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Autogestion et nouvelles formes organisationnelles dans la société de l'information, de la communication et du savoir

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Academic year: 2021

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Submitted on 19 Feb 2010

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Autogestion et nouvelles formes organisationnelles dans la société de l’information, de la communication et du

savoir

Suzy Canivenc

To cite this version:

Suzy Canivenc. Autogestion et nouvelles formes organisationnelles dans la société de l’information, de la communication et du savoir. domain_other. Université Rennes 2; Université Européenne de Bretagne, 2009. Français. �tel-00458192�

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Université Européenne de Bretagne, Rennes 2

UFR Arts, Lettres et Communication

Ecole Doctorale - Sciences Humaines et Sociales

Titre :

Autogestion et nouvelles formes organisationnelles dans la société de l’information, de la communication et du

savoir

Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Rennes 2

Discipline : Sciences de l’Information et de la Communication

Présentée par Suzy CANIVENC Directeur de thèse : Christian LE MOËNNE

Codirectrice de thèse : Catherine LONEUX

Soutenue le 09 novembre 2009

Jury :

Pr. Gino GRAMACCIA - Sciences de l’Information et de la Communication MC Michel DURAMPART - Sciences de l’Information et de la Communication

MC Silvie PARRINI-ALEMANNO - Sciences de l’Information et de la Communication Dr. Didier CHAUVIN - Sciences de l’Information et de la Communication

Pr. Catherine LONEUX - Sciences de l’Information et de la Communication Pr. Christian Le MOËNNE - Sciences de l’Information et de la Communication

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Avertissement

Le document initial e été retravaillé pour pouvoir être diffusé.

Certains éléments d’information mineurs susceptibles de nuire à l’anonymat des entreprises étudiées ont été modifiés. De même, plusieurs citations, notamment tirées des sites Internet des entreprises étudiées, ont été surlignées en noir (blablablablablabla) pour protéger leur anonymat.

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Remerciements :

Au terme de ce travail, je souhaiterais remercier plusieurs personnes m’ayant accompagnée dans cette aventure.

Au premier rang : mon directeur et ma co-directrice de thèse, Christian Le Moënne et Catherine Loneux, qui, de par la qualité de leur enseignement, ont largement contribué à l’intérêt aigu que je porte aujourd’hui aux sciences de l’information et de la communication et plus particulièrement au champ de la communication organisationnelle. Je les remercie tout particulièrement pour la large part d’autonomie qu’ils m’ont accordée dans ce travail tout en m’aiguillant sur des pistes de réflexions riches et porteuses.

Je souhaiterais remercier plus largement l’ensemble de l’équipe du PREFics - au dynamisme contagieux - qui m’a offert l’occasion de rencontres enrichissantes tant sur le plan intellectuel qu’humain.

Je remercie également toutes les personnes que j’ai pu rencontrer par le biais de ce travail : professionnels ou chercheurs croisés lors de congrès ou au sein de groupes de recherche et qui m’ont encouragée et nourrit de leurs témoignages, réflexions, remarques et commentaires.

Je salue tout particulièrement les « chercheurs engagés » et les « acteurs innovants » d’ACTE 1 (Acteurs, Chercheurs et Territoires de l’Economie sociale) pour l’énergie et l’enthousiasme qu’ils me communiquent à chacune de nos rencontres.

Je souhaiterais également remercier l’ensemble des membres des quatre entreprises qui forment la matière première de ce travail pour leur accueil, leur gentillesse, le temps que chacun m’a accordé et les débats - parfois contradictoires et toujours stimulants- que nous avons eus.

Je remercie enfin l’ensemble des mes proches, famille et amis, pour leur soutien sans faille.

Je tiens à remercier tout particulièrement mes parents pour leur confiance ainsi qu’Aurélien Charrière pour l’aide qu’il m’a apporté dans ce travail et bien plus encore…

Tous mes remerciements à ces personnes qui ont participé à faire de ces trois ans de doctorat une expérience inoubliable !

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Sommaire

INTRODUCTION...9

1.1. Origine de cette recherche : l’émergence d’un nouveau régime socio-technico- économique et de nouvelles formes organisationnelles:... 9

1.2. Objectifs de cette recherche : ... 30

1.3. Problématique : ... 32

1.4. Présentation des hypothèses dans une perspective critique : ... 32

1.5. Méthodologie et corpus :... 35

1.CHAP.I. CADRE THEORIQUEET DEFINITION DUN IDEAL-TYPE DES FORMES ORGANISATIONNELLES AUTOGEREES:...63

1.1. Introduction :... 64

1.2. Les SIC et la communication organisationnelle : ... 66

1.2.1. Définition du champ de la communication organisationnelle :... 66

1.2.2. Une rupture quant aux approches classiques de la communication d’entreprise : ………...69

1.3. La pensée complexe ... 77

1.3.1. Définition : le paradigme de la complexité ... 77

1.3.2. La conception complexe des processus organisationnels : ... 81

1.3.3. La portée politique de la pensée complexe : repenser la révolution en restant lucide, reconnaître le mythos dans le logos en restant autocritique : ... 95

1.4. L’autogestion, un objet d’étude pertinent pour une approche complexe et communicationnelle des organisations :... 100

1.4.1. Définition générale du terme :... 101

1.4.2. La pensée complexe du proudhonisme autogestionnaire : ... 104

1.4.3. Elaboration d’un idéal-type et mise en lumière de la place centrale des activités informationnelles, communicationnelles et cognitives au sein des formes organisationnelles autogérées :... 122

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2. CHAP.II.LES NOUVELLES FORMES ORGANISATIONNELLES : 133

2.1. Introduction :... 134

2.2. Les discours des nouvelles formes organisationnelles : ... 138

2.2.1. Le discours d’engagement du GDE : ... 138

2.2.2. Le discours de la maisonnée de SI : ... 158

2.3. Les pratiques des nouvelles formes organisationnelles : ... 166

2.3.1. La socialisation de l’information, de la communication et du savoir : une socialisation limitée par une coupure entre les domaines techniques et stratégiques et entravée par le manque de structuration :... 167

2.3.2. La socialisation du pouvoir : une relation hiérarchique gommée par la proximité entre dirigeants et dirigés, une autonomie et une responsabilisation « cadrées » :... 189

