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complexe et communicationnelle des organisations :

1.4.1. Définition générale du terme :

Au sens littéral, le terme « autogestion » signifie « gestion pour soi même, ce qui implique la disparition des distinctions entre dirigeants et dirigés, donc la possibilité pour les individus de s’organiser collectivement tant dans la vie sociale que dans l’appareil productif » (Fay, 1996).

L’autogestion est l’exact contraire de ce que Alain Guillerm et Yvon Bourdet (1977 ; 1970 ; 1974 ; 1970) nomment l’ « hétérogestion » et qui renvoie à la « gestion par un autre » à la

« gestion (de mes affaires) par un autre que moi » impliquant irrémédiablement « une coupure sociale qui aboutit à deux classes d’hommes, ceux qui pensent et dirigent et ceux qui exécutent ou sont exécutés » légitimant ainsi « la relation du maître et de l’esclave ».

Une organisation autogérée est ainsi une organisation où « toutes les décisions sont prises par la collectivité qui est, chaque fois, concernée par l’objet de ces décisions. C’est-à-dire un système où ceux qui accomplissent une activité décident collectivement ce qu’ils ont à faire et comment le faire » (Castoriadis, 1979). L’autogestion « récuse [ainsi] catégoriquement la dissociation des tâches de préparation, conception, organisation, et de décision d’une part, et des tâches d’exécution pures et simples d’autre part » (Gjidara, 1998), « elle est totalement incompatible avec une séparation de ces deux catégories » (Castoriadis, 1979). Une organisation autogérée repose donc sur un partage égalitaire du pouvoir décisionnel et organisationnel entre tous ses membres, sur « le difficile équilibre d’un système polyarchique de l’autorité en vertu duquel le pouvoir sera distribué de façon égale » (Gjidara, 1998).

Dans le domaine particulier des entreprises, l’autogestion renvoie à la « gestion d’une unité de production par les travailleurs eux-mêmes »15 : « les décisions qui concernent les travailleurs d’un atelier doivent être prises par les travailleurs de cet atelier ; celles qui concernent plusieurs ateliers à la fois, par l’ensemble des travailleurs concernés ; celles qui concernent toute l’entreprise, par tout le personnel de l’entreprise » (Castoriadis, 1979). Ainsi, « une entreprise est [dite] autogérée lorsqu’elle est dirigée par les personnels qui la font fonctionner » (Tixier, 2000).

L’autogestion est donc avant tout la réappropriation de la décision par ceux qui auront à exécuter et mettre en oeuvre cette décision. Pourtant, pour beaucoup, l’autogestion se limite à la simple réappropriation des moyens de production par les travailleurs. Mais, tout comme le capitalisme ne peut se définir comme simple système économique, l’autogestion ne peut se réduire à la simple propriété collective. Sa mise en pratique et les conséquences qui en découlent sont en effet beaucoup plus larges.

Cette simplification semble liée au terme « autogestion » lui-même, que Henri Arvon (1980) estime « mal approprié ». Ce n’est pas le préfixe « auto » qui est ici en cause (au contraire, ce terme traduit bien l’idée d’autonomie et de réappropriation des décisions), mais la racine même du mot : le terme « gestion ». Cette notion est en effet « grevée de rationalité économique » et limite ce concept organisationnel à cette seule dimension matérielle, et par là même le dénature. Ainsi, pour Henri Arvon (1980), les termes anglo-saxons « self-government » et « self management » semblent beaucoup plus adéquats pour désigner ce modèle d’organisation particulier en élargissant son domaine d’application de la simple

15 Dictionnaire encyclopédique Quillet

dimension économique à sa dimension politique. En effet, « les termes anglo-saxons situent la notion d’autogestion dans l’ampleur humaine (…) combinant des aspects à la fois politiques et économiques ».

En se replaçant sur le terrain politique, l’idée d’autogestion acquiert ainsi un contenu beaucoup plus large en proposant de « créer un autre sens du mot politique : à savoir la prise en main, sans intermédiaires et à tous les niveaux, de toutes les affaires par tous les hommes » (Guillerm et Bourdet, 1975). C’est par cet ancrage politique même que l’autogestion se distingue de « la participation, [du] contrôle ouvrier et [des] coopératives [qui] ne concernent guère que la production et l’économie » (Guillerm et Bourdet, 1977).

En se donnant à voir comme un « mouvement qui vise à transformer la société et plus précisément à supprimer radicalement la société de classe en instaurant un système social qui s’organise sans créer de coupure entre dirigeants et exécutants » (Bourdet, 1970), l’autogestion a toute vocation à nous offrir une toute autre image de l’organisation que celle qui est généralement donnée, peinant à sortir de la sacro-sainte référence à la pyramide hiérarchique. En effet, comme nous venons de le voir, l’utopie autogestionnaire « ne conteste pas seulement une société dont la classe des capitalistes privés aurait été supprimée mais toute organisation sociale qui, pour une raison ou pour une autre, sous une forme ou sous une autre, perpétue la différence entre ceux qui dirigent et ceux qui obéissent » (Bourdet, 1970).

L’autogestion doit ainsi s’appréhender non « seulement comme un mode de gestion de l’entreprise, mais aussi comme une forme d’organisation sociale et communautaire » (Fortin, 1980).

C’est à la définition de cette « forme organisationnelle » particulière à l’autogestion que va être consacré l’idéal-type que nous allons élaborer dans la dernière partie de ce premier chapitre.

Cependant, pour pallier la polysémie, le flou, les approximations et la charge idéologique qui pèsent sur ce terme, il nous paraît nécessaire de revenir préalablement au fondateur de cette idée : Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) afin de comprendre en profondeur cette forme organisationnelle particulière à laquelle nous convie l’autogestion. Proudhon est en effet

« reconnu aujourd’hui comme le père de l’autogestion et l’inspirateur des diverses tentatives historiques pour réaliser un régime autogestionnaire » (Bancal, 1970 b), « toute son œuvre (…) apparaît à l’observateur comme un prodigieux effort pour dégager les fondements, les

éléments et la méthode d’une société autogestionnaire » (Bancal, 1970 b). Proudhon est par ailleurs l’un des grands fondateurs (oublié) de la sociologie. Son objectif était en effet

« d’étudier les rapports des hommes en société et de dégager, au-delà de toute contrainte extérieure, les lois qui les régissent effectivement » (Bancal, 1970 b). Une entreprise qui était à ses yeux directement liée au projet socialiste d’émancipation de la classe ouvrière :

« l’émancipation du prolétariat et l’organisation collective de la société (…) ne découleront pas (…) de l’application d’un système complet sorti du cerveau d’un révolutionnaire inspiré.

Ils résulteront de la constitution d’une science sociale, progressivement découverte et appliquée, par la société elle-même » (Bancal, 1970 b). Ainsi, « la constitution d’une science sociale et son corollaire, la construction d’un socialisme scientifique, apparaissent comme l’autodécouverte et l’auto-application par la société réelle des lois inhérentes à son développement » (Bancal, 1970 b).

Proudhon va ainsi s’attacher à partir du travail lui-même pour penser les phénomènes organisationnels et en offrir une image nourrissant de nombreuses similitudes avec celle proposée par la pensée complexe et la communication organisationnelle.

1.4.2. La pensée complexe du proudhonisme