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Approches du désert du Sahara ou le désert au pluriel

5. Le désert dans la peinture et dans le cinéma

A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, de plus en plus d'artistes, surtout de France et d'Angleterre, voyagent à travers l'Orient où la présence coloniale ou commerciale de leur pays s'impose. Ces artistes voyagent souvent à la faveur d'une mission scientifique, militaire, commerciale ou diplomatique. Même si les conditions de voyage sont alors particulièrement éprouvantes, voire périlleuses, la curiosité de ces artistes et leur esprit d'aventure anéantissent toute notion de danger. Ils s'habituent ainsi à dormir à la belle étoile avec des chameliers et leurs chameaux dans des caravansérails au confort tellement précaire. A cela s’ajoute la menace permanente des maladies exotiques ou encore les dangers du brigandage. Les peintres frappés par l’immensité du désert algérien comme Eugène Fromentin, Gustave Guillaumet200 surnommé d’ailleurs le "Millet du désert" ou encore un

198CHARLES-ROUX, Edmonde, Un désir d'Orient - Jeunesse d'Isabelle Eberhardt, 1877-1899, Paris,Grasset, 1988.

199 EBERHARDT, Isabelle, « À l'aube », Écrits sur le sable, tome II, Paris, Grasset, 1990, p.331.

200 GUILLAUMET, Gustave, (1840-1887). L’originalité de sa célèbre toile Le Sahara (1867) réside dans sa vacuité où seul personnage identifiable dans un paysage entièrement réduit à des couches horizontales de couleurs mêlées de gris , le squelette du chameau, placé au premier plan, est chargé d’une forte puissance symbolique : mort et solitude règnent dans cette immensité où le désert et ciel se répondent, dominés par un même silence. La plupart des tableaux de Guillaumet, qui a partagé l’existence rude, monotone et misérable des populations du désert, évoquent la vie primitive et austère du désert algérien. Il a également souffert de la malaria.

certain Charles de Tournemine201, vont trouver une source d’inspiration non seulement inépuisable mais surtout exceptionnelle avec des effets de lumière intenses uniques. Dans leurs œuvres, ils cherchent à rendre compte de la sensation d’infini qui se dégage du désert.

A partir des années 1840, les conditions d'accueil s'améliorent considérablement. Les hôtels remplacent les caravansérails qui apportent un certain confort aux voyageurs et créent un véritable embryon de tourisme arrangé. Le désert devient alors un paysage à part entière dans la peinture. Par leurs recherches stylistiques, les peintres tels qu’Etienne Nasreddine Dinet (Promenade des femmes

dans les rues de Bou Saâda, Terrasses de Laghouat) et Eugène Girardet (La Prière dans le désert) transposent dans leurs tableaux202 une lumière incomparable en révélant des aspects passionnants de leur sensibilité créatrice.

5.1. Les peintres orientalistes

Dans un ouvrage intitulé L’Algérie du Sud et ses peintres, 1830-1900, l’auteure Marion Vidal-Bué s’est consacrée aux peintres dont la production picturale a été inspirée du Sud durant la colonisation française. Les toiles retenues permettent de mesurer l’engouement exercé par le désert sur l’âme de ces hommes, venus de si loin, afin d’apprécier l’infinitude absolue. Cependant leur regard reste bien souvent celui de l’orientaliste en quête d’un nouvel Orient, exotique et pittoresque. Pour ces peintres, le désert apparait comme un immense endroit où la nature a créé des formes, des couleurs qui ont donné vie à un paysage extraordinaire, peint en profondeur, mettant en valeur ses divers aspects.

L'orientalisme étant indissociable du voyage, le peintre orientaliste ne peut être par définition celui qui voyage dans les pays dits de l’Orient. En effet la plupart des peintres orientalistes ont réellement voyagé en Orient même si leur inspiration se contentera pour un grand nombre d’entre eux, d'un seul et unique déplacement, comme c'est le cas pour Eugène Delacroix comptant un seul voyage à son palmarès

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Charles de Tournemine. Peintre orientaliste (1812-1872)

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qui le mène au Maroc et en Algérie en 1832. Ce sera lui qui détournera l‘Italie les peintres français qui ne jureront plus désormais que par l’Algérie. Delacroix rapporte de nombreux livrets de croquis et d'aquarelles qu'il exploitera longtemps. Et vu les conditions de travail plutôt pénibles pour des peintres habitués à travailler dans le confort et le calme de leur atelier, certains entreprennent de véritables expéditions consistant à réaliser un maximum de croquis. Les travaux définitifs sont exécutés à l’aise dans un atelier de leur pays d'origine à leur retour de voyage. D’autres, au lieu du traditionnel croquis, utilisent la toute nouvelle technique de la photographie, comme c'est le cas pour Horace Vernet203. D’autres plus intrépides et par souci de réalisme, comme Gustave Guillaumet, vont jusqu'à partager la vie des populations pauvres du désert pendant plusieurs années afin de restituer au mieux les scènes de la vie dans le désert, ou s’y installent carrément et définitivement tels que Jacques Majorelle ou Etienne Nasreddine Dinet. Leur peinture s'inscrit d'emblée dans un exotisme paternaliste comme nous pouvons l’observer dans la plupart des tableaux.

