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De quelques considérations étymologiques ou la fortune d’un mot mot

Considérations archéologiques, mythologiques, étymologiques et définitionnelles

2. De quelques considérations étymologiques ou la fortune d’un mot mot

Revenir brièvement sur l’origine du mot désert peut nous éclairer sur l’idée que l’on a pu avoir en d’autres temps et en d’autres lieux sur ces étendues arides et infinies. Les Touareg, par exemple, pour désigner l’ensemble des lieux désertiques, utilisent le mot tinariwen qui signifie littéralement : les déserts. Et comme l’indique le pluriel, il se découpe en de nombreux déserts. Il y a le désert

56 En réalité, les Touareg vivent sur cinq pays du continent africain, barrières aberrantes pour un peuple qui se définit comme libre et sans frontière. À l’intérieur de ce territoire, les Kel Tamasheq se sont d’ailleurs longtemps jouésdes limites des États qui sont parvenus néanmoins à leur inculquer quelques normes de la douane et des passeports.

proprement dit, nommé le Ténéré57 (qui signifie ce qui n’existe pas) et le

Tanezrouft. Le Tanezrouft ou le pays de la soif est un désert dans le désert, sans eau

et qui peut avoir des centaines de kilomètres de longueur. Il était considéré comme un lieu particulièrement redouté par les voyageurs qui voulaient rejoindre Tombouctou, comme on peut le voir illustré à travers les craintes d’un personnage de L’Atlantide de Pierre Benoit :

« Cegheïr-ben-Cheïkh le sait (…) Il sait ce qu’est le Tanezrouft. Il sait que,

lui qui a voyagé dans tout le Sahara, il frémirait de passer par le Tanezrouft (…), il sait que les chameaux qui s’y égarent ou périssent ou deviennent sauvages, car personne ne veut exposer sa vie pour aller les chercher… »58.

Le Ténéré désigne une plaine, une grande étendue de terrain plat, sans montagne ni dune de sable, cultivée ou non, mais aussi plaine unie et sans végétation. Cette définition est celle qui se rapproche vraiment de celle du mot

Sahara. Aussi le mot Ténéré concorde-t-il avec l’idée que l’on se fait

généralement du désert. Toutefois ce mot peut avoir d’autres sens, comme l’indique Marceau Gast :

« C’est encore l’extérieur, le dehors, par rapport à une ville, une maison, une tente. C’est le lieu d’extérieur, un peu éloigné où l’on va faire ses besoins, le "lieu de l’aisance" en plein vent. C’est l’extérieur dans le sens d’une autre tribu, d’"autre pays", l’étranger et par extension "celui de la plaine", c'est-à-dire un batârd »59.

2.1. Etymologie arabe du mot Sahara usité dans la langue

française

Le mot Sahara, d’origine arabe, est le terme géographiquement consacré par l’utilisation française pour désigner le désert. Mais il ne signifie pas en langue arabe désert ou vide. Il se traduit plutôt par l’expression suivante : une plaine ocre

57 Le Ténéré correspond aujourd’hui à la région du Sahara nigérien.

58

BENOÎT, Paul, L’Atlantide (1919), ENA /Editions, 1988, p.253.

59 GAST, Marceau, Le désert saharien comme concept dynamique, cadre culturel et politique, Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, 32, 1981-1, p.77-92. Persée, http://www.persee.fr

désolée. Abderrahmane Moussaoui60, célèbre anthropologue souligne en effet que l’adjectif désert :

« se dit en arabe khlâ et non çahrâ, qui signifie, terre inculte, par opposition

à la terre cultivée. L’étymologie arabe du mot çahrâ renvoie au qualificatif açhar qui signifie fauve. C’est la couleur de cet espace géographique où l’ocre est dominant, en l’absence d’une végétation importante et pérenne qui est à l’origine de ce nom. Cette couleur a fini par devenir emblématique du désert »61.

Bien que la langue arabe soit très riche en termes désignant le désert, aucun d’entre eux n’a de signification géographique ou géologique précise. Le mot sahrâ’, d’où vient Sahara, est le plus connu. Il découle d’une racine sous laquelle se range le verbe sahira qui signifie « être de couleur fauve ». Roger Arnaldez attire notre attention sur le fait de ne pas se fier à l’étymologie en arabe car sahrâ’ désigne une vaste plaine désertique. Aussi il pourrait bien ne dériver de rien, alors qu’en revanche, on trouve un verbe qui dérive de lui, asahra, avec le sens de s’engager dans une vaste plaine désertique62.

