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II –La conception du pouvoir

II. 2 Les définitions du pouvoir

On peut toujours dire qu’une définition est tout à fait choisie. On choisit de privilégier un ou plusieurs aspects des définitions et je ne prétends pas pouvoir m’extraire d’une orientation. Je n’aspire plus alors qu’à vous permettre de comprendre cette orientation. Choisir des versions larges des définitions, qui vont au-delà du sens communément employé, et ce sera particulièrement le cas pour le pouvoir puisque celui-ci renvoie généralement à des individus haut placés, c’est encore une orientation, bien que cela puisse paraître n’être que de l’éclectisme.

On pourrait différencier le pouvoir (au singulier, concept général) des pouvoirs (au pluriel), comme si le premier était complet, un objectif à atteindre, rempli, et les seconds n’en étaient que différentes facettes qui permettent d’atteindre un concept général et flou, on pourrait différencier, comme Raffestin [1980], Pouvoir et pouvoir (avec ou sans majuscule) comme si le premier était personnifié (l’ensemble des personnes au pouvoir, l’organe du pouvoir) et que le second se résumait à leurs actions. On peut aussi distinguer pouvoir et contre-pouvoir, comme il est lisible chez Benasayag [2002] où la dimension éthique derrière chacun des termes joue à plein, mais tout cela ne reste qu’artifices pour isoler une façon de penser le pouvoir, pour faire comme si le mot était mal choisi pour certaines définitions qu’il représente. C’est probablement parce qu’on veut faire dire quelque chose au pouvoir, qu’on veut le comprendre d’une certaine manière pour l’attaquer ou l’étudier. Et c’est certainement aussi parce que la définition est elle-même duale, renvoyant à des acceptions assez distinctes ; en un sens, elle est plurielle.

Commençons, comme je l’ai fait pour le « paysan », à donner pour le « pouvoir » différentes versions des dictionnaires.

Le pouvoir dans les dictionnaires

Reprenons le Larousse79.

« I.1. Capacité, possibilité de faire qqch, d’accomplir une action, de produire un effet. 2. Autorité, puissance, de droit ou de fait, détenue sur qqn, sur qqch.

3. a. Mandat, procuration ; aptitude à agir pour le compte de qqn. b. Document constatant cette délégation.

II. 1. Autorité constituée, gouvernement d’un pays.

2. Fonction de l’État, correspondant à un domaine distinct et exercée par un organe particulier. [NDLR : relative à la séparation énoncée par Montesquieu].

3. Toute autorité constituée. [NDLR : extension du 2. à d’autres domaines, ex : pouvoir religieux].

III. Propriété, qualité particulière de qqch ; grandeur la caractérisant. »

On peut noter que la définition du Larousse du verbe « pouvoir » reprend les acceptions données pour le substantif :

« 1. Etre capable de, avoir la faculté, la possibilité de. 2. Avoir le droit, l’autorisation de.

3. (Indiquant l’éventualité, la probabilité). » [Larousse, 1995].

On voit d’ores est déjà, contrairement au cas de la définition de « paysan », que les différences (les angles de définition privilégiés) ne se jouent pas tant au sein d’une même acception mais entre les différentes acceptions. Celles-ci sont nombreuses. J’y reviendrai. Je poursuis avec les dictionnaires.

Pour le pouvoir, l’encyclopédie Wikipedia80 renvoie à différents domaines (philosophique, sociologique, physique, politique…). Elle ne donne pas vraiment de définition mais présente une utilisation du mot qui se veut plus ou moins généralisée à la discipline. La variante sociologique renvoie à une relation entre individus (ce qui n’apparaissait pas dans le Larousse), et la variante philosophique se base sur la version 1. du verbe « pouvoir » dans le Larousse.

Complétons donc plutôt avec des dictionnaires spécialisés dans la géographie :

« -Capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir. Spécialement, pouvoir sur des personnes, rendu possible par une autorité légitime.

-Type de rapport de quelqu’un (ou d’un groupe) à quelqu’un d’autre par la médiation d’une force ou d’une mainmise sur les choses.

