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b) Le renouvellement du capitalisme par intégration de la critique autogestionnaire :

1.5. Méthodologie et corpus :

1.5.1. Une démarche « déductive » et « inductive »:

Ce travail optera dans un premier temps pour une démarche « hypothético-déductive », allant

« des lois et des principes posés comme des hypothèses aux faits d’expérience » (Guibert et Jumel, 1997). Il valorisera alors, dans sa méthodologie de recherche, le rôle de la théorie que l’on soumet à l’épreuve des faits.

Ce travail débutera ainsi par un premier chapitre précisant notre ancrage disciplinaire et épistémologique. Nous présenterons la discipline des Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), et plus particulièrement le champ de la communication organisationnelle, puis la pensée complexe d’Edgar Morin. Deux « cadres » qui nous permettront de développer une approche complexe, communicationnelle mais également critique des organisations qui nous semble des plus propices à la définition d’un idéal-type des organisations autogérées.

L’idéal-type est une méthode développée par Max Weber et présentée comme un moyen d’échapper aux jugements incontrôlés. Elle consiste à dégager les lignes de forces, les caractéristiques principales et les spécificités du phénomène étudié afin de dépasser l’imprécision du sens commun. Cette méthodologie nous permettra ainsi de faire de l’autogestion un véritable concept organisationnel dans le cadre théorique dessiné par les SIC et la pensée complexe.

Pour définir cet idéal-type, nous partirons des travaux de Pierre-Joseph Proudhon, considéré par Jean Bancal (1970 b) comme « le père de l’autogestion », et qui entretiennent de nombreuses similitudes avec la pensée complexe que nous tenterons d’éclairer. Proudhon n’ayant jamais eu ou pris le temps de rassembler ses idées, dispersées dans de nombreux ouvrages, nous nous baserons ici en grande partie sur le travail de synthèse effectué par Jean

Bancal (1967 ; 170 a ; 1970 b) et Pierre Ansart (1970 ; 1984) rapportant et analysant la pensée proudhonienne.

Nous ferons également appel aux « doctrinaires » de l’autogestion, comme les appelle Daniel Mothé (1980), « intellectuels » situés à l’extérieur des appareils politiques qui « réfléchissent à la logique interne de l’utopie, aussi bien par l’exégèse des textes des pères fondateurs que par l’analyse des grands événements historiques où l’autogestion est apparue ». Ceux-ci ont été particulièrement actifs pendant les années 1970 et 1980 et nous y retrouverons Daniel Mothé lui même7, Yvon Bourdet (1970 ; 1974), Henri Arvon (1966 ; 1980), Pierre Rosanvallon (1976) ou encore Cornélius Castoriadis.

Nous ferons en revanche beaucoup moins référence aux « politiques » autogestionnaires

« dont l’objectif est d’intégrer la croyance à un projet politique actuel en l’insérant dans ses rouages programmatiques » (Mothé, 1980), à l’exception de l’ouvrage d’Edmond Maire Demain l’autogestion (1976) considéré comme une référence.

Il est souvent reproché à ces « deux catégories » des doctrinaires et des politiques d’être coupées de la réalité des expérimentations autogestionnaires, risquant ainsi de conférer une allure par trop théorique à notre idéal-type. Comme le souligne Daniel Mothé (1980): « aucun des deux ne travaille vraiment sur la réalité vivante du fonctionnement concret des organisations existantes » à l’exception, précise-t-il dans une note de bas de page, de

« quelques sociologues en marge des organisations politiques ». Nous ferons ainsi appel à l’ouvrage de Renaud Sainsaulieu, Pierre-Eric Tixier et Marie-Odile Marty sur La démocratie dans les organisations (1983) et à celui d’Albert Meister sur La participation dans les associations (1974), que nous comptons parmi les rares textes offrant une vision concrète et fouillée des formes organisationnelles autogérées.