2.3.3. Socialisation des valeurs : culture technique et fracture idéologique : ... 208

2.3.4. Les relations à l’environnement et la constitution de réseaux : ... 216

2.3.5. Bilan : Une autogestion limitée au microniveau : ... 223

2.4. Pouvoir et critique dans les nouvelles formes organisationnelles :... 241

2.4.1. Les formes et modalités d’exercice du pouvoir dans les nouvelles formes organisationnelles :... 241

2.4.2. Les formes et modalités d’exercice de la critique dans les nouvelles formes organisationnelles de la société de l’information, de la communication et du savoir :.. 319

2.5. Conclusion : ... 353

3. CHAP.III.LES FORMES ORGANISATIONNELLES AUTOGEREES : ………356

3.1. Introduction :... 357

3.2. Les discours des formes organisationnelles autogérées: ... 362

3.2.1. La socialisation du pouvoir : ... 362

3.2.2. La socialisation de l’information : ... 364

3.2.3. La socialisation de la communication : ... 365

3.2.4. La socialisation du savoir :... 365

3.2.5. La socialisation des valeurs et la culture d’entreprise:... 368

3.2.6. Les relations à l’environnement et la constitution de réseaux : ... 369

3.3. Les pratiques des formes organisationnelles autogérées : ... 373

3.3.1. La socialisation de l’information, de la communication et du savoir : une transparence, un droit d’expression et une formation complète entravés par la taille croissante, la spécialisation et les mauvaises relations internes :... 374

3.3.2. La socialisation du pouvoir : des leaders mobiles et pluriels mais parfois autoproclamés et néfastes, une responsabilisation nécessitant un fort investissement .. 395

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3.3.3. La socialisation des valeurs : une culture basée sur une idéologie

politique engendrant une pression normative lorsqu’elle est trop forte ou un éclatement

de l’entreprise lorsqu’elle s’essouffle: ... 402

3.3.4. Les relations à l’environnement et la constitution de réseaux ... 414

3.3.5. Bilan : des pratiques alternatives qui interrogent : ... 425

3.4. Limites des formes organisationnelles autogérées à l’heure de la société de l’information, de la communication et des savoirs... 450

3.4.1. Un modèle décalé : ... 450

3.4.2. Un modèle limité :... 503

3.4.3. Les dérives d’un modèle ou les effets paradoxaux de l’autogestion :... 520

3.5. L’autogestion, un modèle réellement subversif quant au management contemporain ? ... 565

3.5.1. Le brouillage des frontières :... 572

3.5.2. La soumission librement consentie : ... 578

3.5.3. L’accaparement des questions stratégiques : ... 580

3.5.4. Les managers des nouvelles formes organisationnelles et les leaders des organisations autogérées : profils, objectifs et pratiques : ... 585

3.6. Conclusion : ... 588

CONCLUSION : UNE LECTURE CRITIQUE DES APPORTS DE CETTE RECHERCHE : ...591

1.1. Le potentiel révolutionnaire des « nouvelles formes organisationnelles » de la société de l’information, de la communication et du savoir :... 592

1.2. Le potentiel subversif des formes organisationnelles autogérées dans le contexte de la société de l’information, de la communication et du savoir :... 599

1.3. Vers de nouveaux terrains d’investigation : ... 609

1.4. La place de la critique, du savoir et de l’imaginaire dans les processus de changement socio-organisationnel :... 613

1.5. Un final en forme de boucle récursive : l’approche complexe des organisations en question : ... 633

BIBLIOGRAPHIE...637

TABLE DES ANNEXES...668

TABLE DES MATIERES ...670

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Introduction

1.1. Origine de cette recherche :

l’émergence d’un nouveau régime socio- technico-économique et de nouvelles formes organisationnelles:

1.1.1. La société post-industrielle de l’information, de la communication et du savoir :

Nous connaîtrions actuellement une période profondément « révolutionnaire » liée à l’émergence d’un nouveau type de société marqué par de multiples bouleversements tant culturels, sociaux, technologiques qu’économiques appelant les formes organisationnelles à se renouveler en profondeur.

Cette période de mutation se traduirait par les passages des sociétés dites « industrielles », basées sur l’exploitation de matières premières à l’aide de la force physique, à une nouvelle forme de société où les notions « immatérielles » d’information, de communication et de savoir occupent la place centrale.

La généalogie de ce nouveau régime socio-technico-économique n’est pas des plus simples à réaliser. Tout d’abord, de nombreux qualificatifs lui ont été associés pour le caractériser : société « post-industrielle », « société de l’information », « société de la communication », et, plus récemment « société du savoir » ou « de la connaissance ». De plus, ces qualificatifs sont parfois polysémiques et viennent se chevaucher. Enfin, la description de cette nouvelle société en émergence a souvent été l’œuvre de futurologues et prospectivistes dans les années 1970, puis, dans les années 1990, de publicistes et de « décideurs » politiques ou économiques. Il est donc difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de l’analyse, de l’utopie, de la croyance, du mythe ou encore de la simple stratégie marketing ou électorale.

Nous en proposons ici une brève présentation qui n’a pas vocation à être exhaustive et rigoureuse mais qui cherche avant tout à « planter le décor » de notre travail de recherche.

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a) La société post-industrielle :

L’idée du passage d’une société fondée sur le production matérielle, issue de la naissance de l’industrie au XIXème siècle, à une époque fondée sur le traitement de l’information est majoritairement rattachée à la figure de Daniel Bell et à son ouvrage de 1973 The Coming of Post-Industrial Society (traduit en français en 1976 sous le titre : Vers la société post- industrielle). Daniel Bell y avance l’émergence d’un nouveau type de société axée sur la connaissance théorique et centrée sur les services opérant un transfert de pouvoir des détenteurs de capital aux producteurs de savoir. Daniel Bell affirme ainsi que « la société post-industrielle est fondée sur les services. Le jeu s’y déroule entre les personnes. Ce qui compte désormais, c’est ni le muscle, ni l’énergie, mais l’information ».

