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Un désert imaginaire : du mythe et de la fabulation

L’Atlantide de Pierre Benoît, maître incontesté du roman

2.3. Un désert imaginaire : du mythe et de la fabulation

En France dès le milieu du XXe siècle, avec l'avènement d'une culture littéraire de masse et la fin de la guerre, Pierre Benoît s'empare du mythe du

monde perdu, avec lequel il prend alors de grandes libertés, s’appuyant toutefois sur

les descriptions d’Hérodote120

. Si pour Platon, l’Atlantide se situe à Athènes en Grèce, celle de Pierre Benoît apparait curieusement implantée dans le cœur même

117« Sur l’initiative de Jules Ferry, les pionniers de la colonisation africaine songeaient a assurer la liaison

entre l’Algérie et ses possessions du Sénégal et du Soudan. En 1878, un ingénieur avait même proposé une jonction par voie ferrée. Mais il fallait avant tout bien connaître les pistes du Sahara La mission avait ainsi pour but de reconnaître le terrain en vue d’une liaison par voie ferrée entre l’Afrique du Nord et l’Afrique tropicale. Le colonel Flatters, le 4 décembre 1880, avec une importante caravane militaire partit en mission vers le Hoggar malgré la présence dans la région de Touaregs hostiles aux Français. Forte de 90 hommes, c’était la plus grosse caravane militaire qui se fût jamais engagée à travers le Sahara : avec ses 90 méhara, ses 149 chameaux porteurs, quatre mois de vivres, des munitions, et des cadeaux destinés aux gens du Soudan, elle pensait pouvoir affronter sans danger le ciel brûlant et les longues étapes. (…) Nul ne se doutait combien serait lourd le tribut à payer au désert...». D‘après un dossier tiré d’un article d’Alain Renac

dans "Le journal de la France" hebdomadaire, Ed. Tallandier 1970. Le massacre de la mission Flatters, Histoire du monde MHTML Document el brûlant et les longues étapes.

118 On ne peut manquer de sourire à cette scène : Un targui dont la connaissance du désert est légendaire, qui manque de mourir dans une crue … si ce n’est la présence providentielle de ces deux Français.

119Antinéa est présentée par Pierre Benoît dans L’Atlantide comme la descendante de Neptune.

120 Les auteurs de l’Antiquité Grecs et Romains, se basant sur les descriptions d‘Hérodote auraient situé le pays des Atlantes dans l’actuel Ahaggar. Dida Badi, « Tin-Hinan : un modèle structurale de la société

du Sahara121

. La catastrophe qui l’a anéantie serait due au retrait brusque de la mer, ayant donc provoqué l’assèchement de l’espace marin transformé en désert. Pierre Benoît crée la surprise avec son adaptation française qui lui a valu néanmoins une véritable consécration alors qu’il ne s’était jamais rendu dans le désert. Tahar Djaout l’évoque en ces termes dans la préface de ce livre122 :

« Pierre Benoît n’a même pas fait le déplacement pour voir le monde qu’il

décrit. Il n’était pourtant pas un sédentaire, cet infatigable voyageur qui écrivait de préférence dans les cabines de bateaux. N’empêche qu’il n’a jamais mis le pied dans le Hoggar »123.

Pierre Benoît ne connaît le désert en fait que "par ouï-dire" selon l’expression désormais consacrée par Rosalia Bivona qui pose la question suivante : « Le Sahara

est-il perceptible, intelligible par ouï-dire? »124. Les réponses selon elle sont multiples et protéiformes :

« Peut-être est-ce avant tout quelque chose qui pour un occidental est

d’abord ressenti et puis, lorsque cela est possible, vu ; et celui qui l’a vu l’a raconté et même celui qui ne l’a pas vu a fait la même chose ; et de ces récits en sont nés d’autres, en grande quantité, et ainsi, d’une façon directe ou indirecte ce qui est au-delà de toute parole et de tout langage a été évoqué et enseigné »125

.

Nous avons relevé dans le récit de Benoit, qui se prête à une lecture anthropologique, deux mythes célèbres : celui de l’Atlantide évoqué par Platon et celui de la célèbre reine berbère du désert, Tin-Hinan. Mais si Platon précise dans ses Dialogues « le fait qu'il ne s'agit pas d'une fiction, mais d'une histoire véritable

et d'un intérêt capital », des universitaires s'accordent aujourd'hui à voir le mythe de

l'Atlantide comme une fable de Platon, sur les origines perdues que l’imaginaire occidental investit inlassablement de symboles contradictoires et de décadence.

