le parapet, tendue vers le ciel en mouvement, elle attendit seulement que son cœur encore bouleversé s’apaisât à son tour et que le silence se fît en elle. Les dernières étoiles des constellations laissèrent tomber leurs grappes un peu plus bas sur l’horizon du désert, et s’immobilisèrent. Alors, avec une douceur insupportable, l’eau de la nuit commença d’emplir Janine, submergea le froid, monta peu à peu du centre obscur de son être et déborda en flots ininterrompus jusqu’à sa bouche pleine de gémissements. L’instant d’après, le ciel entier s’étendait au-dessus d’elle, renversée sur la terre froide ».

Puis elle rentra se coucher près de son mari et pleura.

3.2.3. Forcer le désert afin que jaillissent les eaux de la lumière

Camus a écrit en 1952 dans la préface à Contre amour de Daniel Mauroc : « Il faut vivre dans le désert, voilà tout, et le forcer pour que jaillissent un jour les

eaux de la lumière »276. Ces propos résument la nouvelle La Femme adultère. En

effet, le passage de Janine par ces régions hostiles, désertiques l’oblige à affronter ses problèmes. Dans ce court récit, le désert apparait comme un puissant révélateur, car c’est en fait l’histoire de la découverte de soi et du monde qui l’entoure. Arrivée dans un désert hostile et indifférent, à l’image même de son mari, sa vision des populations locales vivant dans une dimension autre que la sienne, aggravent davantage sa crise. Il lui a fallu venir dans cette immensité sablonneuse pour prendre soudainement conscience de son état d’extrême isolement. Janine doit alors y faire face en essayant de comprendre l’aberration de son existence. Au cœur du désert dans sa chambre d’hôtel, elle rêve de la mer afin de forcer les murs de son exil et de sa solitude dans cette contrée bordée par le sable. Mais un choix s’impose : soit continuer ou soit recommencer sa vie. Elle peut quitter son mari ou décider de rester avec lui.

276

CAMUS, Albert, cité par Maki Endo, Les figures de l’exil chez Camus : L’immobilité et le flottement

dans « La Femme adultère », Osaka University knoledge Archive : Ouka – http : // ir. Library.Osaka .u.ac.

4. Le désert, un espace édénique et originel chez Jean-Marie