Une nouvelle ère de production qui vient bouleverser la structure économique, l’organisation de la production et les rapports de travail mais qui marque plus globalement un véritable changement civilisationnel puisque ce développement des services, des ressources informationnelles et du savoir théorique offre « la promesse d’une société moins fracturée par les idéologies et les antagonismes sociaux » avec la perspective « d’une évacuation de la problématique du pouvoir ou de la domination au profit de la vision d’une société plus égalitaire, plus polycentrique »(Neveu, 2006). Ainsi, la société post-industrielle annonce rien de moins que « la fin des idéologies, l’apaisement des passions politiques, le nivellement des hiérarchies, et, surtout, l’émergence d’une nouvelle forme de richesse : le savoir » (Journet, 2005).

La société post-industrielle a pendant longtemps été appréhendée comme étant fondée sur l’avènement du secteur tertiaire au détriment du secteur secondaire, qui s’était lui-même substitué au secteur primaire dans les années 1850. Cette conception simpliste et compartimentée des activités économiques fut par la suite critiquée par de nombreux auteurs.

Ils mirent en avant non pas l’explosion du secteur tertiaire au détriment des deux autres mais sa propagation à toutes les activités économiques comme caractéristique de la société actuellement en émergence, un phénomène nommé « tertiarisation de l’économie ». Comme l’explique Jean Lojkine (1992) : « de nombreuses recherches internationales menées notamment en économie et sociologie industrielles invalident aujourd’hui complètement ces thèses (…) l’information ne se substitue pas à la production, pas plus que l’industrie est remplacée par les services. On assiste bien plutôt à une interpénétration nouvelle entre information et production ».

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Ainsi, les tâches de production de connaissances et de traitement de l’information ont désormais envahi toutes les activités économiques, y compris dans les secteurs à priori éloignés des services. « En d’autres termes, l’avènement de l’économie fondée sur la connaissance s’exprimerait moins par l’expansion continue d’un secteur spécialisé que par la prolifération d’activités intensives en connaissance, dans tous les secteurs de l’économie » (Foray, Lundvall, 1997). Un phénomène qu’Hugues De Jouvenel illustre de deux exemples particulièrement éclairants :

Ainsi, le prix du beurre dépend-il pour environ un quart du travail agricole stricto sensu, les trois-quarts restant correspondant à des activités à caractère tertiaire telles que la recherche et le développement sur les semences, les intrants, les aliments, le progrès génétique sur les plantes et les animaux, la gestion des stocks, le système de distribution et de conservation (la chaîne du froid), la publicité, le marketing, les services financiers.

(…) Le processus, identique pour tous les produits agricoles, est encore plus saisissant dans le domaine des industries traditionnelles et à fortiori dans les industries de haute technologie. Ainsi, le coût d’une automobile dépend-il de moins en moins de celui de la tôle ou du plastique utilisé, des coûts salariaux du personnel attaché au travail de la matière, mais de plus en plus des dépenses effectuées par son fabricant en recherche et développement, ingénierie de conception et de design, publicité, marketing, services financiers. Nous assistons ainsi à un déplacement des principales sources de valeur ajoutée, du traitement direct de la matière vers la maîtrise de ’’l’immatériel’’, d’où l’expression courante utilisée pour qualifier cette mutation de ’’Révolution de l’intelligence’’. L’investissement immatériel (recherche et développement, formation, logiciel, publicité, gestion et organisation) croît désormais plus rapidement que l’investissement physique (De Jouvenel, 1995).

Certains, à l’instar de Pierre Lévy (1995), tiennent toutefois à nuancer cette conception: « la tertiarisation, en elle-même, ne se réduit pas non plus à un pur et simple déplacement des activités industrielles vers les services. En effet, le monde des services est de plus en plus envahi par des objets techniques, ils ’’s’industrialisent’’». A travers ce phénomène concomitant d’ « industrialisation du tertiaire », Pierre Lévy (1995) nuance plus largement l’importance du traitement de l’information producteur de connaissances dans le nouveau régime économique actuellement en émergence pour en proposer une conception bien plus large : « rien ne s’automatise aussi bien et aussi vite que le traitement de l’information. (…) L’économie tournera – tourne déjà – autour de ce qui ne s’automatisera jamais complètement,

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autour de l’irréductible : la production de lien social, le ’’relationnel’’. Nous ne parlons pas seulement d’une économie des connaissances, mais d’une économie de l’humain, plus générale, qui comprend l’économie de la connaissance comme un de ses sous-ensembles ».

Une idée que semble soutenir Nicolas Garnham (2000) évoquant les résultats d’une étude australienne démontrant « que c’est la demande en compétences relationnelles – et non cognitives – qui s’est le plus nettement accrue ».

b) La société de l’information :

L’émergence de la « société de l’information » est souvent rattachée à Daniel Bell, dans la droite ligne de ses travaux précédemment présentés. Ainsi, pour Bernard Miège (1995), la société de l’information fut « introduite voici plus de trente ans par des sociologues prospectivistes parmi lesquels se détache la figure de Daniel Bell ». Bernard Miège (1995) distingue cependant « deux définitions principales » de la société de l’information : une, largement évoquée précédemment, renvoyant au primat des activités informationnelles, l’autre soulignant le poids grandissant des technologies de l’information et de la communication (TIC).

Dans cette seconde perspective, beaucoup attribuent également la paternité de la « société de l’information » à Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique dans les années 1940. A travers cette « cybernétique », Norbert Wiener proposait en effet non pas une nouvelle discipline s’intéressant aux phénomènes communicationnels, mais bien plus un nouveau cadre épistémologique situant l’information au cœur des phénomènes tant physiques, biologiques, que sociaux, un véritable « paradigme informationnel » comme le nomment Philippe Breton et Serge Proulx (2002).

La cybernétique apparaît clairement en réaction à la barbarie qui marqua les deux premières guerres mondiales. Son projet est simple : faire des nouvelles technologies de l’informatique les nouveaux garants d’une société transparente et harmonieuse là où les hommes politiques, aveuglés par « les idéologies de la barbarie », ont failli. La société de l’information issue de la cybernétique se veut ainsi une alternative aux modes d’organisation politique de la société.

