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1 1 Les débuts de la vicomté de Marseille et la restauration bénédictine de Saint-Victor.

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer les origines de Saint-Victor12. La

basilique martyrologique suburbaine de Sainte-Marie et Saint-Victor a abrité, au moins depuis 780 une communauté religieuse, dépendante de l'évêque de Marseille, lequel gérait ensemble le temporel de l'abbaye et celui de l'Eglise cathédrale.

La communauté est toujours vivante au début du Xe siècle. En 904 elle a à sa tête un abbé, Magnus, qui reçoit de Louis l'Aveugle une partie du fisc de Marseille13. En 924, l'évêque Drogon concède un bien de Saint-Victor, huna

per consensum et voluntatem congregationis sancti Victoris martyris 14.

Quarante ans plus tard, l'évêque Honorat revendique des res ecclesiae

sanctae Dei genitricis Mariae sanctique Victoris, Christi martiris, détenues

injustement par le comte Boson15. Il est probable qu'à ce moment la

10 P.A

MARGIER, Chartes inédites.

11 P.AMARGIER,Un âge d'or. Cet ouvrage ne contient pas d'appareil critique, il faut ainsi se rapporter directement aux articles de P.AMARGIER (voir notre bibliographie générale).

12 Voir Introduction, 3. 13 CSV 10.

14 CSV 1040. 15 CSV 29 (mars 965).

communauté de Saint-Victor, après quelques années de dispersion, commence à se reconstituer. En effet, l'évêque Pons I affirme, en 1005, que le monastère avait été ruiné par des barbares et relevé par lui-même, son père, Guillaume, et son oncle, Honorat16. Quoi qu'il en soit, il est certain

qu'en 974, quelques cénobites vivaient à Saint-Victor17. Ceux-ci adoptent le 31 octobre 977, la règle bénédictine, sous les auspices de l'évêque Honorat. A cette occasion, l'évêque attribue directement aux moines quelques biens, qui appartenaient déjà à l'abbaye18.

L'histoire de Saint-Victor est dès lors étroitement liée à celle de la famille des vicomtes de Marseille19. L'évêque Honorat, et ses frères Aicard et

Guillaume, sont les fils d'Arlulf. Guillaume est le premier membre de la famille de Marseille à porter le titre vicomtal20. La vicomté de Marseille est

une entité qui n'apparaît qu'à la fin du Xe siècle. Son origine doit être recherchée dans la donation faite à Arlulf par le roi Conrad I, de la curtis de Trets, que est pertinens ex comitatu Marsiliacensi et jacet in comitatu

Aquense, avec tout ce qui était auparavant dévolu au roi, c'est-à-dire,

«l'exercice et le profit de tous les droits publics»21. Les enfants d'Arlulf ont hérité de ce vaste ressort. Guillaume, qui apparaît comme vicescomes en 977, et comme «vicomte de la cité de Marseille» en 100122, semble investi du pouvoir banal, qui devient, par la suite, un bien héréditaire au même titre que les droits domaniaux. Guillaume et son frère Aicard faisaient partie des proches du comte de Provence, duquel la famille avait reçu des biens et certainement la charge vicomtale23. Comme d'autres de ses fidèles, le comte

16 CSV 15.

17 CSV 107 : …cedimus supradictam vineam prefate ecclesie, ut, quamdiu illic cenobite

steterint, funditus eam teneant…

18 CSV 23 : …in honore Dei omnipotentis sanctique Victoris martiris congregationem

monachorum secundum regulam sancti Benedicti, in abbatia ejusdem beati Victoris constitui optamus… Et, ut ibi utilius possint regulariter vivere, ex terra qua ad eandem abbatiam pertinere dinoscitur aliquid eis concedimus… Voir P.AMARGIER, «966 ou 977», qui pense que le vrai responsable de l'introduction de la règle bénédictine à Saint-Victor est Pons I, neveu et successeur d'Honorat sur le siège de Marseille.