Dans une autre étude, Biberstein Kazimiriski, note que çahara est le féminin d’açharou : blanc mêlé de rouge, fauve, mot qui désigne aussi le lion. La teinte rouge, brune concerne la végétation desséchée, d’où l’idée d’aridité63. Marceau Gast conclut :

« Le désert s’imagine d’abord, chez les Arabes, à peu près plat, aride,

blanc, avec une végétation desséchée, roussie par la chaleur. De ce mot banal, les Occidentaux ont fait, lors des conquêtes coloniales en particulier, un nom propre qui a désigné les plaines désertiques de la côte de l’ouest africain jusqu’aux territoires égyptiens et soudanais »64 .

60

MOUSSAOUI, Abderrahmane, spécialiste en anthropologie du sacré et anthropologie de l’espace, auteur d’un ouvrage intitulé Espace et sacré au Sahara (2002).

61 MOUSSAOUI, Abderrahmane., Espace et sacré au Sahara, CNRS éditions, 2002, p.20.

62 GAST, Marceau, Le désert saharien comme concept dynamique, cadre culturel et politique, Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, 32, 1981-1, p.77-92. Persée, http://www.persee.fr.

63

Ibid.

64

2.2. Le mot désert dans la langue française

Quant au mot désert utilisé dans la langue française, il provient de l’étymologie latine desertus, qui incluait déjà dans l’Antiquité les notions d’abandonné, de négligé, marquant la séparation par excellence65 comme nous pouvons le constater dans la définition suivante :

« Ce mot vient du latin desertus (vers 1170) "désert, inculte, sauvage" (cf.it.

et port., occ. et cat. desert, esp. deserto), participe passé de deserere "se séparer de, abandonner, délaisser", de sererer "joindre, unir, attacher". Cette famille latine est basée sur le lien suggéré par sererer. (…) L’abandon est suggéré par déserter, déserteur et désertion, le vide par désertique et désertifier »66.

Les Anglais pour désigner le désert se réfèrent directement à la langue française et empruntent desert au XIIIe siècle. Ils seront suivis bien plus tard par les Allemands au XVIIe siècle en empruntant desertieren67. Dans les nombreux

dictionnaires et encyclopédies de langue française que nous avons consultés, le désert est généralement défini de manière similaire comme on peut le constater dans les exemples suivants :

2.3. Essais de définitions

Au sens propre et premier du terme, le désert est à la fois: Définition 168 :

- Une région très sèche, marquée par l'absence de végétation ou la pauvreté des sols et la rareté du peuplement.

- Lieu inhabité, vide ou peu fréquenté. Définition 269 :

- Région sèche et chaude, sans végétation, sans population.

- Grand vide, néant.

Définition 370 :

65

Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, sous la direction de Josette Rey-Debove et

Alain Rey, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2002.

66 Ibid.

67 Ibid.

68Le Petit Larousse, grand format, Paris, Larousse, 2005.

69

- Lieu, pays sauvage et désert (vide et dépeuplé). Définition 471 :

- (latin desertum) Région du globe caractérisée par une pluviométrie inférieure à 200 et souvent même à 100 mm/an et où la densité de population est très fable en raison des conditions du climat (aridité, froid). Il existe des déserts tempérés (Mongolie), froids (Antarctique), chauds (Sahara).

Nous remarquons que des éléments définitoires similaires sont retenus pour éclairer et expliquer ce mot. Le désert est vu comme un environnement naturel d’une grande désolation : espace inhabité, abandonné, vide, sans eau et sans végétation. Il est synonyme d’ « inhabité, peu fréquenté, abandonné », mais aussi de « sauvage, solitaire ». Non seulement il est inhabité, mais il offre également à l’esprit quelque chose de sauvage qui connote la menace, l’effroi et la frayeur, quelque chose de dangereux, de reculé, loin de toute culture et de toute civilisation. Le désert est perçu sous un aspect négatif, stérile, tellement réducteur devant son infinitude. Les nombreux dictionnaires, au même titre que les encyclopédies consultés, renvoient tous aux mêmes indications imparables et strictes : région hostile, inhabitée, aride, où le langage de l’imaginaire, ce « (…) magicien qui ne

porte aucun respect aux ancrages du mental. À peine a-t-il proposé telle image qu’il la transforme au gré de ses intentions »72 n’est nullement admis.

