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LES DÉFIS DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE

D’UNE CONVENTION COLLECTIVE

5.13. LES DÉFIS DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE

Après la révolution industrielle du XVIIIe siècle, le monde du travail s’est organisé selon une approche pyramidale et compartimentée ; cet état de fait a été systématiquement décrit (Weber, 1967 ; Sisson, 1987). Mais de nos jours, les milieux industriels se sont technicisés pour satisfaire aux exigences d’un monde complexe.

5.13.1. Conjuguer stabilité et flexibilité

La structuration des milieux de travail s’est réalisée en contexte de rela-tive stabilité interne, car les changements organisationnels étaient plutôt prévisibles. Dans le passé, une entreprise subissait des changements importants à chaque période de vingt ou trente ans. Les processus d’échanges entre patrons et représentants des travailleurs ont été pendant longtemps conduits sous l’égide d’une telle stabilité. Du côté patronal, cette stabilité se traduisait par de multiples niveaux hiérarchiques et des pro-cédures administratives sophistiquées. Du côté syndical, la stabilité se manifestait par une convention collective prévoyant notamment des tâches

rigides et précisant à l’avance les rôles de chacun. Tout le régime des rela-tions industrielles reposait sur le postulat que l’avenir allait être, comme le passé, stable.

Les adeptes d’une plus grande flexibilité du travail voient parfois la convention collective comme un facteur de stabilité excessive à l’instar des procédures bureaucratiques. La stabilité peut revêtir trois formes : numérique, occupationnelle et des conditions de travail.

La stabilité numérique s’obtient à travers des dispositions sur la sécurité d’emploi et n’exclut pas les planchers d’emploi ; elle peut être interne ou externe. La première peut prévoir des planchers d’emploi par catégories de postes spécifiques et la seconde interdit les mises à pied. En effet, des catégories d’emplois peuvent augmenter et d’autres diminuer dans une même organisation (stabilité interne) sans toutefois entraîner de mises à pied (stabilité externe).

Les partisans de la flexibilité numérique veulent généralement réduire les règles sur la sécurité d’emploi. Ses adversaires évoquent, quant à eux, la nécessité, surtout pour le fonctionnaire, de séparer l’administra-tion publique de la politique partisane, et ce, au nom de services éthiques.

Les opposants à la flexibilité numérique souhaitent que soit maintenue la sécurité d’emploi.

La stabilité occupationnelle confirme le principe qu’à toute per-sonne correspond un poste ; ce principe s’inscrit dans une logique de pro-priété du travail. Ainsi, un travailleur pose sa candidature pour un poste qu’il obtient formellement à la suite d’un affichage interne. La stabilité occupationnelle veut qu’un travailleur exerce exclusivement son occupa-tion ; ce principe est une valeur chère aux corporaoccupa-tions professionnelles.

Par exemple, on n’accepterait pas, dans un établissement de santé, qu’un ingénieur dont le poste serait coupé aille déplacer un médecin salarié. Mais une pénurie de travail peut toucher certains postes alors qu’on paie du personnel à temps supplémentaire dans les mêmes catégories de postes ailleurs dans l’organisation. Les adeptes de la flexibilité occupationnelle voudraient tout au moins transformer le principe « une personne, un poste » par la règle « une personne, une organisation ». Cela reviendrait à exiger qu’une personne soit payée pour apporter une valeur accrue à son milieu de travail sans avoir de garantie quant à un emploi spécifique.

La stabilité des conditions de travail s’exprime d’une double façon :

la stabilité salariale établit à l’avance un salaire fixe à l’emploi que le travailleur détient. Elle prévoit aussi des primes fixes sous diverses formes.

la stabilité normative détermine un ensemble de conditions de travail qui ne font pas l’objet d’une évaluation salariale directe comme l’ancienneté, les règles d’éthique au travail6ou les avantages sociaux.

À la stabilité salariale, on oppose une rémunération flexible qu’elle soit individuelle, comme les primes au rendement, ou collective, comme les gains à la productivité ou la participation aux profits7. La stabilité normative, quant à elle, soulève peu d’opposition ; au contraire, il est géné-ralement souhaité que tous les membres d’une entreprise soient soumis aux mêmes règles d’éthique, de cumul d’ancienneté, à la même politique de vacances et aux mêmes régimes d’avantages sociaux.

