• Aucun résultat trouvé

Approches du désert du Sahara ou le désert au pluriel

2. Le désert dans la littérature arabe

Il faut convenir avec Salah Stétié que « la langue arabe a partie liée avec le

désert. (…)C’est du désert que les Arabes tireront leur subsistance et leur insubsistance »139. En effet, dès l’antiquité arabe, le rapport entre la civilisation et le désert est marqué par la connaissance directe du désert puisqu’il est le lieu vital des sociétés nomades, une patrie mobile, lieu de la solitude mais il est également le lieu de rencontre de la collectivité. Aussi, tous les principes de la civilisation nomade s’articulent autour du désert.

136 La poésie chantée touarègue est imaginée métaphoriquement comme un arbre qui possède ses racines, son tronc, ses branches et ses rameaux multiples.

137

Caravane de la soif, 1985 ; Chants de la soif et de l'égarement, 1987, Edisud ; L'Anneau-Sentier, L'Aphélie, 1992.

138Biographie de Hawad - Cerimes , download2.cerimes.fr/canalu/.../vo/po.../biographie.hawad.pdf

139 STÉTIÉ, Salah, « L’islam en ses déserts », Le Livre des déserts, sous la direction de Bruno Doucey, Ed. Robert Laffont, 2006.

2.1. L’époque préislamique

140

Dans la poésie de la période préislamique, le désert est naturellement forme et substance pour une écriture dans laquelle va profondément s’insinuer le parcours spatial des nomades comme des Touareg que jonchent les pauses et les campements qu’il comporte.

Les premières manifestations de la littérature en langue arabe sont fortement liées à la vie dans le désert et au nomadisme. De la poésie à la prose, la littérature arabe est un interminable voyage à travers les dunes et les sables d’Arabie. Mais, bien qu’étroitement rattachée à son énonciateur, l’image du désert ne met pas moins en exergue un imaginaire collectif, révélateur de la mentalité bédouine d’alors où la littérature orale était particulièrement florissante et se manifestait principalement dans les espaces de vie que sont les marchés, les champs de bataille, les soirées conviviales, les joutes oratoires entre poètes ou tribus rivales. Et comme l’attestent les textes de la littérature antéislamique, la poésie est vue comme l’image fidèle de la réalité de l’époque car elle reflète des événements socio-historiques et des préoccupations en rapport constant avec le désert.

Dans les villes où s’est sédentarisée une importante population, les Arabes parviennent à un haut degré de science et de culture141. De cette période de grande effervescence intellectuelle, il n’est resté que très peu de traces écrites. C’est néanmoins dans les dernières décennies de la fin du VIe siècle que commence à se développer une véritable production littéraire écrite : les fameuses Mu’allaquât où seuls les poèmes jugés les meilleurs 142 sont gardés et conservés et contiennent les thèmes les plus chers à la poésie préislamique : la description de l’environnement à savoir le désert, l’éloge de protecteurs, des morts ou du poète lui-même, l'injure des clans ennemis, l'amour et le vin. Et chaque texte contient dans un ordre peu

140

La civilisation islamique est née au Moyen Age, dans la péninsule arabique, au sein d’une population essentiellement bédouine, époque nommée jâhilia, du fait du polythéisme qui y était pratiqué.

141

Ils étaient notamment très versés dans la science des généalogies, l’astronomie, l’astrologie et l’onéirocritie.

142 Lors de tournoi poétiques annuels, les poètes se réunissent à la foire d’Okâzh où ils récitaient leurs œuvres. Celles qui obtenaient les suffrages de l’assemblée étaient dignes d’être suspendues au temple de la Mecque. Un tel honneur relevait du sacré, car ces poésie selectionnées et suspendues dans la maison sainte devenaient pour ainsi dire objet d'un culte quasi religieux.

logique, des métaphores, des comparaisons, des images, des références à la vie dans le désert. Parmi les poètes les plus célèbres, on distingue Imr-oul-Kays143 qui excelle essentiellement dans la description des paysages du désert. On relève à cette époque l’existence d’un petit groupe de poètes-coureurs, aussi renommés pour leur poésie mâle et farouche que, pour leur agilité à la course. Grâce à ces

poètes-coureurs, la poésie est parvenue à de grandes qualités de style, simple, nerveuse

voire sublime ; mais l'inspiration ne sort jamais du cadre du désert, de la vie patriarcale et guerrière où le cheval, le chameau, la lance, le sabre, sont les objets de descriptions récurrents. Ces textes sont un précieux témoignage sur la vie dans le désert.

