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Chapitre 6 : Discussion

6.1 Un modèle de pratique qui renforce l’organisation de la première ligne pour le suivi des maladies

6.1.1 Les défis de l’intégration du rôle IPSPL dans une équipe de soins primaires

Tout d’abord, la collaboration avec les médecins partenaires a été qualifiée par toutes les IPSPL à l’étude comme positive, étant basée sur le respect, la confiance mutuelle, la prise de décisions partagées ainsi qu’un climat de travail soutenant des relations égalitaires. En ce sens, plusieurs études soulignent ces éléments comme étant des facteurs facilitants à une collaboration interprofessionnelle efficace, selon les perceptions des professionnels impliqués (D'Amour, Ferrada-Videla, San Martin Rodriguez, & Beaulieu, 2005; Keith & Askin, 2008; Petri, 2010; Schadewaldt et al., 2013). D’ailleurs, pour les IPSPL à l’étude, leur rôle a été accueilli d’une manière très positive et elles ont souligné ne percevoir aucune résistance de la part de l’équipe médicale face à leur rôle. Bien que la réceptivité du rôle IP par l’équipe médicale ait été soulevée à plusieurs reprises dans la littérature comme un défi pour la profession (Carryer, Gardner, Dunn, & Gardner, 2007; Gould et al., 2007; Miller, Snyder, & Lindeke, 2005), des études récentes tendent à démontrer l’acceptation grandissante des médecins partenaires face à la collaboration avec les IPSPL, ce qui concorde avec les résultats du cas présenté (MacLellan et al., 2015; McAiney et al., 2017). Plusieurs auteurs s’entendent également pour dire que le niveau d’expérience des IPSPL dans un établissement est à considérer pour

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permettre un assujettissement adéquat de l’équipe de soins au rôle IP (Projet IPSPL.info, 2014a; Sangster- Gormley et al., 2013; Schadewaldt et al., 2013). En effet, une période variant entre 6 et 12 mois serait nécessaire pour l’adaptation de l’équipe de soins à la présence des IPSPL, notamment pour permettre de se familiariser avec l’étendue de leur champ de pratique et le développement d’un lien de confiance dans l’optique d’une complémentarité optimale des compétences de chacun (Contandriopoulos et al., 2015; Humbert et al., 2007; Reay et al., 2006). Conformément à ces données, l’expérience des IPSPL dans le milieu étudié varie entre 8 et 18 mois, ce qui a permis le développement d’un lien de confiance entre les différents professionnels interpellés dans la pratique collaborative. La clarté du rôle aux yeux des médecins serait également un aspect important dans la qualité de la collaboration, ce qui a été relevé de manière positive dans la présente étude.

Dans le même ordre d’idées, la clarté du rôle aux yeux des autres intervenants collaborant avec les IPSPL serait un facteur primordial dans l’optique d’une pratique interdisciplinaire optimale (Dicenso et al., 2006; Goldman, Meuser, Rogers, Lawrie, & Reeves, 2010; Koren, Mian, & Rukholm, 2010; San Martin-Rodriguez, Beaulieu, D'Amour, & Ferrada-Videla, 2005). Les IPSPL interrogées dans la présente étude ont souligné la tenue régulière de rencontres pour clarifier le rôle de chacun et éclaircir les zones grises entourant l’arrimage du travail interdisciplinaire centré sur le patient. Ces résultats sont appuyés par une revue de littérature de Contandriopoulos et al. (2014) qui souligne que les pratiques collaboratives ne sont pas spontanées et nécessitent des activités de formation pour favoriser le développement d’une interdisciplinarité efficace. De manière similaire, une recherche québécoise souligne que des espaces d’échanges structurés sont nécessaires, particulièrement dans un modèle de soin novateur, pour favoriser la collaboration interdisciplinaire et optimiser l’autonomie des IPSPL ainsi que l’utilisation de leurs compétences (Côté, Freeman, Jean, Pollender, & Binette, 2018). Les résultats de notre recherche sont donc cohérents avec la littérature et soulignent qu’une vision globale du travail d’équipe et de l’organisation des soins dans le milieu est nécessaire pour favoriser la connaissance des rôles de chacun et, en bout de ligne, le recours au bon professionnel pour répondre aux besoins du patient.