Il existe toutefois une autre catégorie de peintres occidentaux notamment Edouard Verschaffelt, qui produit une toute autre réalité algérienne et prendre à contre-pied la peinture orientaliste coloniale avec « tout ce qu'il colporte et traîne derrière lui

de relents coloniaux et d’arrangements paternalistes qui édulcorent le réel et le badigeonnent de couleurs exacerbées, rutilantes et criardes »204, écrit Rachid Boudjedra.

5.2. Edouard Verschaffelt

Edouard Verschaffelt appartient à cette lignée de peintres qui ne tombe nullement dans le piège "béat" d'un orientalisme douteux. Porteur d'héritages fabuleux205, il vient en Algérie en 1919, fuyant l'occupation allemande durant la Première Guerre Mondiale. Très vite, à l’instar d’Etienne Nasreddine Dinet, il

203 Horace Vernet est né à Paris en 1789 et décédé en 1863.

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BOUDJEDRA, Rachid, Un Algérien pour de vrai, http://www.bou-saada.net/Verschaffelt.htm

205 Elève de l’Ecole des Beaux-arts d’Anvers, il porte en lui, dès le départ, les traces ineffaçables de la peinture flamande et l’attirance viscérale pour l’impressionnisme.

éprouve une véritable fascination pour la ville de Bou Saâda dans laquelle il s’installe. Et après la mort de son épouse flamande, il se marie avec une Algérienne de la tribu des Ouled Sidi Brahim. Il crée ainsi des liens de sang avec ce pays qu’il va peindre de l’intérieur jusqu’à ce qu’il y meure et qu’il y soit enterré en 1955. Rachid Boudjedra signale à son propos :

« On peut appliquer à ce peintre authentiquement bou saâdien cette

réflexion d’Albert Camus sur certains peintres orientalistes, très rares, il est vrai ! " L’Algérie ne devait pas, apparemment, être leur patrie, et cependant, depuis que ces terres sont ouvertes à l’Occident, les peintres n’ont cessé d’y faire leur pèlerinage″. Il en est qui n’ont jamais pu se détacher de cette nature et qui ont fini par y mourir au terme d’une lutte épuisante pour en forcer le secret »206.

5.3. Les lieux de prédilection

Nous relevons que les lieux privilégiés du désert chez les peintres français sont El-Kantara qu’Eugène Fromentin baptisa « la porte du désert ». Biskra en effet, fut une destination particulièrement appréciée par des artistes venus du monde entier. Il y a aussi Bou Saâda où Etienne Nasreddine Dinet a trouvé son accomplissement personnel et dont Maxime Noiré fit une station à la mode.

Laghouat apparait comme le lieu de prédilection des peintres modernes, ainsi que Ghardaïa et le Mzab de manière générale, territoire préféré de Maurice Bouviolle et

de beaucoup d'autres. Et enfin le Hoggar, avec les nobles figures des Touareg qui captivèrent Paul-Élie Dubois parmi d'autres artistes qui aura alors (en 1921) « la

révélation de la lumière », selon sa propre expression. L’Algérie lui offre un

fabuleux décor, l’artiste est serein et comblé. Quelques années plus tard en 1928, faisant partie d’une mission scientifique chargée d’explorer le massif du Hoggar, il traverse les oasis de Laghouat, El Goléa et pénètre dans la plaine du Tidikelt. Seul avec ses guides touareg dans ces lieux désolés, il découvre bientôt le Hoggar et ses "cathédrales″207: l’Illaman, le Tahat, l’Assekrem du Père de Foucauld…. Paul-Elie Dubois est vu comme un observateur loyal qui intéresse tous les Sahariens et les

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BOUDJEDRA, Rachid, Un Algérien pour de vrai, http://www.bou-saada.net/Verschaffelt.htm

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amoureux du désert dont il rapporte à lui seul trois cents tableaux. Peintre et ethnologue, témoin de la vie des Touareg, il restitue par son œuvre fascinante la civilisation de ce peuple qui, outre l’intérêt documentaire, donne corps, forme et couleurs au monde touareg, à ce peuple du désert dans son univers de montagnes et de sable. Ce sont d’ailleurs, les notes prises au Hoggar qui serviront de support à la publication luxueuse de L’Atlantide de Pierre Benoit complétée par les illustrations208 des Chants du Hoggar d’Angèle Maraval-Berthoin et des Puritains

du désert209 d’André Chevrillon 210 où il laisse paraitre un art humain et profond.