Les prospectives de Norbert Wiener s’ancrent donc moins dans l’univers économique (contrairement à Daniel Bell) que dans celui des techniques. Pour autant, il n’en annonce pas moins lui aussi l’avènement d’un véritable bouleversement civilisationnel, comme nous l’expliquent Philippe Breton et Serge Proulx :

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La légitimité de cette ’’nouvelle société’’ procèderait d’un triple raisonnement déterministe. D’abord nous assisterions à une révolution technique dans le domaine de l’information, de son traitement, de sa conservation et de son transport. Ensuite, cette révolution provoquerait des changements en profondeur des structures de nos sociétés et même de nos civilisations. Enfin, ce bouleversement serait pour l’essentiel positif et à l’origine d’une société plus ’’égalitaire’’, plus ’’démocratique’’ et plus ’’prospère’’.

Cette société de l’information se substituerait à la ’’société industrielle’’, hiérarchisée et bureaucratisée, violente, livrée au hasard et à la désorganisation (Breton et Proulx, 2002) Cette vision techniciste d’une révolution politico-sociale en cours se retrouve tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle. A cet égard, Erik Neveu (2006) identifie trois écrits qui participent à véhiculer cette idée : l’ouvrage Between two ages. America’s role in the technetronic area de Zbiniew Brzezinski annonçant « l’émergence d’un monde, naissant de la fusion progressive entre télévision, télécommunications et informatique, dans lequel l’information et la maîtrise des réseaux seraient la clé de la croissance » ; le rapport Nora- Minc sur L’informatisation de la société rédigé en 1978 où « le développement des réseaux mondiaux de communication est présenté comme le principe actif des mutations sociales à venir » : déclin des souverainetés étatiques, globalisation planétaire des flux de communications, décentralisation généralisée et conquête d’espaces d’autonomie par les agents sociaux et les cellules de base du social, difficulté à venir des grandes organisations, déclin des identités de classes, sociabilité en réseaux, transparence du social, nouvelle croissance ; et enfin l’intervention de l’ingénieur général Voge au cinquième congrès Inforcom organisé par la SFSIC en 1986 constatant l’inadaptation des « pyramides centralisées et des chaînes tayloriennes de production » aux impératifs et possibilités des nouvelles technologies qui imposeront une décentralisation généralisée, des réseaux maillés, cellulaires où prédominent les boucles conviviales d’interaction.

On la retrouve encore à l’aube du XXIème siècle avec le Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI) de Genève où les TIC sont mises au centre de cette « société à dimension humaine, inclusive » que le SMSI souhaite encourager pour « promouvoir les objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, à savoir l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité homme-femme et l’autonomie des femmes, la lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies, la

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durabilité de l’environnement propice à l’instauration d’un monde plus pacifique, plus juste et plus prospère »1. Vaste programme…

Ces discours faisant des technologies de l’information et de la communication l’acteur central de la « société de l’information » à l’origine d’une multitude de bouleversements économico- socio-politiques ont attiré de multiples critiques. Comme le souligne Yves Jeanneret (2005) :

« ces discours élastiques rattachent à peu près tout et n’importe quoi en une expression qui se présente comme un signe fuyant. Ce qui rend tragiquement impossible le projet de savoir de quoi il peut s’agir vraiment et, a fortiori, de mesurer les enjeux et les effets possibles de toute prise de position ». L’expression de « société de l’information » est ainsi devenue pour cet auteur une «pseudo-notion » génératrice d’obscurantisme, un « ’’trou noir’’ sémantique et sans cesse chargée d’enjeux renouvelés » (Jeanneret, 2005).

De plus, comme le souligne justement cet auteur, « toutes les sociétés ont, de toute date, reposé sur des modes de gestion de l’information, et définir la nôtre comme ’’la société de l’information’’ donne une étrange publicité à une idée assez naïve » (Jeanneret, 2005).

Enfin, on constate, tant dans les discours de Norbert Wiener que dans ceux, plus récents, du SMSI, une tendance à mélanger les concepts d’information, de communication et de savoir.

Comme le remarquent Philippe Breton et Serge Proulx (2002), si Norbert Wiener utilise exclusivement le terme d’ « information » dans ces premiers écrits, son ouvrage de 1948 Cybernetics fait amplement référence à la notion de « communication », au point d’en devenir l’un des axes central de sa définition : « science de la communication et du contrôle ».

De son côté, la déclaration de principe du SMSI mélange information, communication, savoir sans se préoccuper des différences sémantiques qui distinguent et articulent ces trois notions :

Nous sommes fermement convaincus qu’ensemble nous entrons dans une nouvelle ère à l’immense potentiel, celle de la société de l’information et de la communication élargie entre les hommes. Dans cette société naissante, l’information et le savoir peuvent être produits, échangés, partagés et communiqués au moyen de tous les réseaux de la planète (…). Une nouvelle société de l’information basée sur le savoir partagé et fondée sur une solidarité mondiale et sur une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples et les

1 Déclaration de principes du SMSI de Genève. Retranscrit Dans MATHIEN, Michel (dir.). La « société de l’information », entre mythes et réalités. Bruxelles : Bruylant, 435 pages. ISBN : 2-8027-2039-2

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nations. Nous ne doutons pas que ces mesures ouvriront la voie à l’édification d’une véritable société du savoir2

c) La société de la communication :

Des convergences sont certes envisageables entre les notions d’ « information » et de

« communication ». La communication peut en effet être considérée comme un

« comportement d’échange d’informations », comme l’a souligné Norbert Wiener3. Beaucoup d’auteurs considèrent ainsi « la théorie de l’information comme un chapitre d’une théorie générale des communications » (Miège, 1995). Une relation quasi organique entre information et communication que l’on retrouve chez Robert Escarpit: « toute communication comporte la saisie, le transfert et le traitement d’informations »4. De même, pour Jean Meyriat

Notre idée était que la communication est un processus dont l’information est le contenu ; l’une ne peut donc être comprise sans l’autre, l’étude de l’une et de l’autre ne fait qu’un (…) L’information ne peut être conçue que communiquée (ou communicable), sans quoi elle ne se distingue pas de la connaissance. Et la communication (humaine) ne mérite d’être l’objet d’une science autonome que si elle engendre information, sans quoi elle se dissout dans l’océan sans rivages des relations de quelque sorte que ce soit entre les humains (Meyriat, 1986)

Certains auteurs tiennent cependant à maintenir une distinction claire entre ces deux notions en rapprochant le terme d’information de la théorie mathématique de l’information shannonienne à laquelle on reproche d’exclure la prise en compte de toute signification, alors que le terme de communication se rapprocherait plus de la cybernétique winerienne, une théorie considérée comme plus riche du fait du concept de « feed-back (ou rétroaction) lui permettant de prendre en compte les réactions des lecteurs ou usagers » (Miège, 1995).