Choix difficiles

Évidemment, les parties conviennent plus facilement de modifier les postes de travail dans les organisations si cela évite les mises à pied mas-sives. Actuellement, dans le secteur public, on assite à une restructuration en profondeur des organismes de l’État qui concernent de vastes secteurs comme ceux de l’éducation, de la santé, des municipalités et d’autres ministères également, bien qu’à des degrés variables. Les parties devront probablement se résoudre à recourir à une planification des effectifs par réseaux. D’ailleurs, dans le secteur privé, les grappes industrielles favo-risent une nouvelle dynamique d’échange de la main-d’œuvre entre les entreprises.

Flexibilité

La flexibilité salariale est mieux acceptée si elle est accordée suivant des critères objectifs de rémunération. Ainsi, l’octroi des bonis au rendement de fin d’année chez les cadres du secteur public a suscité bien des critiques, car une telle rémunération s’appuyait souvent sur des critères flous et sur l’opinion d’une seule personne. La flexibilité normative peut certes se développer, mais elle rend la gestion complexe. Par exemple, un salarié peut choisir de prendre trois semaines de vacances payées au lieu de quatre et recevoir 2 % d’augmentation de salaire ; à la limite, on peut appliquer le même principe aux congés fériés et à l’assurance salaire. La flexibilité normative s’inscrit dans une perspective de revalorisation du contrat individuel de travail, mais ses principes de base ou ses règles de

6. L’expression « avantages sociaux » inclut un ensemble varié de conditions telles que les régimes d’assurances et de retraite.

7. On souhaite alors rémunérer les individus en fonction de la santé financière de l’entreprise.

gestion peuvent faire l’objet de la négociation collective. Signalons, enfin, que la montée de la flexibilité dans les entreprises se réalise à la faveur du vieillissement de la main-d’œuvre. En effet, l’embauche massive et pro-chaine des jeunes, compte tenu des moyennes d’âge actuelles et des mises à la retraite anticipée, favorisera l’émergence d’une nouvelle culture dans les milieux de travail.

Conditions de succès

Le succès d’approches telles que les équipes de travail autogérées, les groupes semi-autonomes, les organigrammes inversés, la rémunération flexible, les programmes de formation ou de contrôle total de la qualité dépend de la capacité des parties de les négocier entre elles. Pour ce faire, le syndicat et le management doivent tous deux se créer un nouveau rôle, pour la simple raison que leurs rôles traditionnels respectifs les empêchent d’accéder au renouveau. D’une part, le management ne peut conserver ses contrôles traditionnels de gestion et, en même temps, accorder aux tra-vailleurs l’autonomie dont ils ont besoin pour favoriser l’avènement du nouveau travail. Le patronat doit se préparer à vivre en contexte de haute transparence et de sensibilité. D’autre part, le syndicalisme ne peut, en même temps, rester centré sur les problèmes individuels des salariés et s’investir dans des stratégies globales de milieu. Dans le cadre du nouveau travail, le syndicalisme doit procéder du général au spécifique et non du spécifique au général. En outre, il doit s’attendre à soutenir publiquement les conséquences des décisions qu’il a prises conjointement avec l’employeur.

5.13.2. Prévenir l’érosion des conditions de travail

Les gains que les travailleurs ont obtenus de la négociation collective peuvent parfois être mis en péril par une récession, les salariés sont alors enclins à exprimer leur déception à l’égard de leur association représen-tative. En revanche, une insatisfaction au travail et une opinion positive du syndicalisme inciteront un employé à participer aux activités proposées par un syndicat comme l’actualisation de tactiques de coercition lors d’une négociation collective (Ignace et Dastmalchian, 1989).

Pour les travailleurs, les gains au chapitre de la stabilité d’emploi n’ont pas été obtenus sans peine, et le besoin d’entamer des négociations s’associe parfois à une volonté de participer à un processus de lutte. Les expériences personnelles, les liens d’amitié entre salariés et la conjoncture du milieu de travail expliquent le comportement des employés tant à l’égard de leur syndicat que de leur employeur. À cet effet, une percée syndicale mérite d’être soulignée dans le secteur public où l’on a négocié une clause élaborée de sécurité d’emploi qui s’applique après deux ans de service dans l’entreprise.