2. 2. Le désert chez les Arabes, entre mythes et légendes

Le désert chez les Arabes est source de plusieurs mythes et légendes qui façonnent profondément la vision et la vie du poète, souligne Farid Zahi dans un article144 sur l’imaginaire de la poésie préislamique. C’est

« Ce qui l’incitait, écrit-il, à privilégier des lieux, des êtres et des

phénomènes, en égard à leur aspect symbolique ou mythique au dépend d’autres qui demeuraient insignifiants pour son mode de vie et de croyance »145.

Finalement une vision sélective est opérée de fait dans toute élaboration de poésie, mettant plutôt l’accent sur des phénomènes précis tels que des pérégrinations dans le désert et la description des vestiges de la demeure de la bien-aimée, sans omettre la description de certains animaux tels que la chamelle, le cheval, l’aigle, la gazelle, ou encore le hibou.

143

Imr-oul-Kays (mort v. 530 ou 540), le poète le plus connu de la poésie préislamique (jâhilia), qui excelle

essentiellement dans la description des paysages du désert. Fils de Houjr el-Kindi, dernier roi du royaume de Kinda, il compose des poèmes dès son plus jeune âge, dont le ton irrite son père qui le chasse. Durant son exil, son père est assassiné, il parvient à le venger mais commence alors une vie d'errance et de mendicité qui lui vaut le surnom d'El Malik ed-Dillil "Le roi toujours errant".

144 ZAHI, Farid Zahi, La réinvention du désert, Imaginaire de la poésie pré-islamique, pp.73-85, Poétique

et imaginaire du désert : colloque international, Montpellier, 19 - 22 mars 2002 / Centre d'Étude du

Vingtième Siècle, Axe Francophone et Méditerranéen, Université Paul-Valéry Montpellier III. Sous la dir. de Jean-François Durand

145

Pour Farid Zahi, le désert du poète arabe est « un espace de vie et d’expression,

d’imagination et d’imaginaire ». El Masoudy, historien arabe du IXe siècle, explique fort bien ce rapport des Arabes de la période antéislamique au désert :

« Ce que les Arabes croyaient rencontrer dans le désert est une conséquence

de l’errance et de l’esseulement dans les lieux déserts et les vallées d’Arabie, ainsi que leurs traversées des lieux sauvages et vides. Car quand la personne se trouve dans ces lieux ; elle est saisie d’une frayeur invincible, et devient victime de toutes sortes d’illusions et d’impressions. Dans une telle situation, elle est assaillie par les visions et les mauvaises croyances. Aussi, entend-elle des voix étranges, voit apparaitre devant entend-elle spectres et fantômes et devient convaincue de la réalité de telles apparitions »146.

2. 3. Le désert dans la littérature arabe contemporaine : cas

d’Ibrahim El Kouni

Dans une étude consacrée au thème du désert dans la littérature arabe contemporaine, Waciny Laredj, universitaire et écrivain, constate que :

« Même si la poésie arabe antéislamique a fait de la thématique du désert un atout vital pour la création et l’écriture, le roman n’a que rarement réagi et d’une façon très entrecoupée et vraiment occasionnelle, avec une discontinuité très visible qui n’a pas aidé cette thématique à s’imposer comme espace à ré-exploiter et re-visiter constamment »147 .

L’auteur déplore qu’il n’y ait jamais eu une thématique - loin des cartes postales et des diverses contraintes politiques liées principalement au pétrole - entièrement consacrés au désert comme mode de vie, de pensée et de légendes. Néanmoins un seul écrivain arabe se démarque du lot, Brahim El Kouni, romancier libyen de renommée mondiale, descendant d’une grande famille touarègue. Auteur d’une soixantaine de romans et nouvelles, il s’inspire essentiellement des contes populaires et de la vie dans le désert, principalement chez les Touareg pour écrire des fables symboliques. Il a fait, depuis plus de trente ans, du désert sa passion et les fondements même de son imaginaire.