Face à cette expression réductionniste de « société de l’information » largement teintée de déterminisme technique, certains lui préfèrent donc celle de « société de la communication », à l’instar d’Erik Neveu (2006) : « parce que la communication est plus riche des connotations de l’échange, de la rencontre, du partage, moins marquée par une résonance technique ou

2 Déclaration de principes du SMSI de Genève. Retranscrit Dans MATHIEN, Michel (dir.). La « société de l’information », entre mythes et réalités. Bruxelles : Bruylant, 435 pages. ISBN : 2-8027-2039-2

3 Cité Dans MIEGE, Bernard (1995). La pensée communicationnelle. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 120 pages. ISBN : 2-7061-0621-2

4 ESCARPIT, Robert (1977). « Critique de la terminologie de l’information et de la communication ». SFSIC.

Cité Dans MIEGE, Bernard (1995). La pensée communicationnelle. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 120 pages. ISBN : 2-7061-0621-2

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cognitive, elle demeure un signifiant plus riche, plus séduisant dans ses déclinaisons grand public. (…) parce qu’elle introduit une arôme spirituel, une composante affective, la communication est loin d’avoir perdu dans la compétition visant à attribuer un nom de baptême – ou plutôt un copyright !- à la société émergente du XXIème siècle ».

Cette bataille sémantique n’en change pas pour autant le contenu des bouleversements annoncés puisque ici encore, « les réseaux de communication sont aussi promesses de transparence, de démocratie, générateurs de connexions qui brisent l’atomisation de la société de masse » (Neveu, 2006).

d) La société du savoir :

L’expression de « société du savoir », que l’on retrouve également sous le vocable de

« société de la connaissance », est plus récente.

Ce nouveau glissement sémantique semble lui aussi témoigner d’une volonté de dépasser les visions réductrices et technicistes précédentes.

Ainsi pour Gérard Valenduc (2005), ce glissement permet de « retracer un itinéraire conceptuel qui part d’une approche de la société post-industrielle nettement imprégnée de déterminisme technologique, pour s’achever (provisoirement sans doute) sur la notion de société de la connaissance, qui accorde un rôle prépondérant au capital humain et au capital social ». Ainsi, « parler de société de la connaissance c’est mettre l’accent sur de nouvelles dimensions : le savoir, l’apprentissage, la culture ».

De même, pour l’UNESCO (2005), « la notion de société de l’information repose sur des progrès technologiques. Celle de sociétés du savoir inclut pour sa part des dimensions sociales, éthiques et politiques bien plus vastes ».

La notion de « société de la connaissance » ou sa variante « société du savoir » représente ainsi une « alternative » (Burch, 2005) aux acceptions par trop économistes et technicistes antérieures.

Elle semble également avoir émergé de la nécessité de mieux distinguer les notions d’ « information » et de « savoir » qui sont encore trop facilement prises pour des équivalents.

Comme le souligne Yves Jeanneret (2000) : « l’erreur fondamentale suppose une continuité entre information, connaissance et savoir ». Cet auteur fustige ainsi « les auteurs qui

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s’expriment sur la question [et qui] ressassent un discours péremptoire sur la ’’société de l’apprentissage’’, sans avoir perdu de temps à apprendre comment les savoirs se diffusent dans la société ».

L’emploi de cette expression et la définition de son contenu nécessitent donc au préalable de distinguer ces différents termes qui sont, ici encore, largement symbiotiques.

Pour Edgar Morin (2005) « la connaissance est ce qui permet de situer l’information, de la contextualiser et de la globaliser, c’est-à-dire de la placer dans un ensemble. (…) Ainsi, la connaissance est l’organisation non seulement des informations, mais également des données cognitives ». De même, pour Erik Neveu (2006) : « la connaissance renvoie aux cadres cognitifs qui permettent de poser les questions et par là de sélectionner et traiter l’information pertinente ». Une idée que l’on retrouve encore dans le rapport mondial de l’Unesco sur « les sociétés du savoir » :

La transformation d’une information en savoir suppose un travail de réflexion. En tant que telle, une information n’est qu’une donnée brute, la matière première de l’élaboration d’un savoir (…). Le caractère réflexif du jugement requis par la transformation d’une information en savoir en fait davantage qu’une simple vérification des faits. Il implique la maîtrise de certaines compétences cognitives, critiques et théoriques, dont le développement est précisément l’objet des sociétés du savoir. Si l’on peut se noyer dans le flot des informations, le savoir est précisément ce qui permet de

’’s’orienter dans la pensée’’ (UNESCO, 2005)

La connaissance correspond donc à de l’information signifiante dans un certain contexte.

L'information ne devient connaissance que lorsqu'elle est appropriée par un individu et qu'elle fait sens pour lui, quand elle est intégrée dans une problématisation et une interprétation du réel, c'est-à-dire quand elle fournit une réponse à une interrogation problématique sur un fait ou un évènement qui sollicite l'intelligence et la mémoire de l'individu.

Ce qui serait en jeu dans la nouvelle société en émergence ce serait donc non seulement la possibilité d’accéder à une multitude d’informations mais également la capacité de les sélectionner et de les « traiter », c’est-à-dire de leur donner un sens en les contextualisant.

Ce n’est donc plus le simple échange d’informations, de données brutes qui est ici en jeu, mais la compréhension, l’intériorisation puis l’extériorisation des ces informations leur conférant un statut de connaissance puis de savoir. C’est donc l’intelligence qui devient la

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variable organisationnelle, et donc productive, de base au travers des processus informationnels et communicationnels.

Ainsi, dans ce nouveau contexte, non seulement les informations circulent (contrairement aux régimes politico-sociaux précédents basés sur le secret et la rétention d’informations), mais plus encore la capacité de les traiter se répand offrant à tous la possibilité d’être acteur de la nouvelle société en émergence. Une évolution qui semble avérée par l’ « accroissement des niveaux de scolarisation qui modifie la nature et le volume du capital culturel détenu par les occupants de positions sociales très variées » (Neveu, 2006).