De manière plus générale, le présent mémoire met en évidence que la compréhension du rôle IPSPL semble encore ambigüe aux yeux des patients. Conscientes de ce manque de clarté, les IPSPL ont souligné l’importance de promouvoir l’explication de leur rôle à leur clientèle. Ces résultats corroborent plusieurs études qui soulignent que la capacité des IPSPL à expliquer leur rôle, autant auprès de l’équipe multidisciplinaire que des patients, est un facteur clé pour favoriser la compréhension de l’étendue de leur champ de pratique et assurer la pérennité de leur rôle au sein du système de santé (Brault et al., 2014; Quinlan & Robertson, 2013; Sangster-Gormley et al., 2013). Pour les patients participants, la confusion semble émaner du chevauchement

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du rôle entre la profession infirmière et médicale. Ces résultats confirment ceux de la revue de littérature effectuée par Donald, Bryant-Lukosius, et al. (2010) dénotant une confusion de la population au niveau de la clarté des rôles en pratique infirmière avancée. D’ailleurs, certains patients dans la présente étude semblent identifier le rôle IPSPL à un rôle davantage médical qu’infirmier. Comme le souligne Kaasalainen et al. (2010), l’un des facteurs ayant mené à cette confusion est la proportion importante de recherches ayant été conduites dans les débuts du rôle IP au Canada, en comparant les résultats-patients de la pratique IPS à ceux des médecins, afin de justifier l’efficacité du rôle IP. C’est pourquoi la présente recherche s’imbrique dans un modèle infirmier et s’est centrée davantage sur les résultats-patients issus des interventions des IPSPL sans comparaison médicale. Toutefois, selon les propos de nos informateurs clés, les patients ont mentionné ne pas percevoir de différence entre leur IPSPL et leur médecin en termes de compétences professionnelles, mais se sentiraient plus à l’aise en termes de relation avec leur IPSPL. Ces résultats sont directement en lien avec ceux de plusieurs études (Frost, Currie, Cruickshank, & Northam, 2018; Ozaras & Abaan, 2016; Parker et al., 2013).

D’un autre côté, plusieurs patients ont mentionné leur méconnaissance face au rôle d’IPSPL et ont même souligné leur incertitude face à la transition d’un médecin à une IPSPL en tant que prestataire de soins principal. Les perceptions se sont toutefois rapidement améliorées suite à la rencontre avec leur IPSPL. D’ailleurs, plusieurs recherches ont démontré que le public tend à être plus susceptible à accepter le rôle IPSPL et à se faire prendre en charge par ces dernières, une fois qu’ils sont informés sur leurs compétences (Canadian Nurse Practitioner Initiative, 2006; Dicenso & Matthews, 2003; Donald, Bryant-Lukosius, et al., 2010).

Par ailleurs, considérant la culture organisationnelle favorable au rôle IP dans le milieu étudié, les IPSPL ont souligné leur satisfaction en lien avec l’utilisation optimale de leur étendue de pratique au sein de la clinique. La réceptivité et la confiance des médecins partenaires face aux IPSPL font en sorte que leur champ d’exercice est utilisé de manière optimale. Les restrictions ont donc été davantage associées au niveau macro, notamment en lien avec le cadre législatif et réglementaire qui régit les IPS au Québec. Ces dernières ont mentionné leur insatisfaction par rapport aux lignes directrices en vigueur, qui apparaissent trop restrictives, notamment sur la possibilité d’initier des traitements pour les maladies chroniques. Ces propos sont directement en lien avec les résultats de plusieurs études dans lesquelles les limites du champ de pratique sont identifiées comme un enjeu structurel entourant l’utilisation optimale des compétences des IPSPL (Archibald & Fraser, 2013; Côté et al., 2018; Delamaire & Lafortune, 2010; Hain & Fleck, 2014). Toutefois, suite à la modification récente du cadre législatif québécois, des recherches futures sont nécessaires pour

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explorer les perceptions des IPSPL face au niveau d’autonomie acquis avec la mise en application des nouvelles lignes directrices (OIIQ & CMQ, 2018).