-En géographie, le mot « pouvoir » a été longtemps tenu à l’écart au titre du rejet du politique. Les géographes ont eu du mal à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans parfois qu’ils en aient conscience, à garder le silence. » [Levy, Lussault, 2003]81

« La notion de pouvoir a été introduite en France par Paul Claval » nous dit un autre dictionnaire de géographie [George, Verger, 2000]82. Il s’agira donc de voir comment Claval emploie le concept de pouvoir.

80 fr.wikipedia.org/wiki/Pouvoir, consulté en 2014.

81 Levy J. et Lussault M. 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin. 82

Je reprends également le dictionnaire des synonymes : « Pouvoir.

Synonymes : Avoir les moyens de, avoir la possibilité de, être capable de, être susceptible de, être en mesure de, être à même de, être à portée de, être en situation de, avoir l’art, avoir le choix, n’être pas en peine, avoir le courage de, avoir la force de, avoir le droit de, avoir la permission de.

2. Subst. Faculté, autorité, influence, mandat, commission, délégation, mission, carte blanche, procuration, gouvernement, état, puissance, toute-puissance, omnipotence, souveraineté, commandement, en haut lieu, régime.

Antonymes : impuissance, impossibilité. » [Boussinot, 1997]83.

On retrouve avec les synonymes les éléments de la définition. On peut noter deux synonymes qui sortent un peu du cadre précédent : « n’être pas en peine » qui apporte une dimension sensible et « avoir l’art », à condition de prendre le renvoi culturel de ce dernier synonyme.

Montesquieu avait utilisé le terme de « puissance » et celui-ci revient dans toutes les définitions. D’un certain côté, le terme est assez difficile à différencier de celui de « pouvoir ». « Puissance » comme « pouvoir » sont traduits par « power » en anglais.

Voyons la définition de « puissance ».

« I.1. Pouvoir de commander, de dominer, d’imposer son autorité. 2. puissance publique : ensemble des pouvoirs de l’État.

II. État souverain. L’État lui-même.

III.1.Force pouvant produire un effet, énergie.

Phys. [4 points : 2. puissance mécanique, 3. puissance d’une loupe, 4. pouvoir d’érosion, 5.Min. épaisseur d’une couche].

IV.1. Action, influence exercée sur qqn. 2. Philos. Possibilité, virtualité.

V. Math. [3 définitions 1. la puissance d’un nombre, 2. la puissance d’un ensemble]. » [Larousse, 1995]

Certains points ont une similitude avec la définition du pouvoir et rendent « puissance » et « pouvoir » difficiles à différencier l’un de l’autre.

On lit que le « pouvoir » peut être la capacité d’accomplir une action, et la « puissance » une action elle-même. Ce qui est corroboré par la définition physique : « la force » et qui place la puissance sur le plan de l’énergie quand le pouvoir aurait trait à la possession de cette énergie. Cependant, quand le Larousse parle d’État, il inverse le schéma : la puissance est l’État lui- même quand le pouvoir est la fonction de l’État.

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Wikipédia donne une version généraliste de la définition (contrairement à ce que l’encyclopédie ne faisait pas pour le pouvoir) :

« Dans le sens commun, la puissance est la quantité de pouvoir (d'un individu, d'un groupe, d'un pays, etc.), voire est synonyme du pouvoir »84.

Ce qui est à l’opposé du point III de la définition du « pouvoir » du Larousse où c’est le « pouvoir » qui est une quantité (le pouvoir d’achat par exemple). Que croire alors ? Il faut comprendre que les deux mots peuvent être utilisés, selon l’expression, pour parler de la grandeur, la force, ou de ce qui détient cette force.

La géographie, quant à elle, utilise surtout le terme de « puissance » (quant elle l’utilise) pour parler des états. Elle met des limites territoriales au terme. Ou alors, elle peut renvoyer, comme la sociologie, aux relations :

« C’est donc un phénomène éminemment géopolitique traduisant des rivalités de pouvoirs sur des territoires et leurs potentialités internes […]. Un seul, l’Amérique, a une capacité de projection de puissance au plan mondial. » [Lacoste, 2003]85

On revient alors à des comparaisons de force où le plus fort peut être désigné comme « puissant ».