Traditionnellement associé à la quête géographique d'une célèbre civilisation

121

Grzegorz Rosinski et Jean Van Hamme se réfèrent à l'Atlantide dans plusieurs tomes de la série de bandes dessinées Thorgal. Dans l'album Le Royaume sous le sable, laisse penser que l'Atlantide se situe également dans le Sahara.

122

BENOÎT, Pierre, L’Atlantide, Alger, ENAG/ENAL, 1988.

123DJAOUT, Tahar, Préface de L’Atlantide, Pierre BENOÎT, Alger, ENAG/ENAL, 1988

124

BIVONA, Rosalia, “Le Sahara par ouï-dire: inspiration et vocation coloniale chez Mario Tobino et

Marcelle Vioux” : http://www.limag.com/Textes/Bivona/Aix2.htm

125

disparue, le mythe de l'Atlantide, ce continent englouti dans la pré-Antiquité126, a fait couler énormément d’encre dans la littérature occidentale et ne cesse d’inspirer les artistes qui y trouvent une féconde source d’inspiration. Bien des suggestions relatives à son emplacement, plus ou moins fantaisistes, se sont succédées donnant naissance à une multitude déroutante d’interprétations esthétiques (réécritures poétiques et romanesques, adaptations cinématographiques et musicales, etc.). Platon, ni historien ni géologue, insiste dans ses Dialogues sur « le fait qu'il

ne s'agit pas d'une fiction, mais d'une histoire véritable et d'un intérêt capital en cherchant à définir la société idéale »127

. Dans ses écrits128

, il a opposé l'Atlantide maritime, technicienne et conquérante, corrompue par la richesse (comme la

démocratie athénienne selon ce philosophe), à une Athènes archaïque, rurale, autarcique et conservatrice comme l’expliquent les biographies consacrées à l’Atlantide. Les dieux donnent la victoire à la meilleure société sur la pire. Ainsi périt l’Atlantide. Une majorité de scientifiques et d’historiens, à la suite des travaux imposants de Pierre Vidal-Naquet129

sur la question, s’accordent aujourd’hui à voir le mythe de l'Atlantide comme une simple fable de Platon. Pierre Vidal-Naquet qui a abordé le mythe de l’Atlantide du point de vue de l’historien et du philologue, soutient que le récit de Platon :

« (…) doit être placé aux côtés des utopies et anti-utopies plus récentes, et

en chercher les traces physiques est un contresens qui conduit à chasser une chimère »130

.

Il lui reconnaît toutefois le mérite d’avoir introduit une nouveauté, le roman historique:

« La narration platonicienne introduit effectivement quelque chose de

nouveau : dire le fictif en le présentant comme le réel. Avec une perversité

126Exposé par Platon dans ses célèbres Dialogues.

127

PLATON, Timée, 26b-27b., cité par Wikipédia Encyclopédie en ligne.

128

Le Timée (Le philosophe introduit le mythe dans le Timée, au cours d'un récit fait par Critias, un riche Athénien disciple de Socrate et parent de Platon lui-même et le Critias (Le Critias entre davantage dans les détails, contant l'origine des habitants (nés de l'union de Poséidon et d'une mortelle, elle-même fille d'un autochtone) et leurs mœurs, la géographie de l'île, son organisation sociale et politique. La fin du Critias est perdue. Le récit s'interrompt au moment où Zeus décide de punir les Atlantes décadents.)

129VIDAL-NAQUET, Pierre, « Athènes et l’Atlantide. Structure et signification d’un mythe platonicien »,

Revue des Études Grecques, 77.

130 VIDAL-NAQUET, Pierre,« L'Atlantide et les Nations », La Démocratie grecque vue d'ailleurs, Champs-Flammarion, Paris, 1990, p. 140.

qui lui a valu un immense succès, Platon a fondé le roman historique, c'est-à-dire le roman situé dans l'espace et dans le temps »131.

Chimère, réalité ou non, toujours est-il que l'histoire de l'Atlantide qui a soulevé de nombreuses questions et polémiques, a été le sujet de plus de quarante mille ouvrages132, et est aujourd’hui présentée comme le plus grand de tous les mystères et reste la source d'une abondante production artistique.