Ces deux dernières références ne nous encourageront cependant pas à sacrifier un travail de terrain que nous tenons pour nécessaire suite à l’élaboration d’un idéal-type. L’idéal-type n’a en effet aucune prétention à refléter la réalité, comme le soulignait d’ailleurs Max Weber (1995) lui-même qui se disait « aussi loin que possible de croire que la réalité historique se laisse ’’emprisonner’’ dans le schéma conceptuel ». L’idéal-type n’est qu’une abstraction, une représentation mentale qui aide le chercheur à penser et à questionner un phénomène. C’est avant tout un moyen de rendre intelligible des phénomènes sociaux complexes et multiformes tout en essayant d’échapper aux jugements hâtifs et superficiels du sens commun. Comme

7 Daniel Mothé ne cache en effet pas dans une note de bas de page de ce passage de son ouvrage qu’il fait lui-même parti de ces « doctrinaires »

l’explique Max Weber (1965) : « le concept idéal-typique (...) n'est pas un exposé du réel, mais se propose de doter l'exposé de moyens d'expression univoques ». Ainsi, l’idéal-type, une fois défini, n'a d'autre signification que celle d'un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants, et avec lequel on la compare. Un type idéal est ainsi une construction analytique qui sert à l'investigateur de tige de mesure pour établir des similitudes aussi bien que des déviations dans des cas concrets. Il fournit la méthode de base pour l'étude comparative, qui est celle que nous utiliserons dans la suite de ce travail.

Ainsi, nous limiter à un corpus théorique de ce type nous ferait courir le risque de construire un organigramme autogéré trop abstrait. D’où la nécessité de le « confronter à la pratique », qui est d’ailleurs l’objet même de ce travail de recherche, dans un mouvement « hypothético déductif ». La suite de ce travail sera ainsi consacrée à confronter cette idéal-type avec les pratiques concrètes des nouvelles formes organisationnelles et des formes organisationnelles autogérées.

Nous étudierons tout d’abord les discours et les pratiques de deux « nouvelles formes organisationnelles » caractéristiques de la société de l’information, de la communication et du savoir du fait de leur activité centré sur les TIC : l’agence régionale d’une SSII au fonctionnement proche d’une Business Unit et un éditeur de logiciels. Pour respecter l’anonymat de ces deux entreprises nous les nommerons SI et Log.

Ce deuxième chapitre débutera donc par une analyse des discours institutionnels de ces deux entreprises (sites Internet et Intranet, ouvrages et articles de revue) afin de souligner les nombreux emprunts faits à la rhétorique autogestionnaire. Nous nous placerons ici dans le prolongement des études menées par Luc Boltanski et Eve Chiapello sur le « nouvel esprit du capitalisme » (1999) tel qu’il se révèle dans les discours institutionnels afin de mieux comprendre la doctrine qui l’anime dans une perspective noologique.

Comme le souligne Nicole d’Almeida (2001), « le détour par l’examen de l’activité langagière et symbolique déployée autour du processus productif n’est ni stérile ni innocent. Il permet de comprendre le soubassement de l’activité économique, c’est-à-dire l’imbrication étroite et nécessaire du dire et du faire. Il n’est pas innocent car il engage une approche pragmatique et critique de la communication qui traque le non-dit du dit ». L’analyse de ces discours nous permet précisément de dépasser la simple logique fonctionnelle de la

communication d’entreprise et la simple dimension artefactuelle des organisations, pour nous permettre d’accéder à leur dimension symbolique.

Ce premier travail visant à mieux comprendre « la sève du mythe » (Morin, 2001) managérial actuel nous semble donc un préalable essentiel. Il n’est cependant pas suffisant pour comprendre réellement la portée des bouleversements organisationnels induits par la société de l’information, de la communication et du savoir. Si la noosphère doit être reconnue comme un terrain d’étude pertinent et utile comme nous le verrons avec Edgar Morin, son analyse doit être complétée par une étude fine des pratiques. Nous avons ainsi besoin de « joindre dialogiquement » « la pensée analogique-symbolique-mythologique-magique » et une approche plus « rationnelle-logique-empirique-technique » (Morin, 2001).