Ainsi, « le savoir n’est plus le monopole d’une classe particulière de citoyens » (Vercellone, 2003), une nouvelle donne propice au développement de la « participation du plus grand nombre », à « l’autonomisation (empowerment) des individus » et à « un renouveau des pratiques démocratiques » pour l’Unesco (2005).

Ici encore s’offre donc à nous la promesse d’une société moins hiérarchique, plus égalitaire et démocratique. L’Unesco (2005) souligne ainsi le « lien profond qui unit sociétés de savoir et démocratie ».

L’émergence de ce nouveau régime socio-économique centré sur les facteurs immatériels que sont l’information, la communication, les connaissances et le savoir, mais aussi plus largement le « relationnel » et le « lien social » comme l’a souligné Pierre Lévy (1995), engendre un renouvellement de la conception avec laquelle sont appréhendées l’activité du travail et les organisations dans lesquelles cette activité prend place : les entreprises. Ce renouvellement offrirait la promesse d’enfin dépasser les conceptions traditionnelles du travail et de l’entreprise héritées du XIXème siècle et critiquées depuis nombre d’années mais dont l’emprise reste forte : « une autre économie est en train de se développer qui obéit à des

’’règles’’ toutes nouvelles rendant caduques bon nombre des théories classiques auxquelles toutefois on accorde encore trop souvent un crédit excessif » (De Jouvenel, 1995).

Les conceptualisations de l’entreprise et de l’organisation du travail seraient en passe de quitter définitivement le terrain théorique qui les a fait naître, celui du taylorisme : « les formes d’organisation héritées de l’ère du taylorisme, à caractère pyramidal et relativement statique, s’avèrent de moins en moins adaptées. (…) Nous irons vers des formes d’organisation au sein desquelles l’intelligence de tous devra être mobilisée et qui

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nécessiteront moins de cadres, moins d’instructions de haut en bas, plus de transversalité et de coopération »(De Jouvenel, 1995).

1.1.2. Réhabilitation du travail :

Le passage à ce nouveau régime technico-socio-économique s’accompagne ainsi « de changements fondamentaux dans la nature du travail humain » (Perret, 1995), d’un

« bouleversement de la manière dont travaillent les hommes et les femmes » (Duval et Jacot, 1995). C’est en effet à un renouvellement complet de la conception du travail que nous enjoint l’émergence de ce nouveau type de société fondé sur l’information, la communication et le savoir nécessitant une nouvelle « génération d’ouvriers intelligents, en opposition à ceux auxquels Taylor demandait de ne pas penser » (De Beer, 1995).

Dans la société post-industrielle, le travail devient certes « plus intellectuel, mais il devient également plus autonome et plus relationnel » (Perret, 1995). Ainsi, la place du savoir et des connaissances progresse pour devenir centrale mais s’accompagne également de la recherche de nouvelles qualités humaines.

Beaucoup identifient ces nouvelles qualités par le terme de « savoir-être », en opposition à ceux de savoir et de savoir faire qui dominaient la conception taylorienne.

D’autres, tels Philippe Zarifian (2006 b), soulignent le passage d’un modèle de la qualification au modèle de la compétence accompagnant « la crise du taylorisme ». Dans le premier modèle, « les qualités humaines ne sont alors définies que comme celles requises pour réaliser ces tâches prescrites à chaque type de poste de travail (…) Les individualités humaines n'y occupent aucune place. Les humains ne sont perçus, évalués et commandés qu'en fonction des caractéristiques des postes ». Dans le second « le pivot en consiste à qualifier directement les individus (et les réseaux d'individus) du point de vue des qualités professionnelles qu'ils ont acquises et mobilisent en situation de travail. Le mot "compétence" est utilisé pour désigner ces qualités ». Philippe Zarifian propose ainsi de définir la « compétence » comme « une attitude de prise d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge ».

Bernard Perret (1995) parle pour sa part de « qualification sociale » : « cette expression désigne un ensemble de compétences mises en jeu dans la vie en société, telle que la maîtrise du langage et des outils de communication, la flexibilité comportementale, l’intuition

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stratégique, tout ce qui permet de se situer dans un environnement social complexe et, plus généralement, tout ce qui permet de s’intégrer dans un groupe et de participer à des activités collectives ».

Ainsi, une pluralité de qualités caractérise désormais le travail contemporain : autonomie, esprit d’initiative, capacités cognitives (et notamment capacité d’apprendre en permanence mais surtout d’apprendre à apprendre), compétences relationnelles et aptitudes à communiquer, à coopérer et à travailler en équipe, à s’adapter à des situations changeantes et à s’impliquer dans son travail, etc.

Comme le résument bien Gérard Valenduc et Patricia Vendramin :

Le travail dans la société de l’information est de plus en plus qualifié, il permet de mettre en œuvre et de développer de multiples compétences faites de savoir-faire et de savoir-être. Il s’affranchit des hiérarchies et des contrôles tatillons. L’autonomie et le travail en groupe permettent un nouveau rapport au travail et au collectif de travail. Le travail se décrit avec des mots comme responsabilisation, implication, créativité et collaboration. C’est tout le sens du travail qui se trouve affirmé (Vendramin et Valenduc, 2002).

On assiste ainsi à une véritable entreprise de revalorisation du travail, plus humain et épanouissant, loin du labeur abêtissant qu’il incarnait à l’époque industrielle.

Cette volonté de réhabilitation du travail n’est pas nouvelle : la prégnance du thème de l’élargissement et de l’enrichissement des tâches au sein des théories organisationnelles ainsi que les nombreux travaux concernant la motivation au travail sont là pour en témoigner.

Toutefois, certains auteurs contemporains tels que Philippe Zarifian (2003) regrettent que le travail ne soit encore appréhendé qu’au travers d’une conception fonctionnelle (« raisonnant en terme de division du travail, de coordination, de contrôle, le travail est réduit à une fonction ou à un ensemble de tâches, empreintes de prescription, de reproduction et de performances ») ou selon une approche stratégique (« raisonnant en termes de domination, d’exploitation, de soumission »), deux conceptions qui finalement continuent de réduire « le travailleur à un automate ». Les conceptions contemporaines semblent ainsi vouloir aller plus loin que les théories sur la motivation, l’élargissement et l’enrichissement du travail en donnant à voir le travail comme une activité créative et émancipatrice au centre du pouvoir d’action de l’homme. Ainsi, pour Philippe Zarifian (2003), « le travail est avant tout invention avant d'être imitation et reproduction » ainsi que « source d'émancipation, grâce à la prise de

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parti et d'action concrète sur la vie sociale » qu’il permet. Le travailleur n’est plus ici un automate, simple rouage d’un système qui le contraint et le domine, mais semble reconnu en tant que sujet et acteur de l’organisation.

