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Considérations religieuses : le désert, espace des monothéistes

2. Désert et religions monothéistes

2.1. Le désert dans la Bible

2.2.1. Le désert, lieu de la Révélation Divine

Mohamed, jeune homme de la Mecque, avait pris l’habitude de rechercher la solitude en dehors des murs de sa ville dans une grotte109, pour s’adonner à une retraite spirituelle110 : une pratique consistant à la méditation. C’est en ce lieu de l’isolement que Dieu décide de s’adresser à lui à travers l’ange Gabriel qui prend

108 MIQUEL, André, L’Islam et sa civilisation, Paris, Armand Colin, 1977, p.15.

109 Dans la grotte El-Nour creusée dans le rocher de Hira.

110 Ou le Tahannuthe, que les Soufis appelleront plus tard Khalwat, terme en arabe évoquant l’idée ou le fait de se retirer d’un groupe, de faire le vide autour de soi, de rester seul : s’isoler.

la parole et dicte à Mohamed le prophète, frappé de terreur, dans la solitude nocturne du désert, les premiers versets de ce qui allait devenir le livre saint des Musulmans. Cet épisode dans le désert constitue le point de départ de la naissance de la civilisation arabo-musulmane, où ce lieu de la vacuité et de l’infinitude apparaît ainsi comme un facteur de retraite, de contemplation et d’isolement.

2.2 .2. El- Hidjra ou l’expatriment

Une autre étape tout aussi décisive dans la naissance de l’Islam est celle de la

Hidjra111 qui aura également pour cadre réel et symbolique le désert. En effet

Mohamed et ses compagnons, violemment persécutés par les Quoraïchites se sont vus ordonner par Dieu de quitter leur ville natale, La Mecque, pour une autre ville de la péninsule arabe, située à trois cents kilomètres, Médine. Et c’est le début de l’Hégire. En effet, le calendrier musulman débute par cet éminent acte de déplacement de Mohamed et de ses compagnons de La Mecque à Médine. Salah Stétié y relève un autre fait majeur hautement symbolique concernant le sable qui, dans la religion musulmane, est « (…) élevé à l’on ne sait quelle dignité spirituelle,

qui le relie à la raison d’être du monde »112.

Aussi, nul n’ignore l’importance de la disponibilité de l’eau chez les Musulmans, d’abord pour étancher leur soif mais aussi pour leurs ablutions rituelles quotidiennes :

« (…) Si profonde est sur la conscience des hommes du désert la prégnance

du lieu, que si l’eau, la précieuse, en vient à faire défaut pour les ablutions, il est recommandé de se tourner vers le sable, c'est-à-dire vers son antonyme :

Que [si] vous ne trouvez point d’eau Recourez à du bon sable

Que vous vous passerez sur le visage et ses les mains dit le coran en IV, 42 »113.

111

L’Hégire, soit l’émigration physique et migration spirituelle, mutation humaine et sociale d’où son importance extraordinaire en Islam.

112 Ibid.

113 STÉTIÉ, Salah, « L’Islam en ses déserts », Le Livre des Déserts, Itinéraires scientifiques, littéraires et

Le sable, composant essentiel du désert, devient ainsi l’égal de l’eau en détenant en lui le pouvoir immense de purification. Outre sa capacité purificatrice, il est capable d’offrir une dimension symbolique très fertile, dictée par le fait que le sable n’est pas seulement ce grain insignifiant que nous voyons, mais aussi tout ce qui détermine sa composition, à savoir, l’eau, la pierre, le vent et le soleil. Il peut constituer un signe, un symbole qui nous invite à la réflexion, à la transcendance afin de découvrir une signification cachée. Pour Karl Gustav Jung, élève de Freud, le symbole « désigne une entité inconnue difficile à saisir, et (…) jamais

entièrement définissable »114. Autrement dit, le sable peut être un symbole riche de sens cachés qui s’enracinent profondément dans nos lointains souvenirs, dans les mythes transmis ou dans nos rêves. L’importance du désert à travers ses grains de sable, dans la sensibilité arabo-musulmane s’en trouve bien confortée car il

« reste une dimension centrale de l’âme arabe et islamique, au point que chaque grain de sable de cet espace signé par la grandeur et la mort porte également selon la catégorie où il se place, un nom spécifique »115.