19 Voir tableau généalogique 3.

20 P.AMARGIER, «Aux origines». Selon G.MANTEYER, (La Provence, p. 98-99), Arlulf serait fils de Teudebert, originaire du Viennois, comte de Provence, entre 890 et 908.

21 J.-P.P

OLY,La Provence, p. 116-117. CSV 1041 (18 août 951).

22 CSV 69.

23 Aicard reçoit Ségalarie du comte en 989 (L.B

LANCARD, «Charte de donation». Voir CSV 757 (v. 1045) : Guillaume le Jeune de Marseille (1008-1085) donne à Saint-Victor de Auriolo,

de sua parte comitale, unam medietatem. J.-P.POLY (La Provence, p. 37-39), considère que Guillaume a reçu du comte, avec le titre de vicomte, une énorme dotation en fiscs autour de

de Provence a sans doute récompensé Guillaume pour sa participation aux combats contre les Sarrasins24. C'est ainsi que la famille possède des droits

fiscaux dans la région de Marseille et des domaines sur la bande côtière, depuis l'évêché de Toulon, jusqu'à celui de Fréjus. Sur leurs possessions, le pouvoir des vicomtes est presque absolu, à tel point qu'il fait penser à une principauté indépendante, à l'intérieur même du comté de Provence25.

Leur pouvoir est d'autant plus important que depuis au moins 95426, c'est l'un de leurs, Honorat, qui occupe le siège épiscopal, administrant les temporels de l'Eglise de Marseille et de l'abbaye de Saint-Victor. La charge épiscopale est l'une des assises les plus significatives du pouvoir de la famille vicomtale. Par dévolution d'oncle à neveu, la famille conserve la fonction jusqu'en 1073, pendant plus d'un siècle donc. Par ce biais, les vicomtes se trouvent très tôt impliqués dans les affaires de l'abbaye.

Quand Honorat introduit la règle de saint Benoît à Saint-Victor, le vicomte Guillaume I donne son accord avec sa femme Belilde et ses fils, Pons et Guillaume. Il exerce ici ses toutes nouvelles prérogatives publiques, comme le comte le fait à Montmajour, à Saint-Véran de Vaucluse ou à Saint- Césaire d'Arles. Il est difficile de mesurer l'attachement spirituel que la famille vicomtale vouait au monastère à cette époque. Nous constatons néanmoins qu'aucune donation n'a été faite par la famille à Saint-Victor avant l'an mil. Au contraire, elle utilise sa position de force à la tête de l'épiscopat pour renforcer son récent pouvoir. C'est pour elle, le moment de regrouper des biens, ceux de l'Eglise ou ceux qui viennent d'être libérés à l'est, et non celui de les disperser. Ainsi, le 6 mars 977, Pons I, fils du vicomte Guillaume I, apparaît déjà investi de la dignité épiscopale,

Marseille, entre le 1er avril 976 et le 6 mars 977. C'est, en fait, l'avis de R.POUPARDIN (Le

Royaume de Bourgogne, p. 293 : le comte Guillaume investi Guillaume, fils d'Arlulf, comme

vicomte de Marseille «avec la jouissance d'un domaine probablement démembré de l'ancien domaine comtal…»). Certains auteurs, dont R.BUSQUET («Le rôle de la vicomté»), ont affirmé que la vicomté de Marseille était une création du roi Conrad, des années 950. P. AMARGIER («Aux origines», p. 175) a fait le point de la question et a montré que la vicomté de Marseille était postérieure à l'expulsion des Sarrasins.

24 Rodoard, souche de la famille de Grasse, a reçu la moitié de l'episcopatus d'Antibes. Plus tard, son fils Gauceran en a reçu l'autre moitié (CL 132 - v. 1125). Hugues de Blaye a reçu du comte une condamine à Roubian, dans le comté d'Avignon [CSV 1042 (979)]. Miron et Odile, souche de la famille de Nice, avaient reçu du comte des biens dans les diocèses de Vence et de Nice [CN 18 et 19 (1002 et 1003) et CL 149 (1032)]. Voir J.-P.POLY, La Provence, p. 92- 93.