Une évolution particulièrement flagrante en ce qui concerne les entreprises dont l’activité est centrée sur les TIC selon Gérard Valenduc et Patricia Vendramin (2002) : « le nouveau modèle du travail ’’high-tech’’ est souvent décrit de manière idéalisée : la fin des hiérarchies, la convivialité, la créativité, l’autonomie, le travail en groupe et des rémunérations élevées ».

1.1.3. Renouvellement des théories organisationnelles :

Parallèlement, les théories organisationnelles vont conjointement se renouveler en s’éloignant un peu plus des théories classiques de l’organisation initiées par Taylor à la fin du XIXème siècle avec l’essor de la société industrielle où l’entreprise est assimilée à une machine dont le travailleur n’est qu’un rouage. Il est à noter que cette conception classique a déjà été maintes fois critiquée, et ce dès la fin des années 1920 avec l’Ecole des Relations Humaines qui, déjà, soulignait l’importance centrale des activités relationnelles et symboliques. Les nouvelles théories organisationnelles poursuivent ce mouvement critique en mettant l’accent d’une manière systématique sur les facteurs informationnels, communicationnels, cognitifs et symboliques.

Sans surprise, l’intelligence devient une thématique clé des nouvelles théories organisationnelles. En effet, comme nous l’avons vu, le travail contemporain ne requiert plus tant une « force de travail » que des « compétences cognitives » aptes à transformer les multiples informations qui irriguent l’organisation en connaissances. Ainsi, pour Jacques Henri Jacot (1994), « le caractère le plus évident des formes nouvelles d’organisation est relatif à la prise en considération de la montée explicite de la connaissance, ou plus précisément de la cognition à tous les niveaux de l’activité productive : atelier, entreprise, système industriel ». Ainsi, l’intelligence est désormais une faculté disséminée à tous les étages de l’entreprise, et non plus confinée au sommet hiérarchique. Elle se conçoit également comme un attribut collectif, et non plus seulement individuel, qui s’exprime en situation, réconciliant ainsi pensée et action.

Les expressions telles que « organisation apprenante » ou « qualifiante » et « knowledge management » attestent du développement de ces nouvelles conceptions, plaçant l’intelligence

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au cœur des processus organisationnels et encourageant à faire de l’entreprise un véritable

« lieu pédagogique » (Thuderoz, 1995).

Ces nouvelles théories marquent également le passage de la problématique de la

« coordination » à celle de la « coopération », une thématique présentée comme un « enjeu central du développement des organisations » (Amblard et al., 2005).

Par ce passage de la coordination à la coopération, l’organisation des « ressources humaines » n’est désormais plus assurée verticalement par la hiérarchie mais horizontalement, par les

« opérateurs » eux-mêmes, au travers de leurs interactions quotidiennes et grâce à leur capacité à élaborer un « accord social » (Zarifian et Veltz, 1993). La coopération n’est ainsi plus assurée de « l’extérieur » (par la hiérarchie) mais devient immanente à l’activité de travail et en devient une composante clé. La notion de coopération a donc pour corollaire la décentralisation d’un certain nombre de prises de décisions ayant trait à l’organisation du travail, désormais dévolue aux « opérateurs » eux-mêmes. Cette logique de décentralisation est symptomatique du passage d’une logique transcendantale à une logique immanente permettant des adaptations « au plus juste » et en « temps réel », c’est-à-dire des ajustements au plus près du terrain et constamment renouvelés.

Cette nouvelle logique va ainsi encourager l’autonomisation et la responsabilisation des travailleurs.

Par ailleurs, avec la notion de « coopération », « la relation avec les autres [devient] un élément originel, de base, et non quelque chose d’accessoire » (Virno, 2001) installant « l’idée de communication, non plus à la périphérie mais au cœur même de l’activité industrielle » (Zarifian et Veltz, 1995). La coopération encourage également une conception élargie de la communication qui « ne consiste pas seulement dans la transmission de messages, mais [qui], plus fondamentalement, consiste à se mettre d’accord à la fois sur des objectifs communs et sur les interactions entre activités que nécessite la réalisation de ces objectifs » (Zarifian et Veltz, 1995). La communication vise désormais une véritable « compréhension intersubjective » (Zarifian et Veltz, 1995) nécessitant « des relations de confiance qui dépendent moins d’exigences affectives que de conditions éthiques » (Freyssenet, 1994).

La notion de coopération met ainsi en avant la dimension sociale et symbolique de toute organisation, même entrepreneuriale et soumise aux lois économiques, au détriment d’une conception strictement mécaniste et fonctionnelle de l’entreprise : « la spécificité de la coopération est justement d’échapper à la rationalité instrumentale individuelle. On dira d’un

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comportement qu’il est coopératif s’il est soutenu par un autre type de rationalité, visant la satisfaction non d’un intérêt matériel personnel, mais la production ou la reproduction de ressources symboliques, par l’adhésion à des normes collectives » (Coutrot, 1998).

Cette conception de l’organisation dans son versant symbolique n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été soulignée par Elton Mayo lors de ses travaux menés au sein des ateliers Hawthorne de la Western Electric Company de Chicago de 1927 à 1932 qui montrèrent l’usine comme un

« lieu de croyances, de valeurs partagées qui s’expriment à travers des logiques d’action très différentes de celles des coûts ou de l’efficacité » (Plane, 2003). Cette conception ne se diffusa cependant réellement que dans les années 1980 avec l’émergence de la notion de

« culture d’entreprise », notamment initiée par Peters et Waterman dans leur ouvrage intitulé Le prix de l’excellence.

Cette thématique ouvre ainsi la voie à une « anthropologisation » de l’entreprise, où les dimensions symboliques de valeurs, de croyances, de coutumes et de rites deviennent centrales là où elles étaient auparavant déniées au profit d’une conception purement économique, mécanique et fonctionnelle des organisations artefactuelles. La notion de culture donne donc à voir l’entreprise non plus comme un agrégat d’individus guidés par des intérêts économiques, mais comme une véritable communauté anthropologique cohérente et soudée autour de valeurs communes.