Ce travail se poursuivra donc par une analyse des pratiques organisationnelles mises en œuvre dans ces deux entreprises. L’objectif sera donc ici de dépasser le niveau des discours pour mieux comprendre la manière dont les emprunts à la rhétorique autogestionnaire se traduisent concrètement dans les pratiques de ces deux « nouvelles formes organisationnelles ». En effet, comme le souligne Anne Mayère (2006), « les recherches en SIC ont pu présenter certaines limites, notamment liées à leur focalisation sur la communication officielle. Les pratiques institutionnelles de communication ont pu être privilégiées au regard d’autres pans importants de la communication mobilisée dans la conduite même du travail, de ce qui a trait au rôle d’information et de la communication dans les processus de production et dans les relations de pouvoir ». Ce travail tentera donc de dépasser cette lacune en combinant ces deux approches : une analyse de la communication institutionnelle complétée par une analyse fine de la communication en situation de travail qui viendra éclairer les pratiques d’organisation du travail et les relations de pouvoir dans ces entreprises. Nous suivrons en ceci le conseil de Gaëtan Tremblay (1996) selon lequel « il faut procéder à des études minutieuses de l’organisation du travail, des modes de régulation et des usages sociaux avant d’inférer des propositions globalisantes sur la ’’révolution de l’information’’ ». Cependant, pour ne pas limiter nos constats à un niveau trop « micro », nous nourrirons nos constats avec des données secondaires dites de « deuxième main » (Carré, 2007) en nous appuyant sur divers rapports consacrés aux entreprises et métiers des TIC (Vendramin et Valenduc, 2002 ; Vendramin, 2004 ; Vendramin et Guffens, 2005).

La suite de ce chapitre optera pour une démarche « inductive » reposant sur un mouvement inverse au premier en « privilégi[ant] le cheminement des constatations particulières, tirées

d’observations de terrain, vers les concepts généraux » (Guibert et Jumel, 1997). Nous ferons ainsi dialoguer nos constats empiriques avec divers travaux scientifiques en SIC et, plus largement en sciences humaines et sociales (sociologie, psychosociologie, sociopsychanalyse, anthropologie, philosophie), pour éclairer les formes et modalités d’exercice du pouvoir et de la critique dans les nouvelles formes organisationnelles propres à la société de l’information, de la communication et du savoir. Nous adopterons ici la méthode préconisée par Karl Popper (1978) consistant à « essayer de découvrir ce que d’autres ont pensé et dit à propos de ce problème, pourquoi ils s’y sont attaqués, comment ils l’ont formulé, comment ils ont tenté de le résoudre ».

Le troisième chapitre sera consacré aux discours et pratiques des deux formes organisationnelles autogérées que nous nommerons Coopcom et Imprim’coop, en référence à leurs cœurs de métier respectifs qui sont la communication et l’impression.

Ce chapitre suivra une structuration similaire au précédent.

Nous commencerons par présenter les discours de ces deux coopératives pour souligner leur ancrage dans l’utopie autogestionnaire et les liens qu’ils entretiennent avec les discours des organisations précédemment étudiées.

Nous investirons ensuite leurs pratiques, des constats que nous alimenterons une fois de plus par des données secondaires de « deuxième main » en nous appuyant sur les ouvrages précédemment présentés de Renaud Sainsaulieu, Pierre-Eric Tixier et Marie-Odile Marty (1983) et d’Albert Meister (1974). Nous pourrons ainsi apprécier la portée réellement subversive et alternative des expérimentations autogestionnaires dans le contexte de la société de l’information, de la communication et du savoir.

Ici encore, nous ferons par la suite dialoguer ces constats avec divers travaux de recherche en sciences humaines et sociales (principalement en sociologie et philosophie) pour éclairer les limites et dérives de l’autogestion. Nous ferons également ici appel au témoignage laissé par quelques « praticiens » (Mothé, 2004) de l’autogestion, comme Charles Piaget (1973) de Lip ou Marcel Mermoz (1978) de la communauté de travail de Boimondau.

Pour conclure ce dernier chapitre, nous confronterons enfin les pratiques, mais également la portée et les effets de ces pratiques, des nouvelles formes organisationnelles et des formes organisationnelles autogérées pour mettre une ultime fois à l’épreuve la portée subversive de ces dernières.

Ce travail de recherche se propose donc de naviguer du « monde des idées » à celui des

« pratiques » pour proposer de nouvelles interprétations théoriques sur les phénomènes que nous étudierons.

Cette navigation entre les niveaux conceptuel et empirique dessinera ainsi un « mouvement pendulaire » que nous tenons pour nécessaire en sciences. Norbert Elias (1993) distingue en effet « deux niveaux de savoirs : celui des idées générales, des théories ou modèles, et celui de l’observation et de la perception de phénomènes déterminés » qui doivent toujours s’articuler : « ce dernier, s’il n’est pas suffisamment fécondé par le premier, demeure désordonné et confus. Le premier, s’il n’est pas suffisamment fécondé par le dernier, reste dominé par les sentiments et les produits de l’imagination ».