Si on regarde le dictionnaire des synonymes, il nous renvoie, lui aussi à la force elle-même ou au détenteur de la force :

« Puissance.

Synonymes : Pouvoir, autorité, faculté, force, pays. » [Boussinot, 1997]

J’ai, en ce qui me concerne, précisé « production et exercice » du pouvoir, d’une part pour mettre l’accent sur l’action et pour qu’on ne s’attende pas à ne lire qu’un pouvoir politique, d’organismes, de domination, mais peut-être aurais-je pu tout simplement parler de « puissance en milieu paysan » bien que l’expression passe moins bien. On retombe alors sur une question de contexte, d’emploi par rapport à ce dont on parle. Néanmoins, dans l’entendement général, il me semble qu’on parle davantage de puissance pour l’action, la force exercée, et de pouvoir pour la capacité de contenir cette force, sa maîtrise. Mais c’est encore des emplois qui peuvent s’avérer dus à la langue. J’en toucherai un mot.

84 http://fr.wikipedia.org/wiki/Puissance

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Comment est compris le pouvoir ?

-Qu’est-ce que vous entendez par pouvoir ?

-Ben… le pouvoir en général, celui que vous avez sur votre activité par exemple. C’est un peu à vous de me dire comment vous le pensez.

On ne m’a pas beaucoup défini le pouvoir dans mes entretiens, on m’a dit quel pouvoir on avait ou pas et on est dès lors déjà dans l’analyse.

Si ! Parfois, on m’a dit que c’était « vaste », le pouvoir. C’est vrai. Les définitions le montrent. Beaucoup n’ont pas cherché à définir ce mot, ils ont parlé, essayé de dire s’ils avaient du pouvoir ou pas, ont cherché quels pouvoirs ils avaient ou n’avaient pas.

On peut regarder comment l’ont utilisé certains auteurs, comment ils ont plus ou moins essayé de le définir (car certains font comme les paysans que j’interroge, ils entrent directement dans les précisions). Un des dictionnaires nous avait d’ailleurs suggéré de nous tourner vers Paul Claval.

Dans Espace et Pouvoir, « pouvoir quelque chose, c’est être en mesure de le réaliser » [Claval, 1978] : la définition primale de l’ouvrage est donc une faculté propre à l’individu. Mais on entre tout de suite dans des considérations relationnelles, sous prétexte que la vie en société demande une organisation, donc des relations de pouvoir. Si en croit les deux dictionnaires géographiques cités (Levy puis George), Claval a le mérite de s’attaquer à une notion qui permet aux chercheurs en géographie de s’opposer à ceux qui seraient leurs commanditaires, c'est-à-dire principalement les organes de l’État pour l’aménagement du territoire. Rien d’étonnant, dès lors, que le pouvoir soit décrit sous son angle autoritaire, celui qui permet de contrôler les individus, voire de les réprimer pour rattraper ensuite le contexte de la guerre froide. Le pouvoir est un statut qui recourt à la mise en place de moyens pour l’obtenir. Claval souligne l’importance des moyens de communication qui diffusent ou filtrent l’information, il cite aussi la monnaie et le prestige comme moyens pour arriver au pouvoir. Il évoque également l’influence idéologique en ces termes : « Parmi les pouvoirs dont l’individu dispose, celui de juger de la valeur morale des actes est primordial ». On reste proche des considérations de Bourdieu [1977] sur le pouvoir symbolique où le pouvoir est envisagé comme un instrument de domination relationnel (d’une classe sur l’autre) qui peut lui-même promouvoir une culture (celle qui lui est propre, qui lui permet d’exercer sa domination) et utiliser des instruments de connaissance et d’influence. Chez Foucault [1971] aussi, le pouvoir est essentiellement compris sous son angle relationnel de domination, d’oppression en ce qu’il s’établit comme une norme. La connaissance (le savoir) est ce qui peut servir à obtenir du pouvoir, c’est un moyen, mais du fait qu’il s’exerce sur l’individu comme outil qui permet d’asseoir un discours, il est également un pouvoir. Entre un moyen de pouvoir et le

pouvoir lui-même, la confusion reste palpable, surtout dès qu’on sort un tant soit peu du pouvoir comme simple statut.