146 AL MASOUDY, Muruj addahab, (Les prairies d’or), p.129, cité par Farid Zahi dans son article, op. cit.,p. 76

147 LAREDJ, Waciny, Parcours, l'écriture et le désert, « Les territoires mythiques de Brahim El Kouni », Quotidien El Watan, 08 décembre 2005.

Waciny Laredj considère qu’il est aujourd’hui l'exemple le plus visible et le plus frappant de ce qu'on appelle la littérature du désert et devient de ce fait un écrivain incontournable dans ce domaine. Par ses origines, il a su faire du monde des Touareg l'univers idéal de sa création en faisant revivre tout ce qui sommeillait en eux et dans leurs légendes porteuses de tous les rêves et de toutes les dérives d'une vie sédimentée dont seules aujourd'hui les histoires racontées ou les peintures rupestres témoignent de ce monde englouti par le temps et les érosions.

Dès ses premiers romans, Ibrahim El Kouni (né en 1948 dans une tribu touarègue) trace son territoire et impose ses frontières et sa thématique centrale en redonnant vie et mouvement à un substrat que l'histoire n'a pu rendre visible dans ses tous petits détails du quotidien. Dans son dernier texte, Ange, qui es-tu?148, l’auteur fait le récit d’une expérience réelle sur une question actuelle. Il apparaît une fois encore comme le porte-parole du peuple touareg et dénonce le traitement dont il est souvent victime. C’est l’histoire d’un Touareg sédentarisé qui choisit le nom de Massi pour son premier fils. Un nom vite remis en question par l’officier préposé à l’état civil qui estime que c’est un prénom étranger qui n’a pas droit de cité : « Un nom qui n’est pas des nôtres, dans une langue d’un autre temps pour un

homme d’une autre civilisation » .

Son obstination à enregistrer le prénom de son fils finit par faire perdre à Massi sa nationalité car, comme le dit amèrement un personnage du roman, les Touaregs sont considérés comme des « infiltrés, représentant un danger plus grand pour l’unité et

l’identité du pays que des armées ennemies ».

Ce refus entraîne Massi, païen et non arabe, dans un combat acharné pour la reconnaissance de son identité. Ce dernier texte d’Ibrahim El Kouni confirme l’idée que le désert est pour lui, plus que jamais en plus de la terre des origines, un monde englouti par l’oubli, l’ignorance, le temps et l’érosion. Un monde que persistent encore aujourd’hui à raconter les légendes touarègues et les peintures rupestres d’ailleurs en dégradation permanente149.

148Al-KOUN, Ibrahim, Ange, qui es-tu ?, Éd. Aden (Lettres du Monde), 2010.

149 BEN MEFTAH, Tahar Ben Ali, L’Univers mythique dans l’œuvre d’Ibrahim Al Kouni. Pour une poétique

du ″roman du désert ″, Université Lumière Lyon 2, 2010. http://theses.univ lyon2.fr/documents/lyon2/

Le désert, première enfance de l’humanité, par l’action du vent qui fait et défait à volonté, symbolise l’effacement permanent de mythes incommensurables. Il met en garde les hommes crédules contre la perte ou la disparition des cultures et des civilisations. Cette thèse, empruntée aux scientifiques a trouvé un écho favorable chez un grand nombre d’écrivains algériens tels Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Tahar Djaout et Rachid Boudjedra.

En définitive, la littérature arabe depuis la période antéislamique demeure marquée par la connaissance directe du désert puisqu’ il est le lieu vital des sociétés nomades, une patrie mobile, lieu de la solitude, mais également lieu de la rencontre de la collectivité dans le campement. Aussi tous les principes de la civilisation nomade (d’Afrique ou d’Arabie) s’articulent autour du désert et de la poésie. Il est logique qu’il apparaisse comme un élément indissociable dans la sensibilité et la spiritualité arabe antéislamique et même musulmane :

« Il reste, écrit Salah Stétié, une dimension centrale de l’âme arabe et

islamique, (…) cet espace signé par la grandeur et la mort »150.

3. Le désert des voyageurs, des explorateurs et des scientifiques