25 Voir J.-P.P

OLY, La Provence, fig. 3, I 1, 2, 3, 4 (entre p. 96-97).

vraisemblablement en tant que coadjuteur de son oncle Honorat. De la terre qui pertinet aecclesiae sanctae Mariae Massiliensis aecclesiae seu et sancti

Victoris martyris, il concède à son père la moitié de la villa Campanias en

alleu27. Sept ans plus tard, il récidive et cède à son père la moitié des

possessions de son église et du monastère sises au Plan d'Aups, à Cabriès, à Mazaugues, à Mauriès, à Méaulne, à Riboux et à l'Allauzière28.

C'est aussi à cette époque, entre 977 et 981 (date de la disparition de l'évêque Honorat), que l'abbé Adalard s'en remet au vicomte Guillaume I pour régler un différend survenu entre l'abbaye et quelques particuliers à La Cadière. Le vicomte, astucieusement, se fait attribuer par l'abbé la moitié de cette terre, à condition d'en faire retour à sa mort. Oubliant ses engagements, le vicomte donnera La Cadière en douaire à sa seconde femme, Ermengarde29. Cet épisode qui nous est raconté par la célèbre notice Breve

de Catedra, révèle qu'un abbé dirigeait la communauté et administrait les

biens qu'en 977 l'évêque avait rattachés directement au monastère. En effet, l'ecclesia Sancti Damiani, qui est attribuée aux moines en 977, est un ancien prieuré proche du village de La Cadière et c'est de ses dépendances dont il est question dans le Breve de Catedra. L'abbé Adalard apparaît encore en 984, dans un plaid tenu par le comte à Manosque, où, avec l'évêque Pons I, il revendique pour Saint-Victor des terres usurpées par Rodolphe, évêque de Sisteron, et par Imon30. Le rédacteur du Breve de Catedra, aux alentours de

l'an mil, est l'abbé Pons, fils d'Inguilbert, successeur d'Adalard31. Il

27 CSV 72. Ce toponyme survit dans Plan de Campagne. 28 CSV 70 (9 février 984).

29 CSV 77. Document traduit et commenté dans Les Sociétés Méridionales, p. 355-362. Voir P.AMARGIER, «Un épisode de justice». Voir aussi, R.BROECKER, «Saint-Damien».

La fille d'Ermengarde et de Guillaume I, Astrude, avait reçu le quart de La Cadière comme dot, lors de son mariage avec Lambert de Vence. Le couple l'avait donné en gage à l'abbé Isarn contre une somme de 180 sous. En 1048 ils le remettent définitivement à l'abbé Pierre (CSV 78).

30 CSV 654 (2 janvier 984). Il s'agit de la villa Camaricas, lieu non identifié de la villa

Betorrida, qui correspond au XIe siècle au prieuré de Saint-Promace de Forcalquier (AHP).

Voir CSV, t. II, p. 639, F 26 et 28. 31 P.A

MARGIER ne compte pas ces deux abbés parmi les abbés de Marseille [Un âge d'or, p. 184 et «Les élections abbatiales» p. 376]. Il met en doute l'authenticité du Breve de Catedra, auquel il a pourtant consacré tout un article où il suggère que les abbés Adalard et Pons sont «de ces laïcs qui, depuis Magne, revêtus honorifiquement par le pouvoir de la dignité abbatiale, jouissent des quelques avantages encore afférents à cette dernière» [«Un épisode de justice», p. 296]. Il ne mentionne pas le CSV 654 (984), où l'abbé Adalard apparaît avec l'évêque Pons I. L'auteur s'appuie sur le témoignage de la pagelle d'élection de l'abbé Pierre (1047), qui n'évoque, avant Pierre, que les abbés Guifred et Isarn : de quorum numero

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