Claude Raffestin [1980], qui essaie de différencier « Pouvoir » et « pouvoir », revient pourtant, avec ou sans majuscule, à la compréhension du pouvoir comme un statut à acquérir par des moyens de pouvoir ou, comme on le lira dans quelques lignes chez Rousseau, il fait un parallèle entre la Souveraineté et ses membres. Beaucoup plus que les précédents auteurs, il semble renvoyer le pouvoir à quelque chose qui est établi et qu’on mesure à travers les relations :

« Le pouvoir se manifeste à l’occasion de la relation, processus d’échange ou de communication, dans le rapport qui s’établit, se font face ou s’affrontent les deux pôles ». Pour lui les médias, par exemple, ne sont pas un pouvoir mais un instrument de pouvoir. Il restreint donc le pouvoir à l’acception de la définition qui en fait un statut. Dès lors le reste, c’est à dire les moyens, renverraient-ils plutôt à l’idée de puissance ? On trouve des répliques qui le laissent penser : « le pouvoir, quant au moyens mobilisés, est défini par une combinaison variable d’énergie et d’information » ou « l’énergie peut être transformée en information et donc en savoir ; l’information peut permettre la libération d’énergie donc de force ». Il faut donc comprendre que le pouvoir se définit par ses moyens d’exercice ?

Tous ces géographes et sociologues lisent certainement le pouvoir à travers le prisme de la géopolitique et souvent d’après le contexte de la guerre froide : ils font pour cela quasiment du pouvoir un apanage des États (qui se mesurent les uns aux autres). Le pouvoir est alors ce que s’octroie l’État (ou ses représentants, ou ceux qui le dominent et l’influencent) du fait de sa position, c’est sa souveraineté.

Je vous renvoie alors directement à Jean-Jacques Rousseau et son contrat social, lorsqu’il discute du droit souverain du peuple qui doit former les gouvernements (et qui fonde le principe de la République française). S’il se peut que Rousseau identifie le pouvoir à la faculté de décider et de diriger (le cerveau), il replace le pouvoir comme un fait social (une volonté générale) :

« Comme la nature donne à chaque homme un pouvoir absolu sur tous ses membres, le pacte social donne au corps politique un pouvoir absolu sur tous les siens, et c’est ce même pouvoir, qui, dirigé par la volonté générale, porte, comme j’ai dit, le nom de souveraineté. » [Rousseau, 1762]

La souveraineté n’est bien qu’un cas particulier du pouvoir. Mais à tant parler de ce pouvoir du souverain, de celui qui est censé dominer l’autre de par son statut, sa grandeur, ne finit-t-on pas par construire un discours qui retire l’idée du pouvoir à tout un chacun ? Quel que que soit le pouvoir statué d’un État (ou d’un oligarque), atteint-il forcément nos autres pouvoirs qui pourraient nous être propres ? À défaut de les nommer, Rousseau rappelle que le pouvoir de la souveraineté est limité, ou doit l’être (question de droit) :

« Le pouvoir Souverain, tout sacré, tout absolu, tout inviolable, qu’il est, ne passe ni ne peut passer les bornes des conventions générales et que tout homme peut disposer pleinement de ce qui lui a été laissé de ses biens et des ses libertés par ces conventions ; de sorte que le Souverain n’est jamais en droit de charger un sujet plus qu’un autre, parce qu’alors l’affaire devient particulière, son pouvoir n’est plus compétent. »

Avant de considérer cette sphère particulière pour savoir s’il y aurait d’autres pouvoirs compétents, on peut simplement poser la question de l’intervention de l’échelle dans la notion de pouvoir comme s’est employé à le faire Philippe Subra [2012] en considérant (ce n’est certainement pas anodin) la géopolitique locale :

« Exercer un pouvoir ou un contrôle sur un territoire, c’est en avoir l’usage », donne- t-il comme définition, ne s’extrayant pas alors d’une vision de pouvoir comme domination. Mais il donne des précisions : « Une des principales différences entre la géopolitique locale et les rapports internationaux ou les conflits étatiques internes concerne le sens du mot pouvoir ». Serait-on alors en droit de ne plus associer systématiquement le pouvoir au contrôle ? Philippe Subra donne des éléments de production de rapports de force : le vote, le droit, les réseaux, l’action de terrain, la communication. Tout cela a-t-il forcément besoin d’être un « rapport » qui doit permettre d’évaluer la domination ? On peut tout à fait envisager que ce soient simplement des forces.