2.2 .3. Le désert dans le Coran

Comment est évoqué le désert dans le Coran, livre saint des Musulmans ? Salah Stétié a relevé dans une étude que même si « le livre saint de l’Islam respire

la splendeur terrible du lieu nu »116, il n’y est fait référence au désert qu’en une

seule occurrence : au verset 100 de la Sourate XII consacrée à l’histoire biblique de Youssef (Joseph) et ses frères. Après les avoir retrouvés et s’être fait connaitre :

« [Il] fit monter son père et sa mère sur le trône

Et ses frères tombèrent prosternés. Il dit :

"Ô mon père !

Voici l’explication de mon ancienne vision :

114 WUNENURGER, Jean-Jacques, La vie des Images, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p.48.

115

Ibid.

116

Mon seigneur l’a réalisée ; Il a été bon pour moi,

Lorsqu’il m’a fait sortir de la prison Et qu’il vous a fait sortir du désert″ ».

De nombreux épisodes ont pour cadre le désert mais sans qu’il soit nommément désigné comme tel dans le Coran. A titre d’exemple nous citons de nouveau l’histoire de Hadjer, chassée dans le désert avec son fils Ismaël par Ibrahim, et qui finissent par être sauvés grâce à l’intervention divine. Ils purent ainsi étancher leur soif au célèbre puits de Zemzem où, aujourd’hui encore, des dizaines de millions de pèlerins viennent chaque année se désaltérer rituellement, en mémoire de cette course éperdue dans le désert terrible d’Arabie, lui conférant de la sorte une forte charge symbolique.

Un autre épisode non moins important ayant pour cadre le désert, sans qu’il soit cité de manière explicite, est celui de l’histoire de la nativité de Jésus. C’est en effet dans les solitudes du désert que Marie, fuyant les siens, se réfugie, afin de donner le jour au Messie :

« Les douleurs surprirent Marie Auprès du tronc du palmier Elle dit :

"Malheur à moi !

Que ne suis-je déjà morte Totalement oubliée !″

L’enfant qui se trouvait à ses pieds l’appela : "Ne t’attriste pas

Ton Seigneur a fait jaillir un ruisseau à tes pieds. Secoue vers toi le tronc du palmier :

Il fera tomber sur toi des dattes fraiches et mûres : Mange, bois et cesse de pleurer" »

Suite à cet épisode miraculeux, Marie va jeûner et c’est ainsi qu’elle va intégrer le désert en elle par le biais de ce jeûne qui en est la dimension symbolique ; le jeûne dans un lieu aussi sévère ne peut être que pur et salvateur :

« Le jeûne de Marie sera, écrit Salah Stétié, désert dans le désert, une

Car Dieu interpellant Marie dans son esseulement lui ordonne :

« Lorsque tu verras quelque mortel Dis :

″ J’ai voué un jeûne au Miséricordieux, Je ne parlerai aujourd’hui à personne″ »

Comment mieux formuler la séparation d’avec le monde et la réclusion en Dieu que par ce silence imposé et que seul le rayonnement divin peut pénétrer ?

Le Coran mentionne un autre ″désert″ que Salah Stétié désigne comme étant celui du retrait et de ténèbres et qui concerne deux villes du désert (dans la Péninsule Arabique) rebelles aux prophètes envoyés par Dieu : Âd et Thamud117. Dieu décide la destruction de leurs populations qui seront maudites, ruinées et restituées au sable.

D’autres récits auront comme cadre le désert, notamment l’errance du peuple de Moïse sorti d’Égypte ou encore celui de la destruction des hommes d’Abraha, nommés ″hommes de l’éléphant″ dans le Coran, venus s’attaquer à la Kaâba.