Dans le même ordre d’idées, les participantes considèrent que les restrictions législatives ont également un impact sur le suivi des patients atteints de maladies chroniques. Entre autres, bien que les IPSPL assument entièrement la prise en charge de leur clientèle dans la majorité des cas, le cadre réglementaire actuel ne leur permet pas d’inscrire un patient à leur nom. Ainsi, elles ont identifié cet enjeu comme un défi de taille, particulièrement en termes de continuité de soins, puisqu’elles ne reçoivent pas d’emblée les résultats des examens qu’elles ont prescrits ou bien ne sont pas notifiées lorsque leurs patients sont hospitalisés. C’est plutôt le médecin qui en est avisé, mais le résultat ne se rend pas nécessairement aux mains de l’IPSPL, ce qui peut retarder le traitement du patient. À ce propos, considérant les professions visées par la loi 90 ayant acquis le droit de prescrire, notamment les IPS, le Collège des médecins du Québec a publié un rapport faisant état des difficultés entourant le processus de transmission des résultats d’investigation. L’une des conséquences soulevées est le préjudice d’un suivi erratique subi par les patients lorsque le résultat ne s’est pas rendu dans les mains du prescripteur, soit l’IPSPL dans le cas présent (Billard, Derome, Lacasse, Léger, & Raymond, 2012). Par ailleurs, face à ce constat, l’Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec a émis la recommandation que les IPS en soins de première ligne soient autorisées à enregistrer à leur nom toute la clientèle dont elles assurent le suivi afin d’optimiser la continuité des soins pour les patients (AIPSQ, 2017).

De manière similaire, les IPSPL à l’étude ont mentionné un dédoublement inutile de travail, dû à des primes budgétaires percevables par l’organisation seulement lors des visites médicales des patients ayant des besoins particuliers, découlant du manque de reconnaissance légale de l’IPSPL comme prestataire de soins principal. En effet, selon les modalités prévues par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), pour que l’organisation puisse bénéficier du forfait annuel de prise en charge de la clientèle dite vulnérable, le patient doit avoir été vu par son médecin pour une visite ou une intervention clinique au cours des 12 mois précédant le premier jour de l'année du versement (Bolduc & Godin, 2010). En d’autres termes, la consultation effectuée par l’IPSPL ne permet pas de maintenir le caractère actif du patient aux fins du versement de ce forfait. Considérant que la majorité des patients interrogés ont mentionné ne pas ressentir le besoin de voir le médecin, ceci entraîne donc un double emploi inutile de ressources professionnelles ainsi qu’une perte de temps pour le patient et pour le médecin, qui pourrait consacrer ces plages horaires à des cas plus complexes. D’une manière similaire, les IPSPL d’une étude canadienne ont souligné des enjeux semblables entourant leur pratique, notamment le soutien financier inadéquat ainsi que les politiques des agences gouvernementales et des compagnies d’assurance, refusant parfois les références et les formulaires remplis

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par les IPSPL (Sullivan-Bentz et al., 2010). L’étude de cas australienne de Helms, Crookes, et Bailey (2015) déplore également la duplication inutile des services de l’IPSPL et du médecin à des fins budgétaires.

D’ailleurs, le soutien financier a été souligné par les participantes à l’étude comme un autre enjeu organisationnel nuisant à une pratique IP optimale en soins primaires. Les IPSPL ont mentionné le budget insuffisant leur ayant été attribué par le gouvernement pour équiper leur environnement de travail, notamment en termes de matériel de soins nécessaires pour effectuer les examens de suivi de leurs patients. Ces résultats sont appuyés par plusieurs études qui identifient également le manque de support financier comme une barrière à la pratique des IPSPL (de Guzman, Ciliska, & DiCenso, 2010; Gould et al., 2007; Keating et al., 2010; Sullivan-Bentz et al., 2010). L’Association des infirmières et infirmiers du Canada souligne d’ailleurs que davantage de ressources et de conditions matérielles sont nécessaires pour mettre en place les postes, la technologie et l’infrastructure qui permettront aux infirmières en pratique avancée de travailler le plus efficacement possible (AIIC, 2008).

6.2 Rôle des IPSPL dans le suivi des patients atteints de maladies