Rappelons que ce n’est qu’une minorité de travailleurs qui parti-cipent à l’établissement de leurs conditions de travail par l’intermédiaire de la négociation collective. En effet, au Québec, le taux de syndicalisation est inférieur à 40 % si l’on exclut la main-d’œuvre fédérale. Qu’arrive-t-il chez les salariés non syndiqués ? Dans certains milieux, on prévoit formel-lement la participation de la main-d’œuvre dans l’élaboration du régime de rapports collectifs qu’il y ait présence ou non de syndicalisation.

Présentement, le syndicalisme doit parfois se résigner à réduire des avantages salariaux afin de stabiliser l’emploi. En outre, le syndicalisme s’attend à ce que les concessions salariales s’assortissent au moins d’une participation accrue des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Heureu-sement, des options plus avantageuses s’offrent aussi aux parties.

5.13.3. Valider de nouvelles approches de négociation

Pour introduire de nouvelles approches de négociations collectives, on doit remettre en question l’approche classique fondée sur les concessions décroissantes et le cumul de droits antérieurs.

5.13.3.1. LE CONTEXTE D’INSERTION DES NOUVELLES APPROCHES DE NÉGOCIATION

C’est surtout en contexte non syndiqué que le patronat a proposé d’enri-chir le travail par des cercles de qualité, la rotation des tâches et des enquêtes internes (Long, 1989) ; à cela se sont ajoutés des programmes de flexibilité des conditions de travail tels que l’actionnariat, le partage des profits et des gains à la productivité (Cotton et al., 1988). Ces approches ont également été implantées, quoique dans une moindre mesure, en con-texte syndiqué (Ichniowski, Delaney et Lewin, 1989), et ce, parfois en parallèle à la convention collective.

Ces nouvelles approches de négociations s’insèrent dans une société que les pertes massives d’emplois traditionnels et la turbulence phéno-ménale des petites entreprises ont jeté dans le désarroi ; pas étonnant que le syndicalisme soit plutôt méfiant. En outre, une forme de résistance aux nouvelles approches vient du management lui-même, surtout des cadres intermédiaires, qui voient leur rôle traditionnel grandement menacé (Kochan et al., 1986).

Le succès des nouvelles approches de management est lié à leur insertion dans la négociation collective (Rankin, 1990). Ainsi, la réorgani-sation du travail par des métiers polyvalents incite les parties à disposer des surplus de main-d’œuvre par des programmes de préretraite. La gestion participante est recherchée par les syndicats dans la mesure où elle n’est pas perçue comme une tentative de marginalisation de leur fonction représentative.

La négociation collective devra maintenant servir à reconstruire de nouvelles formes de sécurisation des travailleurs et les insérer dans un contexte de travail mondialisé et turbulent. Ce défi pourra être relevé si les échanges entre les parties sont empreints d’un niveau élevé de créa-tivité. Il s’agira essentiellement d’être innovateur sur les méthodes de planification, de production et de contrôle des milieux de travail. À cet égard, la technique de négociation privilégiée aura une importance capi-tale ; la négociation de la productivité organisationnelle ou la négociation raisonnée sont des exemples de méthodes prometteuses.

5.13.3.2. UNE COMPARAISON DES APPROCHES DE NÉGOCIATION

Comme nous l’avons dèjà vu, le succès d’une négociation dépend des caractéristiques personnelles des négociateurs qui veilleront sur leurs enjeux en utilisant des pressions temporelles. Par conséquent, idéalement, une négociation collective réunira un nombre minimal d’individus et d’habiletés (Laurent, 1987). Il semble clair également que les futurs défis de la négociation ne peuvent être relevés au moyen des approches tradi-tionnelles : il faut donc innover à ce chapitre.

Le tableau 5.2 présente les caractéristiques des diverses approches de négociation suivant les personnalités, les pressions temporelles et les enjeux.

Quelle que soit l’approche de négociation choisie, un milieu de travail ne peut pas, en termes de conditions de travail, donner davantage que ce qu’il reçoit de sa clientèle. Les milieux de travail sous-performants doivent modifier leurs processus ou renoncer à une portion des conditions de travail et des profits. En revanche, les milieux de travail performants peuvent offrir davantage. Divers scénarios sont possibles dans le contexte d’une société en mutation rapide.