Il faut peut-être sortir du cadre de la géographie et de la sociologie pour cela ? Jean Fallot [1966] va bien noter les différentes acceptions du pouvoir qu’on trouve dans les définitions généralistes ainsi que la sphère du pouvoir particulier. Il faut quand même préciser que cela se cantonne surtout au début de son ouvrage (pouvoir et morale) qui, vraisemblablement imprégné du contexte de guerre froide, va surtout examiner le pouvoir par rapport au pouvoir de l’État ou d’un dirigeant (on en sort difficilement). Notons toutefois sa première définition :

« Les recherches sur le pouvoir sont assez nombreuses. Ou bien elles relèvent du droit public, ou bien elles relèvent de la psychologie. Dans un cas, on confond le pouvoir avec la puissance et son problème s’identifie presque avec celui de la volonté. Dans l’autre, le terme de « pouvoir » est à peu près synonyme de puissance de l’État » et il précise à propos de la comparaison du pouvoir avec la puissance : « alors que dans leur acception fondamentale il n’y a qu’une nuance de sens entre les deux termes. Littré écrit « pouvoir marque l’action simplement, et puissance quelque chose de durable. On a la puissance de faire quelque chose ; et on exerce le pouvoir de le faire ».

Définition de Littré, au passage, contradictoire avec d’autres puisqu’elle nous décrit plutôt la puissance comme quelque chose de possédé, de statué et le pouvoir comme lié à l’action, l’exercice. Ce qui ne facilite pas la tâche de distinction, si tenté qu’on soit de vouloir absolument la faire, entre puissance et pouvoir. La nuance résiderait dans l’œil de l’observateur ?

Pour ma part, je ne parle manifestement pas de l’État dans ma thèse, ni ne l’invoque réellement : les institutions agricoles peuvent néanmoins tenir un rôle similaire. Si je parle du pouvoir du paysan et si j’écoute Fallot, je parle de puissance et de volonté. Tout peut dépendre du pouvoir de qui on parle. Et surtout, si on doit d’abord le lire, comme on l’a vu chez les sociologues cités, comme une relation qui mesure la force entre individus ou groupes d’individus. Quand je précise (sur demande) au paysan « du pouvoir sur votre activité » voire « sur vous-même, sur votre vie », j’oriente donc aussi quelque peu les réponses, j’oriente vers la puissance, ou tout du moins, ce que je veux à la base : je ne me cantonne pas au rapport de forces. Mais quand je demande à un paysan, à un habitant du Plateau, son pouvoir, à lui, on n’est déjà plus dans un pouvoir synonyme d’État.

Je veux savoir le pouvoir qu’on a sur sa vie, c’est cela qui m’intéresse. Ne serais-je pas un peu tordu, voire amoral, en demandant « quel pouvoir vous avez sur les autres ? ». Il faudrait que je suppose à chacun une volonté d’avoir du pouvoir sur les autres. Or c’est bien ce sur quoi les géographes ou sociologues précités ont mis l’accent.

« Le problème du pouvoir et de la morale est d’abord celui de l’affirmation du moi et de la position de la conscience » écrit Fallot. Se constituer en tant qu’individu devient alors une condition psychologique du pouvoir moral. On peut alors parler de liberté : « La liberté, c’est le choix, c’est plutôt le pouvoir de choisir. » (p.55). [Fallot, 1966]

Cette absence de conscience de la force de son moi peut laisser aux autres un pouvoir de manipulation. J’ai parfois du mal à discerner la part d’ironie dans les pensées de Pascal, je vous livre toutefois celle-ci, qui n’en semble pas dépourvue :