2.4. Le désert, une étonnante polysémie

Mais au-delà des barrières érigées autour du terme désert, il offre une impressionnante panoplie polysémique, lui permettant de dresser un solide socle du patrimoine culturel et de l’imaginaire, ouvrant ainsi une voie royale à des investigations multiples souvent antithétiques, sur lesquelles se construisent et s’élaborent des réflexions d’une richesse absolument fabuleuse. L’ambivalence des

70

LITTRE, Émile : http : //littre.reverso.net/dictionnaire-français/définition/désert, d’après l’ouvrage d’Emile Littré (1863-1877)

71 http:/www.larousse.fr/dictionnaires/français/

72

ROMEY, Georges, Dictionnaire de la symbolique. Le vocabulaire fondamental des rêves, Paris, Éditions Albin Michel, S.A, Tome 1, 1995, p. 193, p. 193, cité par Găgeatu-Ioniscescu, Alina. Lectures de sable : les

connotations liées au désert est bien soulignée par Jean Chevalier et Alain Gheerbrant dans la citation suivante : « Lieu de l’indifférenciation originelle il est

une étendue stérile sous laquelle doit être cherchée La Réalité »73.

Le concept de désert en définitive est, par définition commune des dictionnaires, une région inhabitée par l'homme à cause de sa chaleur infernale le jour, son froid nocturne légendaire et son aridité. Néanmoins, grâce à ses innombrables connotations imaginaires, il offre une multitude de possibilités d’interprétations, et expliquent du coup pourquoi le désert comme sujet d’étude est un motif exaltant et reste en littérature un thème intarissable qu’il ne faudrait surtout pas compter épuiser, avise Gérard Nauroy, car le désert selon lui, prévaudra toujours74. Il fait ainsi écho à Bachelard qui précise, à propos de l’étude objective des images de l’immensité telles que la forêt, la mer et le désert, qu’ « il nous faudrait ouvrir un

dossier volumineux ; car l’immensité est un thème poétique inépuisable »75.

Pour terminer ce chapitre, arrêtons-nous sur les propos d’un éminent pastoraliste -écologue, grand connaisseur du désert et de son étrangeté, qui résume en quelques lignes toute la richesse et la complexité du désert :

« Le Sahara continue d'envoûter! Voyageurs du silence, amoureux des

espaces sans limites, tous tombent sous le charme de ces longues coulées de sable qui se perdent à l'infini, tous sont troublés par les rochers nus éclatés par un soleil sans pardon, tous sont effrayés par l'immensité du vide sidérale qui les guette! et pourtant, ce désert que l'on croit vide, bouge, se déplace, s'enfle, gronde, rugit, se calme, s'étale au fil des saisons et des rares pluies qui apportent une vie parcimonieuse et rebelle sur les sables, dans les dépressions, sur les regs et les ergs au gré des saisons. Fourmis, lézards, serpents, oiseaux, renards des sables, gazelles et les hommes et leurs animaux vivent dans ce milieu âpre et sans pitié. Rien ne semble bouger et pourtant, la vie se cache ici, prudente et téméraire, bataillant sans cesse pour exploiter chaque atome d'eau, et parfois cédant sous les assauts répétés d'une dure réalité millénaire »76.

73

CHEVALIER, Jean et GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, éd. R. Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1982, p. 349.

74

NAUROY, Gérard, Introduction, Actes du colloque de Metz, Le désert paradoxal, op. cit.

75 BACHELARD, Gaston, La poétique de l’espace, PUF, 9e édition, « Quadrige », 2008, p.173.

76 GINTZBURGER, G., pastoraliste-écologue, INRA-CIRAD (Montpellier), préface au Catalogue des

plantes spontanées du Sahara septentrional algérien, Abdelmadjid Chehma, Université Kasdi Merbah,

CHAPITRE III