La thématique de la « culture d’entreprise » est ainsi symptomatique d’un mouvement intellectuel qui cherche à dépasser les conceptions classiques positivistes et mécanistes pour redécouvrir la complexité des processus organisationnels et des phénomènes anthropo- sociaux. Comme l’explique Jean François Chanlat (1990 a) : « en ayant installé l’économique, le nombre et la chose au centre de son univers, notre société semble en avoir oublié le reste, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas réductible à une formalisation quelconque (…) [ainsi] de plus en plus de chercheurs remettent en cause cette conception instrumentale, adaptative, voire manipulatrice de l’être humain, s’interrogent sur les dimensions oubliées, se tournent vers d’autres disciplines ou d’autres perspectives théoriques. Ils cherchent à rendre intelligible l’expérience humaine et à la saisir dans toute sa complexité et sa richesse » en « fond[ant] une véritable anthropologie de l’organisation ».

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1.1.4. Evolution des pratiques managériales :

C’est à une véritable révolution dans les rapports interhiérarchiques que nous conduisent ces nouvelles conceptions de l’organisation et du travail, enjoignant les uns à être plus responsables et autonomes et les autres à user de moins de surveillance, de contrôle et de procédures formelles. François Giraud constate ainsi une double mutation lourde de défis :

« - Pour les dirigés, attirés certes par la responsabilité mais craintifs en même temps devant les obligations qui en résultent.

- Pour les dirigeants, car les voici confrontés à trois exigences neuves : renvoyer le pouvoir aux autres ; les accompagner discrètement ; enfin, s’imposer de vivre dans la transparence selon des principes d’action, des valeurs qui donnent cohérence à l’ensemble »5.

Comme nous l’avons précédemment évoqué, les travailleurs du régime « post-industriel » doivent développer une « nouvelle attitude (…) vis-à-vis du travail qu'ils ont à réaliser » :

« une attitude de prise d'initiative et de responsabilité sur la situation qu'ils affrontent, et dont ils ont la charge en quelque sorte » (Zarifian, 1999). En effet, « pour affronter l’incertitude, la création permanente et la complexité, il faut passer de la logique d’obéissance à la logique de la responsabilité »6. Initiative et responsabilité deviennent ainsi « le cœur du travail ». Les nouvelles conceptions du travail et de l’organisation encouragent donc la « croissance des responsabilités individuelles à tous les niveaux » (Romelaer, 2005). « On constate [ainsi] une tendance de plus en plus répandue à substituer une définition par les objectifs à atteindre ou par les fonctions à remplir (définition laissant ouverte ou semi-ouverte la question du chemin à suivre) à la définition classique des tâches, ce qui revient à introduire une marge d’autonomie intrinsèque dans l’activité » (Zarifian et Veltz, 1993).

Mais ces nouvelles conceptions encouragent également la direction et l’encadrement intermédiaire à développer une nouvelle attitude envers ces travailleurs, désormais autonomes et responsables. Elles mettent en effet en avant l’existence mais surtout l’efficience d’un système de régulation autonome, et ouvrent ainsi la voie à la reconnaissance formelle du rôle profondément organisationnel de l’informel.

5 Préface de François Guiraud à l’ouvrage de CROZIER, Michel (1991). L’entreprise à l’écoute, apprendre le management post-industriel. Paris : InterEditions, 217 pages. ISBN : 2-7296-0304-2

6 Préface de François Guiraud à l’ouvrage de CROZIER, Michel (1991). L’entreprise à l’écoute, apprendre le

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Les activités informelles avaient déjà acquis une certaine légitimité avec la théorie de la régulation conjointe de Jean-Daniel Reynaud, mais « une chose était de [les] admettre plus ou moins tacitement comme nécessité de régulation, autre chose est de [les] réintroduire dans le modèle d’efficience lui-même » (Zarifian et Veltz, 1993). Elles sont donc désormais non seulement reconnues mais, plus encore, pleinement intégrées dans les stratégies organisationnelles. Comme le remarquent Anni Borzeix et Danièle Linhart (1990), « les savoirs et savoir-faire jusqu’alors tacites, informels, non reconnus officiellement par l’organisation font figures, désormais, de ressources essentielles ».

L’encadrement voit ainsi « son rôle bouleversé ». Traditionnellement, il était principalement ancré dans des activités de gestion et d’administration de la production et de la distribution des biens et des services. Il doit désormais « passer d’un encadrement normatif, encore très empreint – spécificité française- de taylorisme, à un encadrement pédagogique, dont la qualité sera jugée à la capacité à faire émerger les compétences des salariés et à faire en sorte qu’elles soient mises au service de l’organisation » (Duval et Jacot, 2000). Il doit désormais « se recentrer sur l’animation d’équipes, la gestion et le partage des connaissances » (Duval et Jacot, 2000).

Cette nouvelle fonction consistant à « animer » plus qu’à prescrire fait de lui un véritable

« médiateur » entre différents éléments (acteurs comme actants) plus ou moins conciliables.

Ainsi, pour Le Goff, « le management n’est ni une science ni une technique. Par l’ensemble des facteurs qu’il met en jeu et combine, il s’apparente à un art au sens étymologique du terme : manière de disposer, de combiner habilement » (Le Goff, 2000). Au-delà de la combinaison des facteurs traditionnels tels que « le capital, le travail, les matières premières, la technologie, les règles, les normes, les procédures » (De Gaulejac, 2005), les managers doivent également devenir des négociateurs « de sens et du sens dont ils sont de plus en plus les porteurs et les relais ». Ils sont ainsi appelés à être des méta-communicateurs capables de gérer le lien social en organisation, en cherchant des passerelles de coexistence. Ils deviennent des traducteurs, au sens de Michel Callon et Bruno Latour :

La traduction consiste à transformer un énoncé intelligible en un autre énoncé intelligible pour rendre possible la compréhension de l’énoncé initial par un tiers. La traduction est réussie si elle n’a pas engendré un détournement de sens (…) La traduction peut être introduite comme une opération permettant ’’d’établir un lien intelligible entre des activités hétérogènes’’. La traduction devient la méthodologie de

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